Edito : Le débat scientifique n’est pas un débat d’opinion

Publié le 24 novembre 2025

Ces derniers temps, la liberté académique est sous toutes les plumes. Bien des choses sont dites ou faites en s’en revendiquant, y compris lorsqu’on la bafoue. Alors que l’administrateur du Collège de France a annulé un colloque intitulé « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », qui devait avoir lieu dans son établissement les 13 et 14 novembre, il s’érige en défenseur de la liberté académique. Philippe Baptiste, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace, lui emboîte le pas : pour affirmer son soutien à cette décision, il a lui aussi affirmé être très attaché à la liberté académique et, sans craindre de se contredire, a justifié l’annulation par la défense de celle-ci.

La décision d’annulation reposait sur la crainte de troubles à l’ordre public, des associations et un article de magazine ayant alerté le ministre sur ce « danger », et des tags dénonciateurs ayant été peints sur les murs du Collège. Alors que les réactions de stupéfaction se multipliaient dans la presse (jusqu’à une pétition exigeant sa démission), le ministre nia farouchement avoir fait pression pour l’annulation. Il aurait simplement fait part à l’administrateur « de sa préoccupation », car, pour lui, le colloque « montrait un parti pris » qui « n’aurait pas permis de garantir que le pluralisme puisse pleinement s’exprimer ». « Défendre la liberté académique, c’est défendre un débat libre, respectueux et pluriel. C’est le message que j’ai porté auprès de l’administrateur », a-t-il déclaré. Le colloque s’est finalement tenu sans que l’on ait à déplorer le moindre trouble à l’ordre public. Mais il s’est tenu dans des conditions dégradées.

Pour le SNESUP-FSU, il faut lever les confusions. Non, on ne peut pas croire qu’une simple alerte du ministre ne constitue pas une incitation à annuler. Non, on ne doit pas confondre la neutralité attendue des institutions de l’ESR et la liberté académique dont doivent bénéficier les enseignant·es-chercheur·ses et les chercheur·ses. Défendre la liberté académique aurait dû consister pour le Collège de France à assurer la sécurité du colloque en son sein. La vie scientifique doit rester en dehors de toute pression idéologique, politique, économique ou religieuse, qu’elles soient intérieures ou extérieures. Et surtout,  non, pour concevoir un programme de colloque scientifique, nul n’est tenu de respecter un pluralisme d’opinion. 

M. le ministre, confondre le débat scientifique avec le débat d’opinion, ou le débat public pour lequel le pluralisme est une nécessité démocratique, est indigne de votre fonction.

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Emmanuel de Lescure, secrétaire général