Le sabordage des conditions de recherche des enseignant·es-chercheur·es se poursuit en cette rentrée - Lettre flash n°60 du 6 octobre 2022

Publié le : 06/10/2022
 
 
 
 
Tandis que certains établissements continuent de se féliciter de leur place dans les classements internationaux et de se restructurer pour viser une prétendue « excellence », les conditions d’exercice de la recherche continuent de se détériorer pour les enseignant·es-chercheur·es (EC). Les charges de travail des EC ne cessent de s’alourdir : les collègues cherchent à pallier les manques de l’institution Enseignement Supérieur en acceptant toujours plus d’heures d’enseignement1 et de tâches administratives, souvent non ou mal rémunérées. La conséquence en est, outre le surmenage, que le temps qu’ils et elles peuvent consacrer à la recherche diminue fortement et que ce peu de temps est morcelé et parasité par la multiplication des appels à projet, pour lesquels les dossiers de réponse demandent beaucoup de temps et d’énergie, parfois pour rien lorsque les projets sont rejetés2 !
 
 
Certaines disciplines et certain·es collègues sont par ailleurs toujours exclu·es de plusieurs financements des recherches, tels que les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Ces derniers appels, issus du Plan investissements d’avenir (PIA) 4 et du plan « France 2030 », participent à la poursuite de la fragilisation du processus de recherche dans les laboratoires. Les PEPR sont des programmes nationaux, co-pilotés par les organismes de recherche et quelques universités, dont les financements passent par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ils sont de deux natures : « accélération » et « exploration », avec dans le second cas la séduisante idée – sur le papier – de laisser davantage de liberté aux chercheur·es. Mais comme le SNESUP-FSU le révélait, connaître l’existence même de ces projets d’appels relève du privilège de certain·es initié·es3. En réalité, cela grève là aussi la liberté de recherche, puisque, in fine, les recherches qui ne seraient pas en phase avec un « impact potentiel à long terme des travaux de recherche » sont exclues du financement4.
 
 
Ces dérives sont accrues par la course à l’évaluation. Le SNESUP-FSU rappelait dernièrement, lors de la publication des nouveaux référentiels du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), que, malgré l’apparition d’un critère qui semble s’intéresser plutôt à la qualité des publications qu’à leur quantité, la bibliométrie revient en force et ce, de façon explicite. Les « non-publiant·es » étant à nouveau pointé·es du doigt, ce qui ne concerne d'ailleurs pas que les titulaires5.
 
 
Ainsi, lors des évaluations HCERES, certain·es directrices et directeurs d’unités de recherche (DU) en arrivent encore à exclure sèchement des EC qualifié·es de « non-publiant·es », qui se retrouvent de facto éjecté·es de laboratoires où ne resteraient que des « excellent·es ». Cette stratégie simpliste et brutale fait fi des travaux rappelant que de nombreux profils d’EC concourent à la vie d’une unité6. C’est aussi trop vite oublier les raisons systémiques d’empêchement de collègues à exercer leurs activités de recherche. Il en est ainsi de la combinaison pernicieuse du retour de la modulation de services massive dans certains établissements par le truchement d'heures complémentaires financièrement plus avantageuses – qu’on avait cru sortie par la porte et qui revient par la fenêtre – avec le chantage implicite pour que les collègues s’investissent au motif de sauver une formation7. Les collègues acculé·es grèvent leur propre droit à la recherche, entrant dans une boucle infernale d'autocensure dont il est difficile de sortir. Il arrive néanmoins que des DU empruntent des voies différentes. Certains mettent par exemple le curseur sur la continuité du L1 au M2 afin de souligner l'apport des collègues très investi·es en enseignement ; en effet la sensibilisation des étudiant·es vers une poursuite en master puis en doctorat a du sens dès la première année de licence et est d'autant plus cruciale que le nombre de doctorant·es chute8, malgré le besoin croissant de leur expertise et de leurs compétences dans la société. Des discussions avec les collègues isolé·es, un·e DU assumant son rôle de paratonnerre, etc. peuvent contribuer à ce que chacun·e trouve sa place dans l'unité en combinant épanouissement personnel et inclusion au sein du collectif.
 
 
Petit à petit, on voit ainsi croître les inégalités entre secteurs bien et mal dotés et, au sein d'un même laboratoire, entre les EC bénéficiant de financements spécifiques et celles·ceux qui n'en bénéficient pas (sans parler des chaires de professeur·es junior...). À terme, le risque est fort d'assécher aussi le financement récurrent des unités. L’ensemble de ces contraintes - manque de temps, manque d’argent - constituent autant de formes d’empêchement du droit à la recherche pour certain·es collègues enseignant·es-chercheur·es. Outre une menace sur la recherche non finalisée favorisant la sérendipité, c’est l'accès à la recherche tout court qui se profile pour nombre d’EC.
 
 
Le SNESUP-FSU continuera de défendre le droit à la recherche pour toutes et tous les EC9. À vouloir contraindre le système dans des perspectives court-termistes d’intérêts économico-industriels, sans prise en compte des besoins sociaux, et parfois en contradiction avec ces derniers, le ministère se trompe. À vouloir utiliser les heures complémentaires, jugées moins coûteuses, et imposer une modulation de services, certains établissements engendrent des situations personnelles catastrophiques. Dans ce contexte pesant, c’est à nous de défendre la liberté de recherche, la collégialité et la démocratie (y compris la défense du rôle des directeurs et directrices d’unités). Ensemble vers un modèle d’enseignement supérieur et de recherche qui n’obère pas son service public de recherche !
 
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1En moyenne, en 2018, les enseignant·es-chercheur·es assuraient un tiers de leur service d’enseignement en heures complémentaires (d’après Bilan social 2019-2020, MESR).
2La campagne d’appel à projet de l’ANR 2021 “Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs” (JCJC), projets de recherche collaborative (PRC) et projets de recherche collaborative-entreprise n’a retenu que 22,9% des projets déposés. C’est l’équivalent de 760 ETP de chercheuses et chercheurs qui ont ainsi été gaspillés et cette estimation ne tient pas compte du temps d’évaluation des projets par les jurys (voir VRS N°427, p.48)
3Lettre Flash n°44
4VRS n°429, p. 14
6VRS n°430
7Le Snesup n°708