Lettre ouverte au président de la conférence des président.e.s d’université : régressions démocratiques à l’université

Publié le : 06/03/2017

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Paris, le 1er mars 2017

Lettre ouverte au président de la conférence des président.e.s d’université

 

Monsieur le Président,
 
Le colloque annuel de la conférence des président.e.s d’université (CPU) qui s’est tenu à Reims les 28 février et 1er mars 2017 se donnait pour objectif de « penser l’université pour l’avenir » en se « nourrissant de la diversité des positions de la communauté universitaire ». Il se garde bien, cependant, d’inviter les représentant.e.s des personnels à venir s’exprimer, et en particulier les organisations syndicales universitaires. Voilà donc que les président.e.s d’universités voudraient penser l’avenir des universités, mais sans les universitaires. Il convient de réparer cette omission et d’adresser un message d’inquiétude à la CPU sur les évolutions actuelles des comportements des président.e.s  d’universités dans le contexte d’une mise en œuvre de plus en plus autoritaire des lois dites « liberté et responsabilité des universités » (en 2007) et « Enseignement supérieur et Recherche » (en 2013).

Car  la « réforme » des universités a conduit à une très forte réduction de la proportion des représentant.e.s des étudiant.e.s et des personnels dans les conseils d’administration des universités et donné un poids décisif aux personnalités extérieures dont le vote est souvent acquis aux président.e.s qui les ont eux-mêmes proposées. En outre, le mode de scrutin prévu donnant une prime à la liste arrivée en tête, la représentation des autres listes se trouve drastiquement réduite. Or, loin du dogme néo-managérial qui est l’esprit même desdites lois, l’université a été, historiquement, le lieu des décisions collégiales, prises entre pairs. La démocratie universitaire s’y est construite au sein de conseils prenant des décisions partagées avec les représentant.e.s des étudiant.e.s eux/elles-mêmes et l’ensemble des catégories de personnels.

Le recul actuel de la collégialité et de la démocratie universitaire contraint de plus en plus souvent les personnels et les étudiant.e.s qui souhaitent se faire entendre à forcer la porte des conseils d’administration – seul moyen désormais pour que des propositions alternatives soient débattues. Confronté.e.s à ces demandes, sans opposition représentée dans leurs instances, plusieurs président.e.s d’université ont refusé le dialogue. Certain.e.s ont fait appel aux forces de l’ordre qui interviennent depuis quelques mois régulièrement sur les campus universitaires en tenue anti-émeutes pour interpeller étudiant.e.s et collègues, les contraindre par la force à quitter les lieux, parfois en dégradant les locaux, les maintenir en garde à vue et in fine les inculper à la suite des plaintes de l’administration.

Cette criminalisation du débat démocratique, voire de l’action syndicale, n’est pas propre aux universités comme en témoignent les poursuites juridiques récentes engagées par les grandes entreprises à l’encontre de leurs salarié.e.s (Air France, Good Year…). À l’heure où certains candidats à la présidence de la République menacent les fonctionnaires, toute la nation doit s’inquiéter lorsque même l’université ne peut plus être un lieu de débat, lorsque même en son sein, la pensée critique ne peut plus s’exprimer et que le bâillon s’impose.  « Penser l’université pour l’avenir » serait-ce désormais la soumettre à l’autoritarisme, aux normes de gestion marchande, au clientélisme et aux injonctions bureaucratiques ? Il est significatif que ces actions de répression fassent suite à des contestations des mesures d’austérité mises en œuvre dans les établissements en 2016, contre les fusions imposées en 2017 ou encore à l’occasion des réponses aux « initiatives d’excellence » concoctées au bénéfice de quelques-un.e.s dans le secret des directions. Madame Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, invitée à ce colloque a également souhaité, dans son discours devant les président.e.s, « repenser le rôle des élu.e.s » dans les conseils en vue d’associer les personnels aux restructurations. Il n’est pas trop tard pour découvrir les régressions démocratiques des réformes de 2013.

Plutôt que faire rentrer les forces de l’ordre « dans » l’université (la franchise universitaire, impose aux forces de l’ordre de n’y intervenir qu’à la demande de la présidence de l’université elle-même) afin de réprimer des assemblées d’étudiant.e.s et d’universitaires, qui plus est, en fermant la porte aux journalistes, il faudrait que les président.e.s d’université trouvent le temps, de réfléchir à un « avenir » où les espaces d’échanges et de débats puissent se développer.

Contrairement à ce que proposent plusieurs candidats à l’élection présidentielle, ce n’est pas un resserrement des conseils d’administration autour d’un.e président.e dont l’université a besoin, mais bien une remise en cause des lois qui ont conduit à les transformer en « chambre d’enregistrement » des décisions présidentielles. Il est urgent que les conseils centraux des universités redeviennent des espaces où le débat peut avoir lieu, où les décisions s’élaborent et se prennent collégialement et où la démocratie s’incarne concrètement.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations les meilleures.


 
Hervé Christofol, Secrétaire général du SNESUP-FSU
 
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Retrouvez l'article publié dans Mediapart le 7 mars 2017 :
 
 
«Toute la nation doit s’inquiéter lorsque même l’université ne peut plus être un lieu de débat, lorsque, même en son sein, la pensée critique ne peut plus s’exprimer et que le bâillon s’impose». Lettre ouverte au président de la conférence des président.e.s d’université (CPU), par Hervé Christofol, Secrétaire général du SNESUP-FSU, premier syndicat des enseignants-chercheurs.