Le cadrage KLOUG des débuts de carrière des enseignants

Publié le 2 mars 2010

Le cadrage KLOUG des débuts de carrière des enseignants

Tout le monde connaît le "kloug", gâteau à la fois mou à l'extérieur et dur à l'intérieur, découvert dans le Père Noël est une ordure.  La lettre  envoyée par le ministre de l'éducation aux recteurs et aux IA pour cadrer les débuts de carrière des enseignants est un kloug : elle prépare des conditions très dures pour les futurs enseignants en ouvrant par un cadrage mou la voie à toutes sortes d'interprétations locales.
Le ministre de l'éducation nationale vient d'adresser le 25 février 2009 par les voix du Directeur général de l'enseignement scolaire et du Secrétaire général une lettre aux recteurs et aux IA-DSDEN dans laquelle il définit les conditions d'affectation et de formation des lauréats des concours 2009. Les consignes du ministère amènent les professeurs débutants à commencer leur carrière dans des conditions très difficiles,  ce qui se fera au détriment de leurs élèves. De plus ces consignes ne permettent pas que la formation continuée qui leur était promise s'effectue de façon acceptable.

Des conditions d'affectation difficiles pour les débutants

  • Des enseignants stagiaires du primaire nomadisés : la lettre du ministre prévoit que les professeurs des écoles débutants soient affectés sur des postes de brigade (=titulaires remplaçants) d'abord dans une école jusqu'à la Toussaint puis sur une zone de remplacement. N'étant pas affectés à une classe précise, ils seront amenés à enseigner dans des classes très diverses, pour certains dès le début de leur prise de fonction, pour tous sitôt après la Toussaint. Cette disposition qui les amènera à circuler d'établissement en établissement, de classe en classe, les fragilise à un moment de leur carrière où leur manque d'expérience rend ce nomadisme particulièrement difficile : la charge de travail sera très lourde pour des débutants car chaque cours est nouveau pour eux et exige d'eux une très longue préparation; et par ailleurs chaque changement de classe les obligera à s'adapter à un nouveau public et à conquérir une autorité précaire et vulnérable. Or ces professeurs débutants seront évalués au cours de leur année de stage errant, et leur titularisation dépendra des résultats de cette évaluation.

  • Par ailleurs, dans la mesure où les professeurs débutants seront affectés sur des postes de brigade, et que, lors de leur absence pour formation il est prévu qu'ils soient à leur tour remplacés par des brigades, aucune disposition n'interdit qu'un stagiaire soit remplacé par un autre stagiaire.

  • Des enseignants stagiaires du secondaire placés en situation de concurrence avec leurs collègues: La lettre ministérielle prévoit d'affecter les professeurs stagiaires du secondaire sur des postes vacants ou sur des BMP (groupes d'heures). Le choix laissé aux recteurs est donc celui-ci :réserver les postes vacants aux professeurs stagiaires, ce qui revient à bloquer les mutations offertes aux professeurs titulaires dans leur académie, ou bien affecter les stagiaires sur des BMP. Or les BMP ne constituant pas des postes complets, les stagiaires seraient alors affectés sur plusieurs établissements. Comment imaginer dans ce cas qu'ils puissent suivre une formation dans ces conditions ?

  • Un engagement qui ne coûte pas cher : la lettre de cadrage prévoit que les stagiaires n'aient pas à effectuer d'heures supplémentaires. C'était déjà le cas, lorsque le service dû par les stagiaires était le tiers de celui d'un titulaire, et cette disposition a toujours été conservée.

  • Un dispositif qui crée de la disparité et permet au décideur politique de ne pas assumer ses responsabilités : la lettre ministérielle donne aux recteurs et aux inspecteurs d'académie des consignes formulées en termes d'intentions, laissant s'installer de grandes disparités territoriales dans la mise en œuvre de l'affectation des professeurs stagiaires. Les inspecteurs et les chefs d'établissement sont placés devant des dilemmes : faire en sorte que les élèves dont ils ont la responsabilité n'aient pas être victimes des aléas générés par l'affectation chaotique de professeurs non formés, et donc s'arranger pour que leurs établissements n'aient pas à accueillir les professeurs stagiaires, ou accepter de contribuer à l'accueil des futurs collègues, encore stagiaires. Quoi qu'il en soit, tout est fait pour que chaque niveau de décision soit incité à faire  retomber les responsabilités sur le niveau inférieur.

Une définition de la formation qui permet que les engagements envers les professeurs débutants ne soient pas tenus.


  • La formation due aux professeurs stagiaires volatilisée par un tour de passe-passe : Jusqu'en 2007, les professeurs stagiaires n'avaient qu'un tiers de service à effectuer lors de leur année de prise de fonction, les deux autres tiers étant consacrés à la formation. Puis leur temps de service a été augmenté, réduisant d'autant le temps de formation qui est passé à l'équivalent d'un mi-temps. Pour les promotions qui seront recrutées cette année, le ministère a encore rétréci le temps de formation, s'engageant toutefois à ce que les stagiaires aient au moins un tiers de temps consacré à leur formation. Il vient de rompre cet engagement, qui déjà en soi instaurait des conditions inacceptables,  par un tour de passe-passe. En effet, le ministère englobe  dans ce tiers à la fois la formation proprement dite et l'accompagnement. Cette globalisation permet que la formation proprement dite soit réduite à portion congrue, le compagnonnage occupant alors la part du lion, comme le montrent plusieurs passages de la lettre du ministre. Toutefois, notons que la prise en compte de cette charge de travail pour les "compagnons" n'est pas évaluée, pas plus que ne le sont les tâches nouvelles confiées dans ce cadre aux chefs d'établissement.

  • Une organisation de la formation qui refuse de s'intéresser à ce que vivent les professeurs stagiaires : Les consignes concernant l'organisation de la formation laissent la porte ouverte à toutes sortes de modalités qui seront choisies non pas en fonction de l'intérêt des professeurs stagiaires, mais en fonction des commodités de fonctionnement au niveau du rectorat ou de l'inspection académique. Ainsi, il est envisagé que  la formation filée se déroule au rythme d'une demi-journée par semaine. Or cette disposition apparaît comme totalement irréaliste quand on sait combien les professeurs débutants sont accaparés par la pression quotidienne de l'urgence : il leur faut au contraire des conditions qui leur assurent une véritable disponibilité intellectuelle, libérée des soucis immédiats pour entrer dans une démarche de formation.

  • Un type de formation qui préfigure l'avenir : la formation prise sur le temps libre ? La lettre ministérielle laisse entendre que la formation pourra se dérouler hors temps de service, en rappelant que les recteurs et les IA doivent "concilier les temps de formation et d'accompagnement avec la nécessaire continuité du service public"

  •  Un oubli lourd de sens : le texte ministériel réussit le tour de force de ne jamais évoquer le nom des IUFM, alors que la formation des enseignants est leur mission principale. En revanche il introduit la possibilité que la formation continuée  des enseignants soit assurée par une structure non universitaire, ouvrant ainsi la porte à des organismes privés.

Nous appelons fermement le ministre à tenir ses engagements et à assumer ses responsabilités vis à vis des futurs enseignants, vis à vis des élèves et de leurs familles et vis de vis des instances de formation et d'enseignement.