Analyse des référentiels HCERES

Publié le 30 mars 2022

 

PAR LE SECTEUR FORMATION ET LE SECTEUR RECHERCHE

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En complément à la déclaration liminaire faite par le SNESUP-FSU lors du CNESER de janvier dernier (ref1) et de la motion adoptée (ref2), les secteurs formations et recherche ont analysé les « critères » contenus dans les nouveaux référentiels publiés sur le site du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (ref3). Nous soulignons ici plus spécifiquement certaines raisons qui nous poussent à considérer que ces référentiels nuisent gravement à l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR), telle la tendance de fond de se tourner vers les financements du PIA en matière de recherche comme en matière d’enseignement.

Référentiel d’évaluation des formations du 1er et du 2e cycle

D1 LA POLITIQUE ET LA CARACTÉRISATION DE LA FORMATION

R1 La formation est en adéquation avec la stratégie formation de l’établissement
C6 La formation s’appuie sur les actions menées et les moyens obtenus dans le cadre de l’initiative d’excellence et des projets connexes dépendant du PIA, pour dynamiser son contenu et ses dispositifs

 

Le PIA apparaît pour la première fois dans l'évaluation des formations. L'HCERES est donc en train d'aligner le cadre d'évaluation des formations à celui de la recherche qui s'inscrit dans la logique de la Loi de programmation de la recherche (LPR).

 

Quels changements introduit la LPR en termes de formation ?

 

L'article L114-3-1 du code de la recherche (ref4) a été modifié en supprimant la référence au cadre national des formations. En effet, le second alinéa du 3°) "le Haut Conseil s'assure de la conformité de la formation au cadre national des formations et de l'effectivité de la participation des étudiants à l'évaluation des enseignements" a été remplacé par " le Haut Conseil s'assure de l'effectivité de la participation des étudiants à l'évaluation des enseignements ". De plus, a été ajouté "l’évaluation des formations et des diplômes tient compte de l’insertion professionnelle des diplômés". Enfin, dans celle même loi, à l'article 44, est précisé que "dans les conditions définies à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi visant à : (...) supprimer les dispositions relatives à la carte des formations supérieures".

 

Quel impact sur les formations ?

 

Ces changements renforcent le caractère régional des diplômes en ne faisant plus référence au cadre national des formations lors de l'évaluation de l'HCERES et en permettant à tout moment au gouvernement de la supprimer. La suppression de tout cadre national renforce la compétition entre les établissements et les formations au sein même d'un établissement. (ref5)

 

De plus, l’ajout "l’évaluation des formations et des diplômes tient compte de l’insertion professionnelle des diplômés" a des conséquences sur les licences générales qui n'ont plus vocation à aller principalement vers une poursuite d'études. Cette mesure renforce le découplage entre le premier et le second cycle, instauré par la réforme master de 2016. Le MESRI veut changer la structure des licences générales pour les adapter à l'insertion professionnelle immédiate après la licence (cf. le critère C1 détaillé plus loin).

 

Le PIA4 a pour objectif de renforcer les PIA précédents (Initiatives d’excellence en formations innovantes [IDEFI] et Initiatives d’excellence en formations innovantes numériques [IDEFI-N] ; Développement d’universités numériques expérimentales [DUNE] ; Nouveaux cursus à l’université [NCU]). Il a aussi vocation à renforcer le pouvoir des régions sur les formations, comme pour la recherche. Il renforce la logique de co-investissement et de co-décision État-Région pour donner une place centrale aux acteurs locaux. Ce transfert de compétences de l'État vers les Régions va renforcer les inégalités territoriales, les régions étant plus ou moins riches suivant le taux d'imposition de la population. Dans les régions les plus pauvres, pour survivre, les universités vont devoir trouver des ressources propres, le PIA4 portant sur la diversification des ressources des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. En effet, "l’objectif est d’aider les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à accroître leurs ressources pour déployer des projets nouveaux portés par leurs personnels et leurs équipes grâce aux moyens supplémentaires ainsi obtenus" (ref6). C'est donc une inégalité des formations qui va se renforcer et une évolution forcée des formations (y compris les licences générales) à répondre aux besoins économiques locaux pour pouvoir collecter les ressources financières suite au désengagement de l'État en développant en particulier l'apprentissage dans toutes les formations.

 

Cela rejoint les propos d'Emmanuel Macron (ref7), lors de la clôture du congrès de la Conférence des présidents d'universités (CPU), appelant à des formations "plus efficacement professionnalisantes" pour mettre fin au fonctionnement actuel de l'université, qu'il juge "révolu". Au risque d'une grande précarité des étudiants, E. Macron envisage d'augmenter les frais d'inscriptions.

 

D2 L’ORGANISATION PÉDAGOGIQUE DE LA FORMATION
R5 La formation met en œuvre les méthodes pédagogiques adaptées aux compétences visées.
C1La formation définit et met en œuvre ses objectifs, ses contenus, ses méthodes pédagogiques et ses acquis d’apprentissage dans une approche favorisant l’alignement pédagogique. Elle appuie sa démarche sur une approche programme et sur une approche par compétences.
C2 La formation valorise les compétences acquises dans le cursus ou en dehors de celui-ci

 

Quel est l'impact de l'approche par compétences sur les programmes et diplômes ?

 

"L'approche par compétences", articulée à « l’approche programme » (ref8), est à distinguer de l'acquisition de compétences ancrées dans les disciplines que les collègues développent dans leurs enseignements. Pour le MESRI, et de fait l'HCERES, "la compétence est un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situation" (ref9). De plus, "l’approche par compétences est une démarche de conception de programmes d’études reposant sur l’analyse des tâches accomplies dans l’exercice d’un métier ou d’une profession et sur leur traduction en compétences ensuite érigées en objectifs d’apprentissage""la logique de profession doit avoir préséance sur la logique disciplinaire dans la formation professionnelle" et s'inscrire dans "des orientations politiques centrées sur le marché du travail et un partenariat resserré avec le milieu socioéconomique" avec "une gestion centralisée des besoins de main-d’oeuvre, de sa qualification et du développement des programmes et des standards nationaux pour la formation" (ref10).

 

Cette restructuration des diplômes a pour conséquence de considérer les savoirs comme des "ressources" à mobiliser, parmi d'autres. Ce terreau de l' "approche par compétences" imposée par le MESRI et l'HCERES favorise l'adisciplinarité et risque d'évincer ou d'amoindrir des disciplines ne répondant pas au "cahier des charges". Dans un séminaire organisé par Campus matin sur l'approche par compétence (ref11), Lynne Franjié, en charge du pilotage de l'évaluation des formations à l'HCERES, indique que l'opposition entre diplôme et certification est révolue, la corrélation entre diplôme et métiers exercés n'étant plus d'actualité. Pour elle, l'approche par compétence permettra une transférabilité des compétences quelque soit le métier, comme aux États-Unis et en Angleterre. Mais, outre la perte de vitesse des savoirs qui nourrissent le développement de l'autonomie, l'"approche par compétence" non ancrée dans les savoirs "écarte l’importance de la synthèse des savoirs dans l’apprentissage et ouvre la porte toute grande à une approche clientéliste de consommation d’éducation" (ref12) faisant fi des inégalités socio-économiques.

 

Compte tenu de ces constats, transformer la structuration de la licence générale en "approche par compétence" aura de lourdes conséquences sur la place des savoirs dans les formations universitaires. Rappelons que la mission première de l'université est de créer et transmettre les savoirs qui permettent de former les jeunes au développement de l'esprit critique, de la culture scientifique, à l'émancipation par les savoirs pour comprendre et prendre du recul sur les enjeux sociaux. Un équilibre entre connaissances scientifiques, compétences transversales et compétences professionnelles sont nécessaires pour évoluer dans une carrière professionnelle. L'usage de "l'approche par compétence" comme structuration des diplômes, en plus des blocs de compétences et de connaissances introduits dans l'arrêté licence, favorise le découpage des diplômes en certificats, le diplôme devenant alors une accumulation de certificats que l'on peut acquérir tout au long de la vie. Dans ce cadre, la licence en trois ans, voire en quatre ans si l'étudiant redouble, n'a plus lieu d'être. De plus, les blocs de connaissances et compétences, couplés à l"approche par compétence" imposée par les politiques, rend le rôle de l'évaluation centrale à travers l'usage entre autres du portfolio (ref-plus1), outil chronophage. Seul un diplôme pensé dans sa cohérence globale, non découpé en certificats et donnant toute sa place aux savoirs, garde son caractère universitaire par la garantie, dès les premières années de licence, d’un adossement de la formation à la recherche.

 

La liberté académique doit donc rester première et l'approche par compétence demeurer une approche pédagogique parmi d’autres. Elle ne doit pas servir de base à la structuration du diplôme et ne doit pas être "réductrice des ambitions quant aux savoirs disciplinaires universitaires" (ref13). Seul l'enseignant est capable de juger si cette approche pédagogique est pertinente ou pas et les référentiels pour les formations professionnelles doivent inclure des situations construites scientifiquement sans se cantonner à de l'opérationnel. De plus, "on imagine facilement qu’une formation universitaire construit ces compétences de facto pour l’essentiel à travers l’apprentissage d’une discipline, même si l’objectiver peut être utile, mais en revanche l’approche par compétences et les référentiels « modèles » [prônés par le MESRI] ne disent rien sur le niveau attendu de maîtrise disciplinaire, condition nécessaire d’un futur agir professionnel qualifié" (ref13).

 

Quel impact sur le recrutement des personnels enseignants ?

 

La mise en avant du caractère adisciplinaire des diplômes change radicalement le recrutement. Le programme n'étant plus décliné en disciplines, il est plus facile de recruter des personnes non spécialistes de la discipline et favoriser le recrutement de contractuels amplifiant ainsi la précarité des personnels déjà amorcée dans l'enseignement supérieur et la recherche.

 

L'approche par compétences, un prétexte pour normaliser les pratiques pédagogiques

L'argument de l'échec et du faible taux d'insertion professionnelle est-il raisonnable pour imposer une approche pédagogique ?

Sous couvert que "50% des étudiants seulement se présentent aux examens de première année" et "d'un taux de chômage trop élevé des jeunes qui sortent de certaines filières universitaires" [ref7], la volonté d'Emmanuel Macron est de changer structurellement l'université. Cet argument, évoqué également par Frédérique Vidal, a justifié la loi Orientation réussite étudiante (ORE) et Parcoursup qui ont entériné la sélection sociale [ref14]. L'objectif des contre-réformes de l'université amplifiée par ce gouvernement est de développer une conception "tubulaire" de l'enseignement supérieur alors que l'université joue un rôle de "carrefour autour duquel s'organise, et grâce auquel se régule, l'espace de l'enseignement supérieur dans son ensemble" (ref15). Notons d'ailleurs qu'un récent rapport de l'IGESR pointe la nécessité d'une meilleure prise en compte des réorientations des jeunes en les accompagnant dans leur démarche [ref16]. De plus, les filières universitaires n'ont pas à rougir de leur taux d'insertion : en 2017, 88 % en DUT, 90 % en Master disciplinaire, à 93 % en Licence professionnelle [ref17]. Les arguments avancés par le ministère et E. Macron ne justifient pas un changement structurel des formations.

On comprend mieux dans ce contexte que cette "approche par compétence", leitmotiv des politiques éducatives dans le monde, n'est pas développée dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dont les programmes restent déclinés par discipline tout en introduisant les compétences essentielles que doivent acquérir les étudiants. L'"approche par compétence" imposée dans la réforme des IUT est identique à celle des études techniques collégiales au Québec [ref10] (premier niveau de l'enseignement supérieur après les études secondaires, se rapprochant des IUT en France). Le programme de la licence professionnelle en IUT est ainsi structuré en UE-compétence (intitulé d'unité d'enseignement faisant référence à une compétence à acquérir) et non plus en UE-discipline ou UE-sous discipline (intitulé d'UE faisant référence à une discipline ou sous-discipline).

Cette restructuration des diplômes a pour conséquence de considérer les savoirs comme des "ressources" à mobiliser, parmi d'autres (stages, projet personnel de l'étudiant, etc.) pour acquérir telle ou telle compétence développée dans des situations d'apprentissage professionnelles avec comme outil d'évaluation des compétences le portfolio et les Situations d'apprentissage et d'évaluation (SAE). C'est la même logique qui tend à être mise en oeuvre en master des Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation  (MEEF) dans les Instituts nationaux supérieurs de l'éducation et du professorat (INSPE) : les maquettes y font de moins en moins référence aux disciplines académiques ni même aux disciplines scolaires (ref18). Dans les trois exemples cités, ce sont des compétences de type opérationnelles qui sont mises en œuvre, ce qui peut conduire à l'exclusion des connaissances fondamentales du programme de formation.

Au Québec, un "important recul de la place réservée aux mathématiques dans les programmes d’études techniques" [ref10] a été constaté.

 

D2 L’ORGANISATION PÉDAGOGIQUE DE LA FORMATION
R6 La formation développe et diversifie ses pratiques pédagogiques.
C2 La formation propose des modalités variées d’enseignement, dont des modalités entièrement ou partiellement à distance, pour flexibiliser l’accueil de ses différents publics.

 

L'objectif du ministère (ref19) est de développer des formations partiellement hybridées, accompagnées d'un tutorat pédagogique et méthodologique en s'appuyant sur les outils numériques. Les parcours de formation sont alors constitués de modules capitalisables dans la durée, d'examens à la carte. Il s'agit de réaffecter des heures de cours assurées actuellement en "présentiel" en mode "distanciel". C'est en ce sens que plusieurs appels à projets ont été lancés depuis 2019. Ce changement de modèle pédagogique prétend réduire le taux d'échec en licence. Mmais il s’agit surtout de faire face à l'augmentation de la population étudiante et flexibiliser les parcours de formation pour répondre aux besoins des entreprises. L'objectif est d'adosser aux parcours de formation un modèle économique assurant la pérennité de la formation à moyens constants (mutualisation des formations). C'est dans ce contexte que l'HCERES est chargé d'évaluer l'évolution des formations vers ce mode pédagogique hybride.

 

Outre les économies à long terme que ce nouveau mode de fonctionnement des formations permet, l'idée véhiculée par les défenseurs de ce système est que l'étudiant n'apprend que quand il est actif. Par conséquent, les cours magistraux seraient obsolètes car transmissifs et ne permettant pas l'interaction enseignant-étudiant. Pourtant des recherches exploratoires montrent que le cours magistral, même si les étudiants ne sont pas en activité, est un élément essentiel dans la transmission des connaissances et leur construction [ref20,ref21].

 

 

Référentiel d’évaluation des unités de recherche

 

Financement

 

D2. Attractivité
R3. L’unité est attractive par la reconnaissance que lui confèrent ses succès à des appels à projets compétitifs.

C1. L’unité répond avec succès à des appels à projets internationaux et européens.

C2. L’unité est impliquée dans des structures et des projets financés par les programmes d’investissements d’avenir (PIA).

C3. L’unité porte des projets financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

C4. L’unité répond avec succès à d’autres appels à projets lancés par ses tutelles, les collectivités territoriales, des associations caritatives, etc.

C5. L’unité est en capacité, sur ses ressources propres, de financer des contrats doctoraux et post-doctoraux, des contrats d’ingénieurs et de techniciens, des chaires, des équipements lourds.

 

Comme pour les formations, le fait d'aller chercher des financements extérieurs est également fortement valorisé dans ce référentiel des unités de recherche, et repris dans une multitude de critères qui soulignent que le financement public et récurrent n'est plus la norme et que les unités sont sommées de démarcher des financements externes (voir par exemple l’ensemble des critères D2.R3 ci-dessus). Surtout, le référentiel pousse très fortement à répondre à des gros appels à projet (C1). Autrement dit, plus les financements obtenus sont importants, plus la valeur de l'unité est forte : c'est clairement une marchandisation au sens où c'est le prix qui donne la valeur de la chose.

D1 Profil, ressources et organisation de l’unité
R2 L’unité s’est assigné des objectifs scientifiques, y compris dans la dimension prospective de sa politique.
C1 L'unité tient compte de la politique de ses tutelles en matière de recherche et de valorisation

Le critère d’alignement de la politique du laboratoire sur celles de ses tutelles en matière de recherche et de valorisation, ne tient pas compte du fait que la tutelle donne ou non des moyens suffisants aux unités, hors appels à projet. On peut déplorer une mise en avant trop importante de la visibilité des recherches, de leur attractivité, etc. au détriment de l'avancée des connaissances dans tous les champs de la science, insuffisamment rappelée.

 

D4 Inscription des activités de recherche dans la société
R1 L’unité se distingue par la qualité de ses interactions non-académiques.
C5 L’unité accueille des doctorants dont la recherche est financée en totalité ou en partie par des partenaires non-académiques

Le référencement “des doctorants dont la recherche est financée en totalité ou en partie par des partenaires non-académiques” ne tient pas compte de la diversité des domaines scientifiques, qui n'ont pas la même capacité à attirer des financements doctoraux "non-académiques", notamment privés. Par ailleurs, la recherche de ce type de financement peut pousser à proposer des sujets de thèse à la mode, ou à répondre à des commandes privées qui peuvent conduire à des exemples de dérives et mystifications scientifiques (ref20). Par-delà de ces limites, ce critère pousse à diversifier les financements là où l'Etat ne le fait plus.

 

Bibliométrie et pression à la publication

D3. Prodution scientifique
R2. La production scientifique est proportionnée au potentiel de recherche de l’unité et répartie entre ses personnels.
C1. La production scientifique est en adéquation avec le potentiel de recherche de l’unité. Elle ne sacrifie pas la qualité de la recherche à la quantité.
C2. La production scientifique de l’unité est répartie de façon équilibrée entre les équipes.
C3. Tous les chercheurs et enseignants-chercheurs permanents contribuent à la production scientifique de l’unité.
C4. Tous les doctorants et les post-doctorants participent à la production scientifique de l’unité.

Bien qu’un critère semble s'intéresser à la qualité des publications, la bibliométrie revient en force de façon explicite. Les non-publiants sont à nouveau pointé·es du doigt, y compris chez les non titulaires (doctorant·es et post-doctorant·es). Rappelons que les unités de recherche ne regroupent pas que des profils de type "entrepreneur" (ici sur-valorisés) au détriment de toutes les autres composantes du métier : d'autres profils concourent à la vie des unités (ref21).

 

Une série de critères flous et difficilement applicables

 

Certains critères de mesure de la production scientifique sont très subjectifs et discutables (par ex. D3.R1.C2 «La production scientifique de l’unité est originale. »). D'autres paraissent ubuesques comme le "Critère sur la capacité de l'unité à analyser les impacts économiques et sociétaux de la politique qu'elle conduit" (D1-R2-C3) : comment cette "analyse" serait-elle possible ? Quid de l'originalité dans les recherches, d'autant que les recherches trop originales ne sont souvent pas financées par appels à projets ?

 

D4 Inscription des activités de recherche dans la société
R2 L’unité développe des produits à destination du monde socio-économique.
C1 L’unité développe des ressources scientifiques et technologiques valorisées au plan économique. Elle mène une politique active de protection de la propriété intellectuelle, et notamment de demande de dépôts de brevets.
C2 L’unité est à l’origine de la création de start-up. Elle concourt, le cas échéant, à la création d’emplois et à l’amélioration de la compétitivité des entreprises

 

Plusieurs "références" ne sont applicables qu’à certaines disciplines très appliquées puisqu’elles concernent le recensement des transferts et valorisation des résultats de la recherche auprès du monde socio-économique, voire la création de start-up et d’emplois. Cette ouverture au monde économique, notamment à travers la valorisation de la création de start-ups ainsi que la production de normes/procédures/référentiels interroge. Leur contribution à l'activité économique est discutable. Est-ce à la multiplication de structures parfois faussement innovantes que l'HCERES veut pousser ?

 

Si la "science ouverte" est souvent mise en avant, ses modalités restent très imprécises. Le référentiel contient beaucoup d'allusions à la science ouverte et à la science participative. À ce sujet, le référentiel ne précise pas ce qui est considéré comme une donnée de la recherche. Le RGPD n'est pas mentionné, ni les problèmes soulevés par le recours aux GAFAM (il est d’ailleurs inadmissible de devoir utiliser un outil Microsoft pour utiliser les macros dans les tableurs fournis (ref3).

 

D1 Profil, ressources et organisation de l’unité
R3 Le fonctionnement de l’unité est conforme aux réglementations en matière de gestion des ressources humaines, de sécurité, d’environnement et de protection du patrimoine scientifique.

C2 L’unité est attentive aux conditions de travail de ses personnels, à leur santé, à leur sécurité et à la prévention des risques psycho-sociaux."

Plutôt que de se contenter d'être "attentive aux conditions de travail et à la santé des personnels", il serait nécessaire d'objectiver (donc quantifier, ici, pourquoi pas), les causes des arrêts de travail et autres indicateurs de santé et Risques psycho-sociaux (RPS).

D3 Production scientifique
R1 La production scientifique de l’unité satisfait à des critères de qualité.
C1 "La production scientifique de l’unité repose sur des fondements théoriques et méthodologiques solides"


 

Si les "fondements théoriques et méthodologiques solides" sont en effet nécessaires dans le travail scientifique, comment se donne-t-on les moyens de les vérifier ? Notamment en SHS, où les paradigmes peuvent coexister voire être en concurrence ? Dans les disciplines faiblement intégrées, dans lesquelles il n'y a pas d'accord large sur les théories de référence, désigner de tels fondements ne peut résulter que d'un rapport de force, externe aux logiques scientifiques propres.

D4 Inscription des activités de recherche dans la société
R3 L’unité partage ses connaissances avec le grand public et intervient dans des débats de société.
C2 "Les membres de l’unité, en lien avec leurs compétences scientifiques, intègrent la médiation scientifique. Ils interviennent dans les médias, sur internet ou sur les réseaux sociaux dans le respect de l’intégrité scientifique et de la déontologie." 


La prudence même de la formulation du critère d’implication des membres dans la « médiation scientifique, les médias et réseaux sociaux » montre bien le problème : intervenir fréquemment dans la presse ou sur les réseaux sociaux multiplie les risques d'intervenir en-dehors de son domaine d'expertise... On a pu le voir à l'occasion de la crise du Covid19 : si l'intervention des scientifiques dans les médias, sur leur domaine d'expertise, est utile au débat public, leur sollicitation à tout-va et sur tous les sujets est contre-productive et donne une image faussée du travail scientifique.

 

L'évaluation portée par ce référentiel intègre des critères beaucoup plus larges de ce qu'est la recherche et de ce qui fait science, avec notamment le poids des actions à destination du grand public, la participation à la science ouverte ou les sciences participatives, etc. mais avec de moins en moins de moyens récurrents. Ces changements sont violents et vont modifier en profondeur la nature de l’évaluation, sa qualité et son utilité même. C'est un bouleversement imposé par le HCERES sans débat ni publicité alors qu’il met potentiellement en danger l’ensemble des principes sur lesquels se fonde une évaluation scientifiquement crédible.

 

Les nouveaux référentiels contiennent des injonctions à poursuivre le remodelage néolibéral de l’ESR. Ils interrogent une fois de plus nos pratiques et rognent nos libertés académiques. Les critères contenus dans ces référentiels, dont il est clair que ce sont des « attendus dont l’évaluation estime le niveau de réalisation » , ne contribuent pas à améliorer les conditions d’apprentissages de nos étudiantes, ni la qualité des recherches, ni même nos conditions de travail : au contraire ils vont les dégrader. Ils pourraient favoriser en conséquence un risque accru de comportements pouvant manquer plus ou moins fortement à l’éthique pour satisfaire au mieux ces attendus (ref22). Nous appelons donc les collègues à discuter collectivement des moyens de résister à la mise en place de cette normalisation de l’enseignement et de la recherche qui remet en cause notre métier et les conditions de son exercice.

 

(ref1)
https://snesup.fr/sites/default/files/fichier/declaration_liminaire_snesup-cneser-220118.pdf

(ref2)
https://snesup.fr/sites/default/files/fichier/cneser-20220118-motion-sncs-snesup-hceres.pdf

(ref3)
https://www.hceres.fr/fr/espace-entites-evaluees

(ref4)
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042813135/

(ref5)
La carte des formations supérieures prévue à l'article L. 614-3 du code de l'éducation constitue le cadre des décisions relatives à la localisation géographique des établissements, à l'implantation des formations supérieures et des activités de recherche et de documentation, aux accréditations à délivrer des diplômes nationaux et à la répartition des moyens. Instituée par la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, elle n'a jamais été arrêtée depuis. D'une part, les textes listant les instituts et écoles internes et les regroupements de composantes des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et l'ensemble des arrêtés accréditant les établissements d'enseignement supérieur à délivrer des diplômes nationaux fournissent aujourd'hui les éléments d'information nécessaires. D'autre part, la région est compétente pour définir les plans régionaux de formations de l'enseignement supérieur. Par ailleurs, les modalités de création des unités de formation et de recherche par délibération du conseil d'administration des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, en vigueur depuis la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, ont amoindri l'intérêt d'une carte arrêtée et révisée par le ministre chargé de l'enseignement supérieur. D’après Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2021-1747 du 22 décembre 2021 portant suppression de la carte des formations supérieures, mettant en cohérence et abrogeant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur et étendant certaines dispositions relatives aux mêmes domaines à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044547240

(ref6)

Accélération des stratégies de développement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche – Appel à projets https://anr.fr/fr/detail/call/acceleration-des-strategies-de-developpement-des-etablissements-denseignement-superieur-et-de-reche/

 

(ref7)

https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-19138-fr.pdf

 

(ref8)

N. Lebrun, « L’approche programme : quel impact sur les formations universitaires ? », Le Snesup, n°703, p.22 (2022)

 

(ref9)

J. Tardif, L’évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement, Montréal, 2006, Chenelière Education, p. 22. Note : Un savoir agir complexe renvoie à une action aux multiples conditions. Les ressources internes renvoient aux connaissances acquises et intégrées par l’étudiant, les savoir-faire et savoir-être qu’il a pu développer. Les ressources externes renvoient aux outils, aux réseaux de personnes ou d’informations qu’il sera capable de mobiliser.

 

(ref10)

R. Arpin, L. Charbonneau. "L'approche par compétences et l'avenir des mathématiques dans la formation technique : l'enseignement des mathématiques remis en question", Bulletin de l'association mathématique du Québec, vol. XLVIII (1), 11-28 (2008)

 

(ref11)

https://www.campusmatin.com/numerique/pedagogie/pratiques/replay-quels-defis-relever-pour-mettre-en-oeuvre-l-approche-par-competences.html

 

(ref12)

J. Lapan. "Le discours étudiant sur les transformations néolibérales de l’éducation : analyse de contenu du discours de l’ASSÉ, de la FEUQ et de la FECQ". (Université du Québec à Montréal) (2007) http://studentunion.ca/docs4/Le-discours-etudiant-sur-les-transformation-neolibrales-de-l-education-Julien-Lapan.pdf pages 42-43

 

(refplus1)

Le portfolio, ou portefeuille de compétences est un dossier qui présente l'ensemble des compétences d'une personne (acquis de la formation et de l'expérience.) C’est un outil de traçabilité du parcours des étudiants particulièrement chronophage et introspectif.

 

(ref13)

M.F. Le Marec, M. David. "Les universités à l'heure du "tout compétences" : l'exemple de Nantes", Dossier l'injonction aux compétences, FDM, °646, 8-10 (2016)

 

(ref14)

L. Frouillou, C. Pin, A. van Zanten. "Les plateformes APB et Pacoursup au service de l'égalité des chances ?", L'année sociologique, 70(2), 337-363 (2020)

 

(ref15)

B. Romuald, S. Orange. "L'universityé n'est pas en crise. Les transformations de l'enseignement supérieur : enjeux et idées reçues", Edition du Croquant (2013) p.53

 

(ref16)

"La réorientation dans l'enseignement supérieur" Rapport IGESR (2020)

 

(ref17)
"L'état de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation en France" (avril 2021)

 

(ref18)

L. Balland et M. David, « L’hétéronomie des savoirs. Déterminations et concurrences disciplinaires de l’offre de sociologie en Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation », Sociétés contemporaines, n°124, 2021.

 

(ref19)

"Modèle économique de la transformation numérique
des formations dans les établissements d’enseignement supérieur", Rapport n° 2019‐094 ‐ Octobre 2019 https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2019/10/4/Modele_economique_transformation_numerique_formations_etablissements_enseignement-sup_1224104.pdf

 

(ref20)

Bridoux Stéphanie, de Hosson Cécile, Nihoul Céline, "Pratiques in situ d’enseignants universitaires et confrontation avec le vécu des étudiants : une étude de cas" in "INDRUM" , 179-188, Bizerte, Tunisie (2020)

 

(ref21)

C. de Hosson, Adry Manrique, Leslie Regad, Aline Robert. Du savoir savant au savoir enseigné, analyse de l’exposition des connaissances en cours magistral de physique : une étude de cas. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, Association internationale de pédagogie universitaire, 2018, 34 (1)

 

(ref20)

Voir par exemple l’affaire récente des tests sanguins de la société Theranos :

https://www.lesechos.fr/start-up/ecosysteme/affaire-theranos-elizabeth-holmes-jugee-coupable-davoir-trompe-ses-investisseurs-1376340 ou encore le cas des industries sucrière et du tabac :

Sugar Industry and Coronary Heart Disease Research A Historical Analysis of Internal Industry Cristin E. Kearns, DDS, MBA1,2; Laura A. Schmidt, PhD, MSW, MPH1,3,4; Stanton A. Glantz, PhD1,5,6,7,8,JAMA Intern Med. 2016;176(11):1680-1685. doi:10.1001/jamainternmed.2016.5394

Tobacco industry efforts subverting International Agency for Research on Cancer's second-hand smoke study E K Ong, S A Glantz PMID: 10770318 DOI:10.1016/S0140-6736(00)02098-5

 

(ref21)

Enseignement et recherché sont inséparables, A. Zimmer, C. Lemercier et P. Cénac-Guesdon, La Vie des Idées, 24 janvier 2020

https://laviedesidees.fr/Enseignement-et-recherche-sont-inseparables.html

 

(ref22)
voir Le Snesup n° 698, octobre 2021