ATER Guyane:tribune libre

Publié le : 10/10/2003

Tribune des responsables
des sections SNESUP-FSU Guyane et Guadeloupe (10 octobre 2006)

Analyse des conséquences
de la suppression de la prime «vie chère» des ATER de l'université Antille-Guyane

Pascal Vaillant, Frédéric Régent, Hartmut Ziche

Enseignants-chercheurs à l'Université des Antilles
et de la Guyane)


ON NOIE L'AVENIR DE LA RECHERCHE EN OUTRE-MER

NDLR de snesup.fr : vous voulez plus d'infos, adressez
un message de soutient ou tout commentaire sur ce sujet : contactez la section
SNESUP Guadeloupe

C'est une petite nouvelle qui concerne les départements
d'outre-mer. Une petite info qui ne mérite pas de faire la
une des journaux nationaux - en réalité on en parle à peine
même dans la presse d'outre-mer. Depuis septembre, le
personnel enseignant-chercheur non-titulaire de
l'enseignement supérieur, dans les départements d'outre-mer,
ne touche plus la « prime de vie chère » (aussi couramment
appelée « les 40% ») attribuée aux fonctionnaires.

On pourrait ricaner : tiens, encore un mois d'août, encore
un petit privilège qui tombe. L'ennui est que les victimes
de cette mesure sont loin d'être des privilégiés, et que les
conséquences à long terme pourraient être catastrophiques
pour l'enseignement supérieur dans les DOM.

Les fonctionnaires, dans les DOM, touchent une prime de vie
chère : leur salaire est majoré de 40% par rapport au
salaire équivalent d'un collègue de métropole. L'existence
de cette prime a été remise en cause à de nombreuses
reprises dans le débat public, pour diverses raisons souvent
contradictoires (pour les uns, parce qu'elle constitue un
prolongement du supplément colonial - bien qu'elle ait été
étendue, depuis le début des années 50, aux fonctionnaires
recrutés sur place ; pour les autres, notamment les auteurs
de plusieurs rapports commandés par le gouvernement, parce
qu'il n'y a pas de différence objective de coût de la vie
mesurable à 40%). Quoiqu'on pense de ce débat, ce qui se
passe aujourd'hui appelle à réfléchir. Car ce n'est pas aux
fonctionnaires titulaires qu'on supprime les 40%, mais à une
catégorie de personnel précaire et fragilisée, disposant de
peu de moyens de défense : les ATER (attachés temporaires
d'enseignement et de recherche).

Le changement qui vient de se produire est un changement
technique. La source en est un tout petit décret (22
décembre 2005) qui dit simplement qu'il faut changer
quelques mots à deux autres décrets plus anciens. Il s'agit
en fait d'une forme de déconcentration : les contrats qui
régissent les ATER viennent de changer de statut, passant de
contrats d'état (gérés par les recteurs d'académie) à des
contrats d'établissement (gérés par les présidents
d'université). Or dans ce nouveau cadre, où l'état n'est
plus l'employeur, il n'y a plus de fondement légal à la
prime de 40%.

Pourquoi est-ce grave ?

Les ATER, ce sont la chair à canon de la recherche
universitaire. Ce sont de jeunes docteurs (ou éventuellement
doctorants en fin de thèse) qui n'ont pas encore obtenu de
poste stable, et qui effectuent, sur des contrats d'un an
renouvelables au maximum deux fois, les mêmes obligations de
service (enseignement, recherche) que des maîtres de
conférences ou professeurs d'université titulaires. Encore
jeunes pour la plupart, et bien forcés d'être « productifs »
s'ils veulent avoir une chance d'obtenir un poste dans les
années qui suivent, les ATER abattent une partie importante
du travail qui permet de maintenir les départements
d'enseignement universitaire, et les équipes de recherche, à
flot. Ils se chargent des enseignements de masse des
premières années universitaires, et contribuent pour plus
que leur quota à la production scientifique (publications,
logiciels ...) qui vaut aux équipes de recherche de se voir
attribuer leurs crédits.

C'était un constat qui ressortait du rapport de synthèse des
Etats-Généraux de la Recherche aux Antilles-Guyane : notre
recherche, dans les DOM, souffre d'un hiatus bien trop
profond entre recherche et enseignement supérieur. En
principe, recherche et enseignement supérieur sont les deux
faces d'une même monnaie. C'est la recherche qui fait de
l'enseignement supérieur une véritable valeur ajoutée pour
la formation des élites d'une région : à l'université, on
enseigne en effet du savoir et des techniques en train de se
constituer - démarche à laquelle les étudiants sont invités
à s'associer, de plus en plus à mesure qu'ils progressent
dans leurs études. Réciproquement, c'est l'enseignement
supérieur, avec sa masse de jeunes cerveaux poussés par la
curiosité intellectuelle, qui irrigue la recherche en lui
donnant les moyens de se renouveler.

Or dans nos régions, on constate malheureusement que
l'université a d'abord une vocation sociale (amener une
partie de la jeunesse bachelière au niveau bac+3, ce qui est
louable en soi, et fait baisser les chiffres du chômage),
mais sans qu'on lui donne les moyens d'avoir plus d'ambition
(notamment en développant des filières d'études plus
pointues, à des niveaux plus élevés, comme le niveau Master
ou le niveau Doctorat, nécessairement coûteuses). Dans une
telle situation, les meilleurs étudiants ne restent pas dans
les DOM au-delà de la licence. Ils ne se métamorphosent pas
sur place en jeunes chercheurs.

Réciproquement, la recherche menée dans les organismes
d'état, cette recherche « réinjectée », d'en haut d'une part
(il s'agit de chercheurs complètement formés), et de
l'extérieur d'autre part (ils viennent de France pour la
plupart) ne trouve pas sur place le vivier d'étudiants
de niveau supérieur, de doctorants, de jeunes chercheurs
motivés, pour entraîner une dynamique qui dépasse le seuil
de ses labos.

Juste au centre de ce hiatus, les ATER, qui sont ceux qui
pourraient faire le pont entre la recherche d'hier et celle
de demain, sont en première ligne d'une mesure
administrative qui leur ôte le bénéfice d'une prime qu'on
n'ose pas attaquer de front chez les fonctionnaires
titulaires. C'est pourtant pour eux que cette prime est la
moins superflue ! Bien souvent obligés de financer eux-mêmes
tout ou partie de leurs recherches et de leurs missions, de
payer de leur poche des billets d'avion très coûteux
lorsqu'ils vont assister à des conférences, ou lorsqu'ils
doivent aller passer des auditions en tant que candidats à
des postes d'enseignant-chercheur titulaire (se présenter à
des concours de recrutement fait partie de leurs
obligations), les ATER ont, bien plus que les autres, besoin
de ces 40% supplémentaires pour assurer leur mission
correctement dans les DOM.

Avec ce nouveau statut, les ATER, tout en gardant leur
précarité, se retrouvent bénéficiaires d'un revenu mensuel
qui est le même que celui d'un doctorant boursier !

Décourager définitivement les ATER de s'engager dans les
universités d'outre-mer, c'est priver celles-ci de forces
dont elles ne sauraient se passer, et - c'est plus grave -
les priver de relève, les priver d'avenir viable, en tant
que véritables institutions d'enseignement supérieur et de
recherche, pour les prochaines décennies.

Dans des régions déjà marquées par un fort désinvestissement
en termes de recherche (la part de la population active
participant à des activités de recherche est de 1,3 pour
mille, à comparer avec la moyenne nationale française de 7,1
pour mille), et par une absence de couplage entre recherche
d'une part, économie et société d'autre part (et alors même
qu'un tel couplage est la seule clé possible d'un avenir qui
sorte de l'éternelle équation rhum-bananes-cocotiers),
est-ce là la manière la plus intelligente de faire des
économies ? Est-ce que ces quelques dizaines de fois 500
euros mensuels, dépensés pour assurer aux ATER recrutés sur
contrat le même niveau de salaire que leurs collègues qui
remplacent des enseignants titulaires, grevaient le budget
de l'état français au point de valoir de sacrifier une
chance d'avenir pour la recherche et l'université dans les
DOM ?