Labex, Inex… Où va l’université?

Publié le : 26/11/2010


Labex, Inex… Où va l’université?


Par Stéphane Tassel, secrétaire général du SNESUP-FSU.


Investir dans l’avenir, tel serait l’objectif du « grand emprunt». À cette heure, la seule trace tangible dans les budgets des universités et des laboratoires est l’amputation du prélèvement au titre de la charge d’intérêt supplémentaire (en 2010, 125?millions supprimés du budget de la Mires). Pour ne pas rester sur le bord du chemin, en même temps qu’ils se mobilisent pour notre système de retraites, les collègues s’épuisent à répondre aux appels d’offres émis à un rythme insensé. Le gouvernement a élaboré une terminologie, digne des «?plans marketing?» les plus agressifs, s’appuyant sur «?l’excellence?» (Equipex, Labex, Inex…) déclinée sous les formes les plus variées (recherche, laboratoire, équipement, chaire, formation…) et éloignées de considérations scientifiques.


À l’instar de l’autonomie, dévoyée par ?Valérie Pécresse, l’usage de «?l’excellence?» est une escroquerie sémantique. Qui pourrait douter de l’intention de celui qui voudrait l’excellence, «?le meilleur?» pour la recherche ? Rien de mieux pour faire taire la critique, et faire miroiter ce Graal à de nombreux prétendants. Or, pour conduire au sésame censé ouvrir des financements complémentaires, le processus est extrêmement sélectif et opaque. La concurrence réductrice induite conduit certaines équipes de recherche à élaborer des projets aux limites de leurs thématiques pour coller aux thèmes éligibles de la stratégie nationale de recherche et d’innovation, à renoncer à des coopérations nouées de longue date… à l’implosion. Cette mécanique frappe de plein fouet les collègues en sciences humaines et sociales.


Pour être sur les rangs, les regroupements d’établissements (universités fusionnées, grands établissements ou Pres aux «?compétences élargies?») devront faire la preuve de reculs démocratiques en donnant des gages en termes de «?resserrement de la gouvernance des établissements?» – critère dominant du processus de désignation des lauréats. La loi LRU permet désormais la réélection immédiate du président d’université par un conseil d’administration singulièrement réduit et à la pluralité considérablement gommée. Or l’intention de Nicolas Sarkozy, reprise depuis par plusieurs rapports (IGAENR, Aghion, Attali…), de faire participer les «?personnalités extérieures?» des conseils d’administration à l’élection de présidents qui les ont eux-mêmes nommées relève d’un même dessein : figer les équipes de direction et accroître leur emprise sur les libertés des universitaires. La mission interministérielle chargée des «?initiatives d’avenir?» n’entendra pas ouvrir une possibilité de percevoir des crédits – en fait les intérêts de sommes placées à 3?% – à un établissement dont l’exécutif serait enclin à se soustraire à son pilotage. Il n’y aura que très peu d’élus, beaucoup de déçus. La démocratie universitaire ne doit pas être la grande perdante.


Stérile, « l’excellence » promue par le gouvernement exténue les collègues, les détourne de leurs missions, affaiblit les équipes et terrasse la capacité de création des universités, en manque criant d’emplois. La défiance du ministère à l’égard des universitaires, dont il considère que seule une minorité serait méritante, renforce un sentiment de culpabilité injustifiée, alimenté par la pénurie de moyens dans laquelle l’université est maintenue. Le temps des priorités pour un service public d’enseignement supérieur de qualité, alliant proximité, coopération, collégialité et démocratie ; garantissant l’exercice de la recherche fondamentale ; assurant les réponses à des priorités scientifiques débattues démocratiquement avec la communauté scientifique ; procurant l’épanouissement de tous les collègues dans leurs missions et la réussite de tous les étudiants… n’a que trop tardé !


Stéphane Tassel