Rapport Laurent (1994)

Publié le 1 janvier 1970

Universités, relever les défis du nombre
Rapport Laurent (1994)

NDRL : Plan avec liens mis en forme par Webmestre snesup.fr ; la mise en relief est celle des auteurs ; version html originale enregistrée à partir de http://guilde.jeunes-chercheurs.org/Reflexions/Documents/

La lettre de mission : cliquer ici



INTRODUCTION

I - QUELQUES FACTEURS QUI DETERMINENT L'EVOLUTION DES ENSEIGNEMENTS SUPERIEURS II - DE L'INSERTION DES ETUDIANTS III - DE LA VIE SOCIALE ETUDIANTE IV - DU BUDGET DES UNIVERSITES V - DE L'UNIVERSITE CITOYENNE VI - DU GOUVERNEMENT DES UNIVERSITES CONCLUSION

Rérérences

INTRODUCTION Pour revenir en haut de cette page !

Monsieur le Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a chargé notre groupe de réflexion de porter une "appréciation sur l'adaptation de l'université actuelle aux missions de l'enseignement supérieur, aux exigences de son environnement économique et social et à la demande de formation."

Notre réflexion a été centrée sur l'université comme composante du système d'enseignement supérieur français dont la mission générale définie par l'article 1 de la loi Edgar FAURE en 1968[1] est toujours actuelle.

"Les Universités ... ont pour mission fondamentale l'élaboration et la transmission de la connaissance, le développement de la recherche et la formation des hommes.

Les universités doivent s'attacher à porter au plus haut niveau et au meilleur rythme de progrès les formes supérieures de la culture et de la recherche et à en procurer l'accès à tous ceux qui en ont la vocation et la capacité.

Elles doivent répondre aux besoins de la nation en lui fournissant des cadres dans tous les domaines et en participant au développement social et économique de chaque région. Dans cette tâche, elles doivent se conformer à l'évolution démocratique exigée par la révolution industrielle et technique."

Par la création du savoir, et sa transmission aux étudiants, l'enseignement supérieur est l'un des fondements des sociétés modernes avancées. Aujourd'hui et encore plus au XXIème siècle, la compétition économique sera d'abord celle de la matière grise, la place de notre pays dans cette compétition dépend largement de la qualité de l'enseignement dispensé de l'Ecole à l'Université.

L'enseignement supérieur français ne se réduit pas aux seules universités. Il est riche de multiples composantes, diverses par leurs missions, leur taille, leur histoire, leur statut. Certaines de ces entités, bien que distinctes au plan juridique, entretiennent des relations fortes entre elles, c'est le cas au niveau de la recherche et des formations doctorales, pour les universités et les grandes écoles. D'autres s'ignorent malgré des liens institutionnels forts, par exemple telles facultés ou instituts au sein d'une même université. Cependant, la circulation des hommes est très importante et transcende les barrières institutionnelles.

Au sein de ce système les universités occupent une place centrale, par le nombre des étudiants qu'elles accueillent, la diversité des formations qui dispensent le savoir le plus moderne, la richesse de leurs réseaux de laboratoires et d'équipes de recherches qui sont les lieux où se réalise la recherche fondamentale française.

Comme le souligne le rapport sur la France de l'an 2000 [2], "A l'image du fonctionnement de la société française, le système d'enseignement est meilleur qu'on ne le dit, mais en deçà de ce qu'il devrait être. Du primaire au supérieur, il vit depuis deux décennies une mutation parallèle à celle du pays dont il est d'une certaine manière le miroir. La majorité du groupe estime qu'il a, contrairement aux idées trop fréquemment véhiculées, évolué plus rapidement que la société."

Ce jugement est particulièrement vrai pour les universités qui ont réalisé au cours des 25 dernières années une mutation comme peu d'institutions françaises l'ont faite, tant au plan quantitatif qu'au plan qualitatif et structurel. De nombreux auteurs l'ont souligné, un nombre d'étudiants multiplié par deux, des effectifs d'enseignants augmentés de 50%. Elles mobilisent aujourd'hui 40 milliards de francs, dont 22 à la charge de l'Etat, soit 1,26% du budget de ce dernier.

Au plan qualitatif par exemple, le vieux débat, pour savoir si l'université devait se limiter à dispenser des formations fondamentales ou s'engager vers l'implantation de filières professionnelles ouvertes vers des débouchés nouveaux, débat qui, il y a encore 15 ans, engendrait des tensions très vives, est largement dépassé.

Sait-on qu'en 1992, plus de 30 % des diplômes d'ingénieurs délivrés l'ont été au sein des universités et que 42,5% des diplômes de 3ème cycle délivrés étaient des DESS ? La montée en puissance des IUP devrait amplifier cette évolution. Les formations de troisième cycle, DEA, écoles doctorales, dispensent aux meilleurs étudiants issus de leurs deuxièmes cycles et des grandes écoles, des formations par la recherche largement compétitives avec ce qui se fait de mieux dans le monde.

Cette évolution ne s'est pas faite sans soubresaut car elle a été plus subie qu'anticipée par les institutions universitaires et les gouvernements. En revanche, bien souvent dans le domaine des formations le changement a largement été initié à la marge, conduit par quelques petits groupes d'universitaires pionniers, parfois en situation de "pouvoir" qui, non sans mal, ont su faire prévaloir leurs idées et les mettre en oeuvre malgré la lourdeur des institutions locales et la pesanteur de l'administration centrale. Il en a été ainsi en leur temps pour les IUT, la création d'universités technologiques telles que Compiègne, les maîtrises de sciences techniques, les formations de deuxième cycle à finalité professionnelle, les DESS. Plus récemment, les IUP, les formations s'inscrivant dans le cadre de l'alternance ou de l'apprentissage, notamment les filières dites "Descomps" et des formes originales d'aménagement des enseignements de premier cycle.

Cependant aujourd'hui l'opinion juge l'université sur la façon dont elle accueille et forme les 270.000 jeunes bacheliers qui s'inscrivent chaque année à l'entrée du premier cycle ; de ce point de vue, elle ne satisfait que partiellement à sa mission. Cette évolution que d'aucuns dénomment massification, modifie l'essence de nos enseignements supérieurs français et surtout de nos enseignements universitaires.

Les enseignements supérieurs français accueillent autour de 40% d'une classe d'âge, taux légèrement inférieur à celui des Etats-Unis et très inférieur à celui du Japon. Observons que les Etats-Unis et le Japon ont résolu le problème de la massification en banalisant le concept d'université, dont la dénomination recouvre des établissements de nature très différente. Ainsi aux Etats-Unis, plus de 40% des étudiants sont accueillis dans des "community colleges" post secondaires.

Les universités françaises, et à travers les universités, notre société, relèvent mal le défi de concilier les nombres et un ensemble de qualité.

Ce défi ne se relèvera pas de lui-même. Si aucune inflexion n'est apportée aux dérives actuelles, au cours des prochaines années, le poids du nombre peut mettre à mal l'institution y compris ce qui est son socle et qui justifie le qualificatif de supérieur, la recherche de haut niveau.

Ce défi nous concerne, mais il est aussi européen, comme l'observait le Conseil Economique et Social en 1992[3].

"L'ère de l'enseignement supérieur de masse est d'ores et déjà celle des universités européennes. Les jeunes européens ont pris d'assaut les universités. Aujourd'hui, plus de 380 universités, plusieurs milliers d'établissements non universitaires et de centres de formations supérieures accueillent près de 7 millions d'étudiants, soit deux fois plus qu'il y a vingt ans, et ce en dépit de stratégies sélectives diverses qui ne peuvent qu'avec peine contenir la vague d'assaut."

La France n'échappe pas à cette nouvelle logique.

"Trente, quarante, cinquante pour cent d'échecs ou d'abandons en cours d'étude apparaissent ainsi en Italie, au Danemark, aux Pays-Bas, en Espagne, en France. Cela souligne la difficulté partout rencontrée de faire prendre en charge à ce niveau de formation une gestion plus pertinente de l'hétérogénéité des flux."

Relever les défis du Nombre sans sacrifier l'Excellence, telle est la préoccupation majeure qui a guidé nos travaux.

A partir d'une analyse sans complaisance, notre groupe propose des évolutions de notre système universitaire afin qu'il assume les missions imparties par la loi dans un contexte où il doit concilier

- le Nombre, c'est-à-dire l'accueil du plus grand nombre d'étudiants, tant en formation initiale qu'en formation permanente,

- l'Excellence, sans laquelle il n'y a pas d'enseignement supérieur.

Observons que relever les défis du Nombre est une exigence pour respecter le principe républicain de l'égalité des chances entre les individus. Le groupe rappelle que l'université républicaine doit permettre à un jeune d'accéder au plus haut niveau des enseignements supérieurs en fonction exclusivement de ses aptitudes et de son travail.

Afin de préciser l'esprit dans lequel se sont déroulés nos travaux et le parti pris qui guide nos propositions, nous précisons les concepts et les principes d'action auxquels le groupe s'est référé.

Les concepts :

Excellence, Evaluation, Diversité.

L'EXCELLENCE : L'objectif, concilier Nombre et Excellence au sein du système universitaire, exige que l'on précise le concept d'excellence.

Pour se maintenir en tête des pays avancés, la France a le devoir de se doter des moyens permettant de répondre aux grands défis modernes et, à cette fin, de miser, en premier lieu, sur la formation des hommes.

S'il demeure essentiel de former une élite intellectuelle et scientifique, cela ne suffit plus. La pensée créatrice n'a de sens que si elle est relayée par de véritables corps de métiers bénéficiant du savoir et du savoir-faire qu'exige la compétition mondiale.

Appartenir aujourd'hui à une élite, c'est occuper par sa valeur, son travail et son mérite personnels une place de choix dans une hiérarchie de compétences ( donc de savoir ou de savoir-faire) qui est devenue mondiale. Ainsi, selon l'expression du Général de Gaulle, "l'élite française"[4]concerne l'ensemble des Français. Chacun, dans son domaine, qu'il soit manuel, technique, scientifique, culturel, artistique, économique, sportif, doit aspirer à se situer parmi les meilleurs au plan mondial.

Pour assurer à nos productions et à nos services le maximum de valeur ajoutée, chaque "ouvrier", au sens étymologique du terme, c'est-à-dire celui qui possède véritablement un métier acquis par apprentissage ou par une longue pratique, qu'il soit chef d'entreprise, ingénieur, technicien, ouvrier, agriculteur, commerçant ou artisan, doit aspirer à se situer parmi les meilleurs afin d'égaler, voire de surpasser ses concurrents étrangers.

Cette ambition réclame des jeunes capables d'appréhender la réalité sans a priori, de donner au concret la place qui lui revient et de se garder du dogmatisme. C'est à ce prix que tous les jeunes Français appartiendront à "l'élite".

Pour cela, dans son champ d'action, l'université doit faire évoluer ses propres critères d'excellence.

Il n'y a pas une excellence mais des excellences. L'excellence est diverse.

S'il est évident de dire que l'excellence d'une formation, d'un établissement, d'un laboratoire ne s'autoproclame pas, ce l'est moins de rappeler que dans le domaine de l'enseignement tout comme celui de la recherche, l'excellence n'est pas normalisée. L'excellence est diverse.

Or, aujourd'hui, ce concept est galvaudé ; on institue a priori des filières d'excellence, on décrète des pôles d'excellence... Parfois c'est le niveau des élèves ou des étudiants à l'entrée qui détermine l'excellence de la formation ou de l'institution, d'autres fois c'est le caractère fortement académique et traditionnel, alors l'excellence fait partie de l'héritage de la génétique universitaire. Observons que cette appréhension très subjective et réductrice de l'excellence explique pour partie la désaffection de la société française, à commencer par sa classe dirigeante, pour l'enseignement professionnel et technique.

Reprenant l'analyse du sénateur Laffite à propos d'"Excellence et Aménagement du Territoire"[5], lors du colloque national sur la recherche :

"Nous affirmons que l'excellence doit être appréciée par rapport aux missions imparties ou aux objectifs assignés à une formation ou une institution. Elle doit faire l'objet d'une évaluation dans cet esprit."

L'EVALUATION : L'excellence prend des formes multiples ; elle exige l'évaluation. Evaluation par rapport aux missions assignées à une formation ou un établissement ; cela paraît évident, cela l'est moins dans la pratique, car cela suppose que les objectifs soient clairement assignés, afin qu'une formation ou un établissement puisse prétendre à l'excellence par rapport aux objectifs qu'il aura lui-même définis.

L'évaluation universitaire, ce n'est pas un contrôle tatillon ou réglementaire, a priori sur dossiers, c'est l'analyse des performances réelles sur le terrain. Cette évaluation doit être conduite de façon rigoureuse par des équipes de consultants dont la composition et le choix des personnes, notamment des personnalités étrangères reconnues, garantissent la crédibilité des conclusions qui doivent être rendues publiques, afin que la "Cité" puisse apprécier, et éclairer le choix de ses jeunes citoyens, qui souhaitent s'engager vers telle ou telle formation, dans tel ou tel établissement. Disons pour simplifier que l'évaluation dans le domaine de la recherche va dans le bon sens mais qu'il faut l'étendre à tous les domaines de la vie universitaire.

Ce concept d'évaluation est d'autant plus essentiel qu'il se justifie par l'excellence, mais aussi par la diversité.

LA DIVERSITE : Constater la diversité du système d'enseignement supérieur français et de sa composante universitaire est une évidence.

Diversité des étudiants, de leurs motivations, de leurs ambitions, de leur situation personnelle...

Diversité des établissements, certains accueillent près de 40 000 étudiants, d'autres moins de 10 000 ; certains sont pluridisciplinaires et intégrés, d'autres quasi monodisciplinaires ; certains ont conservé des composantes de facultés très fortes ; certains ont des racines historiques de plusieurs siècles, d'autres sont jeunes de quelques décennies, voire de quelques années, certains sont monosites, d'autres éclatés sur plusieurs localisations...

Diversité des disciplines, de leurs traditions, de leurs critères d'excellence, de leurs organisations, de leurs us et coutumes non écrits, autrement plus importants, comme le souligne le Doyen Vedel [6], que les circulaires et les règlements.

Diversité des formations, de leur organisation, de leurs finalités, professionnelle ou fondamentale, diversité des formations professionnelles selon qu'elles concernent le secteur tertiaire ou le secteur secondaire.

Diversité des pratiques du métier d'universitaire. Un professeur de médecine ne pratique pas comme un professeur de physique, les pratiques de ce dernier ne sont pas celles d'un professeur de mathématiques ou d'un professeur de droit public qui se distingue d'un professeur de droit privé, ou d'économie. Dans une même discipline, tel universitaire privilégie des activités de recherche analytique, engagé dans des travaux qui le situent sur le front de la compétition scientifique internationale ; tel autre se consacre à des recherches plus synthétiques pour reprendre la classification de Philippe Lazar [7], tel autre enfin imagine et implante de nouvelles formations pour mieux répondre aux mutations technologiques et organisationnelles qui se dessinent.

Enfin, diversité des demandes de la société vis-à-vis des enseignements supérieurs et des universités ; pour les responsables des collectivités territoriales, les établissements d'enseignement supérieur contribuent au développement économique et à l'image de leur territoire ; pour d'autres, c'est le rayonnement culturel induit par des établissements supérieurs. Pour les parents et les étudiants, beaucoup plus pragmatiquement, c'est la sortie qui importe, "où cela mène-t-il ?"

La diversité constatée, il convient de l'appréhender à travers un cadre législatif et réglementaire, qui ne la bafoue pas, car la diversité traduit les différentes voies pour atteindre l'excellence.

Les Principes :

Autonomie, Responsabilité, Légitimité.

L'AUTONOMIE : Pour le groupe de réflexion, il n'y a aucune ambiguïté, l'Etat doit rester responsable de la coordination nationale des enseignements supérieurs.

Ce préalable étant affirmé, le groupe se prononce en faveur de l'autonomie la plus large, en respectant les spécificités françaises et l'attachement du corps social à certains symboles, tel le culte du diplôme national[8].

Ce choix n'a rien de révolutionnaire puisqu'il est inscrit dans la loi depuis 1968 et qu'il recueille un large consensus. Au cours de nos consultations nous n'avons rencontré qu'une seule organisation s'élevant contre des universités autonomes. En faire un principe d'action, c'est, chaque fois que cela est possible, aller le plus loin possible vers l'autonomie des établissements, en tirer toutes les conséquences et ne pas cacher mais gérer les contradictions qui se font jour, telles que par exemple :

- Comment concilier l'Autonomie des Universités et l'Autonomie des Universitaires ?

- Comment concevoir l'Autonomie des Universités sans bafouer les Disciplines ?

Ce que l'on peut reprocher aux gouvernements qui se succèdent et aux majorités qui les soutiennent c'est de ne pas choisir entre autonomie des établissements et autorité totale de l'Etat. Les lois prônent l'autonomie, mais les décrets, arrêtés et circulaires tendent trop souvent à renforcer les pouvoirs de l'administration centrale ou témoignent d'une méfiance à l'égard des responsables des "établissements autonomes" ! Encore récemment ... Mais il est vrai que l'autonomie n'est un principe d'action que s'il s'accompagne du principe de responsabilité.

LA RESPONSABILITE : L'autonomie ne prend son sens que si les responsabilités des uns et des autres sont clairement affichées. La responsabilité ne se partage pas. Par exemple, l'Etat est responsable de la collation des grades, qu'il l'assume ! L'assumer ce n'est pas mettre en place des procédures d'habilitation compliquées et centralisées, l'assumer c'est retirer le droit à un établissement de délivrer tel diplôme national si, après évaluation, on constate que les règles ne sont pas respectées et surtout les objectifs ne sont pas atteints, en bref, si le contrat est rompu et que les intérêts des étudiants sont lésés.

De la même façon que la responsabilité d'un département ministériel n'est pas assumée par les bureaux de l'administration centrale mais par le Ministre, la responsabilité dans un établissement ne peut être assumée par des commissions mais par des responsables universitaires dotés d'une légitimité forte.

LA LEGITIMITE : La légitimité est certainement l'un des principes essentiels d'action. Les demandes se diversifient, nous l'avons vu. La légitimité d'une institution universitaire ne peut émaner exclusivement du corps universitaire lui-même. L'Université en tant qu'établissement n'est pas une corporation. L'Université est un service public, sa légitimité émane de l'Etat bien sûr, mais elle doit aujourd'hui transcender cette analyse, car la légitimité, comme le souligne avec pertinence Claude Allègre[9] doit émaner de sa citoyenneté, de sa légitimité par rapport à la Cité, par rapport aux collectivités territoriales, et au-delà vis-à-vis de la société civile comprise au sens large.

Tels sont les concepts et principes d'action qui ont servi de base aux propositions du groupe et donnent la possibilité à nos établissements universitaires de relever les défis du Nombre et de l'Excellence.

Conformément à sa lettre de mission, le groupe de travail a tout d'abord analysé quelques-uns des facteurs généraux qui déterminent l'évolution des enseignements supérieurs et dégagé quelques facteurs propres à notre pays. Il s'est attaché ensuite à dresser rapidement un constat et propose des évolutions possibles pour relever les défis du nombre dans les domaines suivants :

- l'insertion des étudiants

- la vie sociale étudiante

- le budget des université

- l'université et la cité

- le gouvernement des universités.

Le groupe est parfaitement conscient de ne pas avoir abordé l'ensemble des facteurs qui déterminent l'évolution de l'enseignement supérieur, notamment ceux relatifs à la recherche et au déroulement des carrières universitaires. Ces deux aspects ont largement été analysés lors du Colloque National sur la Recherche et à travers le rapport de Maurice Quenet[10]. Il est clair qu'une synthèse générale de ces travaux s'avère nécessaire, elle ne peut être réalisée qu'au niveau du Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.

I - QUELQUES FACTEURS QUI DETERMINENT L'EVOLUTION DES ENSEIGNEMENTS SUPERIEURS

L'évolution des enseignements supérieurs ne peut être analysée sans prendre en compte certains facteurs généraux d'évolution de la société. Certains sont communs à tous les pays développés, telle la demande accrue pour l'enseignement supérieur et les mutations technologiques, d'autres sont spécifiques à la France, la modification qualitative du flux d'entrants dans nos premiers cycles ou la demande d'implication des collectivités territoriales.

I - 1 - QUELQUES FACTEURS GENERAUX PROPRES A TOUS LES PAYS DEVELOPPES Pour revenir en haut de cette page !

a) Une demande accrue pour l'enseignement supérieur, induisant de nouvelles exigences pour l'institution universitaire

Partout, le flux d'entrants dans l'enseignement supérieur s'accroît, la tendance est à l'allongement des études, les parcours se diversifient au sein des formations offertes avec de nombreux allers-retours entre formation et activité professionnelle.

Dans notre pays, pour les jeunes et pour leurs parents, un diplôme de l'enseignement supérieur, est perçu comme le meilleur passeport pour l'emploi, ou, pour le moins, est considéré comme une assurance anti-chômage. Comme le souligne une étude récente du CEREQ, malgré la crise, le taux de chômage des diplômés de l'enseignement supérieur, y compris celui des diplômés récents, est inférieur à celui de ceux qui ne le sont pas[11]. Le profil des étudiants est très varié : des parcours scolaires très contrastés, une grande diversité sociale, une grande variété d'âge. Dans tous les pays développés, les universités doivent et devront de plus en plus répondre à des demandes plus différenciées d'éducation ou de formation professionnelle, notamment de la part de jeunes adultes différents par leurs besoins de formation, par le temps qu'ils peuvent lui consacrer...

Aux Etats-Unis, une fraction importante des étudiants, plus de 50%, est à temps partiel ; plus d'un tiers est âgé de plus de 35 ans. Dans notre pays, à la rentrée 1993, 2% des étudiants ont plus de 30 ans et sont en premier cycle ; cette proportion est de 3% en deuxième cycle. La proportion des étudiants à temps partiel n'est pas connue.

Comme le notent des observateurs avisés, les universités, et pas seulement en France, doivent déjà et devront s'adapter de plus en plus à ces nouveaux publics, diversifier leurs programmes et prévoir les rattrapages nécessaires. Pierre Tabatoni[12] par exemple note : "Cette variété de public est à la fois une contrainte et un atout, car les universités devront maintenir les exigences de la formation supérieure et entreprendre de sérieuses innovations pédagogiques."

Les universités devront s'associer plus régulièrement à des actions "hors les murs" pour s'en inspirer et y porter témoignage, et surtout anticiper leur transformation.

Cette évolution remet en cause les programmes, les méthodes d'enseignement, le métier d'universitaire, l'organisation universitaire elle-même.

Aux Etats-Unis, cette évolution est au coeur des préoccupations de la communauté universitaire et elle ne va pas sans soulever de nombreux problèmes. Des responsables universitaires américains affirment : "L'éducation universitaire est confrontée à une rupture"(University education is experiencing an enormous breakdown). Ils constatent qu'ils doivent réviser radicalement les fondements sur lesquels reposent leur pratique et leur vision du monde. Dans le domaine de l'ingénierie par exemple Peter Denning[13] s'interroge :

"Qu'est-ce qu'une profession ? Qu'est-ce qu'une université ? Qu'est-ce que l'éducation ? Qu'est-ce que la recherche ? Qu'est-ce qu'un travail ? Qu'est-ce qu'une innovation ?"

Ils estiment qu'il y a crise dans la formation dispensée par l'université, car elle est inadaptée aux changements et aux bouleversements des marchés mondiaux. Il y a un danger pour le devenir de l'institution universitaire, car elle va être en compétition avec des entreprises qui vont bientôt prendre en charge elles-mêmes la formation des jeunes.

Ainsi aux Etats-Unis, malgré la grande souplesse du système, cette évolution des missions de l'université, face aux nouvelles demandes, et le décalage actuel, engendrent de nombreux griefs de la part de la société civile comprise au sens large qui se plaint que les étudiants, et notamment les moins avancés dans leurs études, ne soient pas au centre du dispositif universitaire.

"Les parents et les étudiants critiquent les droits d'inscription élevés, les classes surchargées et impersonnelles, ils constatent qu'ils ont davantage de contacts avec des enseignants débutants qu'avec les professeurs confirmés, que les professeurs consacrent trop de temps à leurs activités de recherche".

Ils résument la situation par une boutade : "Faculty publish, students perish". Les étudiants sont considérés comme des groupes homogènes alors que leurs origines et leurs motivations sont très différentes. Ils dénoncent également les taux d'échec, par exemple dans les études d'ingénieurs où 35% n'obtiennent pas le diplôme.

Quant aux professeurs, ils se plaignent que les étudiants issus des lycées sont mal préparés aux études universitaires et qu'ils doivent abaisser les critères d'admission.

Rappelons au lecteur que cette analyse concerne les Etats-Unis ! Nous avons cité cet exemple pour bien montrer que le problème de l'accueil de nouveaux publics est aujourd'hui un problème international qui se pose à l'ensemble des universités.

Cet accueil exige une véritable révolution culturelle de la part de l'institution, révolution rendue nécessaire par la pression et la demande de la société. Si l'institution universitaire ne répond pas à cette demande, d'autres institutions y répondront.

b) Les technologies de l'information

"La révolution de l'an 2000 sera celle de l'information pour tous... Elle modifiera fondamentalement les structures économiques, les modes d'organisation et de production, l'accès de chacun à la connaissance, les loisirs, les méthodes de travail et les relations sociales" [14].

C'est une évidence, cette révolution, qui modifie déjà et qui modifiera de plus l'organisation même de la société, ne sera pas neutre pour les universités. L'éducation est confrontée à la même révolution technologique que les autres secteurs d'activités qui sera encore plus importante que la révolution industrielle.

Déjà, leurs laboratoires de recherches sont des utilisateurs quotidiens et avisés des services offerts par les différents réseaux de communication. Certains de leurs étudiants, et pas nécessairement les plus avancés, sont familiarisés avec un réseau tel qu'Internet. Cependant, cette révolution n'est pas au centre des préoccupations des responsables de l'administration centrale et des institutions universitaires et ils ne l'intègrent pas toujours - c'est une litote - dans leur démarche de prévisions et de prises de décisions.

Les possibilités offertes par les nouvelles technologies représentent une opportunité majeure pour les universités.

Les nouvelles technologies ne remplaceront pas les professeurs ! Elles apportent en revanche une réelle valeur ajoutée à leur métier.

L'enseignement supérieur doit compter avec elles au lieu de les ignorer ou les redouter et développer un système de formation adapté dans ses contenus et ses méthodes aux évolutions technologiques et culturelles de notre société et son environnement international.

Nous mentionnons deux aspects : l'enseignement à distance et les bibliothèques virtuelles.

b1) L'enseignement à distance : Cette forme d'enseignement conduit déjà et conduira à une forme de mondialisation des enseignements supérieurs, citons Reuven Brenner de l'université Mac Gill au Canada : "Utilisant les technologies de communication les plus perfectionnées, les universités privées pourront offrir des cours partout dans le monde. Harvard, Carnegie Mellon, Northwestern et un certain nombre d'autres institutions le font déjà. Les gens ne devront pas aller à Boston, Pittsburgh ou Chicago pour étudier... Les universités viendront à eux par le biais de câbles, de vidéo, de lignes téléphoniques et d'ordinateurs. Si dans le passé, les étudiants et les professeurs se déplaçaient, demain ce sera le tour des universités. Il ne s'agit pas là d'une utopie : cela arrive déjà." Et comme il s'agit d'Amérique du Nord, Reuven Brenner ajoute : "Ces changements diminuent encore le désir des contribuables de subventionner les institutions locales" !

En France, l'avant-projet sur les schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la recherche, souligne que le développement de l'enseignement à distance est l'une des réponses possibles à la croissance des effectifs ou aux contraintes de certains étudiants ne pouvant participer directement à l'enseignement sur le site. Il permet de moduler l'offre (la participation à certains enseignements, notamment les enseignements magistraux étant assurés grâce à ce dispositif, les TP et les TD étant assurés localement).

Cette présentation de l'enseignement à distance risque néanmoins de le vouer à l'échec, car il n'est présenté que comme un palliatif au manque d'enseignants[15].

Il convient de voir au contraire la valeur ajoutée qu'il apporte par l'enrichissement des programmes : interventions d'experts, options de spécialité communes à plusieurs universités, notamment en DEA, ouverture européenne et internationale. L'enseignement à distance est le moyen adapté aux établissements envisageant un fonctionnement en réseau.

C'est par exemple, sur cette voie que s'engagent quatre grandes écoles de commerce : l'ESSEC, l'EDHEC, l'ESC Lyon et l'ESC Nantes viennent de s'associer pour implanter en commun un réseau informatique et des salles de visioconférence. Autre contexte, démarche analogue : dans le Nord de la France, l'université du Littoral, éclatée sur plusieurs sites, implante un réseau de visiocentres qui permettent aux différents pôles de l'université de partager des ressources pédagogiques, d'éviter de doubler certains investissements, de communiquer entre eux pour la gestion interne.

De même, en ayant recours à un autre dispositif de visioconférence, dont l'ergonomie est particulièrement adaptée à ce type d'usage : visioamphi, l'université de Reims Champagne-Ardenne a pu offrir à ses étudiants une nouvelle formation d'informatique, en faisant intervenir à distance depuis l'université de Marne la Vallée les spécialistes qu'elle n'avait pas.

On peut ainsi concevoir que telle école, ou université de la région parisienne dispense des enseignements, organise des séminaires par visioconférence interactive en Corse ou en Lozère, et inversement l'IUT de Tarbes pourrait dispenser des actions de formation continue en Lorraine ou en Ile-de-France.

L'enseignement à distance est aussi un enseignement asynchrone, où l'étudiant accède à distance à l'information pédagogique dont il a besoin : les nouvelles architectures de bases de document ou de vidéo "à la demande" sont là pour y répondre.

b2) Communication et édition électroniques :

Aujourd'hui, les calculateurs et les techniques instrumentales de pointe sont accessibles à distance.

En bref, un campus universitaire n'est plus le domaine exclusif d'accès à une bibliothèque, un ordinateur, un instrument scientifique.

Dans le domaine de l'instrumentation, les informations analytiques numérisées peuvent alors être transmises par réseau, à de multiples partenaires. Ceux-ci ont ainsi instantanément accès à des compétences lourdes en équipement et en personnel qu'il leur serait difficile, voire impossible, de développer individuellement.

Les bibliothèques deviennent numériques et sont accessibles par les réseaux. La "bibliothèque virtuelle" n'est plus simplement un concept pour les années futures, elle devient réalité.

Les éditeurs, y compris les éditeurs français, ont tous des projets, des expérimentations de fourniture de revues et d'ouvrages sous forme électronique ; la Bibliothèque de France proposera une partie de ses collections sous forme numérisée, qu'il sera possible de feuilleter à distance. Un programme de numérisation des thèses est également en cours.

A ces collections d'ouvrages et revues, déjà inscrits dans une politique éditoriale, il devient désormais possible d'ajouter de nouvelles ressources, qui ne sont pas actuellement dans les circuits de distribution : il faut organiser, de manière cohérente, la "mise sur le réseau" (moyennant cession rétribuée de droits), de la "production" d'universitaires : documents de formation et documents de recherche, littérature grise, rapports de stages, comptes rendus...

Cette production originale doit elle-même être réalisée en utilisant les techniques d'édition d'aujourd'hui. Ainsi depuis quelques années sont commercialisées, pour les professionnels du monde de l'édition et de la PAO, des banques d'images fixes, libres de droit : le créateur achète une collection d'images (en général sur CD-ROM) et peut ensuite s'en servir pour créer ses propres documents. S'en servir veut dire les utiliser en l'état, ou les retoucher pour les adapter.

A ces banques d'images fixes, vont succéder des banques d'images vidéo.

De même, devraient pouvoir être accessibles aux enseignants, pour leur permettre de préparer leurs supports de cours (transparents, supports informatiques ou audiovisuels), ou d'illustrer leur cours (simulations) des bases de données : modules élémentaires de cours

Si l'on en croit Andrew M. Odleyzko de ATT Bell Lab aux Etats-Unis, les changements seront radicaux :

"Les revues savantes traditionnelles sont appelées à disparaître dans les 10 ou 20 ans. Nos produits électroniques qui viendront se substituer à ces revues seront bien différents des périodiques actuels même s'ils porteront le même titre."

"Si l'on peut faire apparaître n'importe quel article sur son écran, et si après avoir décidé s'il est intéressant, on peut l'imprimer sur son imprimante laser à côté de soi, a-t-on besoin d'une bibliothèque ?"

Pour Andrew M. Odleyzko, cette mutation concerne au premier chef la conception même de nos bibliothèques.

"Qu'en sera-t-il des bibliothèques ? Elles devront aussi réduire leur taille et changer leurs rôles. La transition vers le nouveau système sera probablement moins pénible pour elles que pour les éditeurs. Il y a beaucoup plus d'inertie dans le système des bibliothèques, avec ses vieilles collections qui devront être préservées, mais converties en format numérique. Finalement, nous n'aurons besoin que d'un nombre restreint de bibliothécaires assurant la classification des ouvrages. Si les revues d'analyses d'articles évoluent de la façon ici décrite, elles fourniront directement aux scientifiques tous les services traditionnellement dévolus aux bibliothèques. Avec un accès électronique immédiat à toute information dans un domaine donné, avec des outils mobiles et performants, des analyses et d'autres moyens, quelques douzaines de bibliothécaires et de scientifiques attachés à des revues d'analyses d'articles pourraient suffire pour faire le travail d'un millier de bibliothécaires."

Propos excessifs ? ou prémonitoires ? la question reste ouverte.

I - 2 - LES FACTEURS PROPRES A LA FRANCE Pour revenir en haut de cette page !

Demande accrue et diversifiée pour l'enseignement supérieur, des exigences du corps social à l'égard de l'enseignement supérieur à satisfaire, amplification de la formation permanente, révolution de l'information, tels sont les facteurs généraux qui déterminent l'évolution de l'enseignement supérieur dans l'ensemble des pays avancés.

Dans notre pays, à ces facteurs s'ajoutent deux facteurs plus spécifiques :

a) l'accroissement prévisible d'étudiants mal préparés pour suivre avec succès des premiers cycles généraux (si rien n'est fait pour infléchir la tendance)

b) une demande forte des collectivités locales pour s'impliquer dans les enseignements supérieurs.

a) L'accroissement prévisible d'étudiants mal préparés pour suivre avec succès les premiers cycles généraux

Ceci est confirmé par le Directeur des Lycées et Collèges qui s'attend au cours des prochaines années à une augmentation du flux des bacheliers. Cette augmentation concernera surtout les bacheliers technologiques et professionnels. Elle ne sera pas bien entendu sans incidence sur les premiers cycles universitaires, comme le souligne le rapport récent sur le schéma concerté des formations post-baccalauréat 1993-1997 (août 1994) :

"Les flux de bacheliers technologiques entrant dans les filières longues universitaires où ils sont massivement en position d'échec, ne seront pas réduits du simple fait de la relative stabilité démographique attendue au cours des prochaines années".

Selon la DEP, en prolongeant simplement la tendance actuelle, avec une hausse de l'accès au supérieur des bacheliers technologiques avec un afflux massif à l'université, notamment en lettres et sciences humaines, en 2003, il y aurait 1 574 000 inscrits dans les formations générales, dont 674 000 en lettres et sciences humaines, 109 000 en IUT, 256 000 en STS.

Un deuxième scénario table sur des poursuites d'études encore plus fortes des bacs technologiques, mais cette fois-ci orientées davantage vers les STS et les IUT. Le développement de filières professionnalisées en fac devrait permettre de désengorger les filières littéraires. Les formations universitaires générales compteraient alors 1 598 000 étudiants dont 654 000 en lettres et sciences humaines, 395 000 en droit-économie et 395 000 en sciences, tandis que les STS accueilleraient 261 000 inscrits et les IUT 113 000.

On le voit si on prolonge les schémas actuels, le poids des formations générales, en fait celui des premiers cycles généraux, déterminera de fait la politique des enseignements supérieurs.

Le premier cycle restera encore plus qu'aujourd'hui le point faible du systèmes universitaire. Il conduira à l'affaiblissement de l'ensemble du système, y compris à la paupérisation de la recherche universitaire. On aura le nombre, mais certainement pas l'excellence.

b) Une demande forte des collectivités locales pour s'impliquer dans l'enseignement supérieur

Les collectivités territoriales ont pris désormais conscience de l'importance des universités comme outil majeur de leur développement économique et social. Les collectivités territoriales ont contribué de façon décisive au Plan Université 2000.

Aujourd'hui le mouvement s'amplifie, les municipalités de villes moyennes, les conseils généraux, les Régions, tous ont des projets parfois contradictoires pour le développement d'antennes, de pôles d'excellence autoproclamés, de filières professionnalisées, d'universités thématiques... Là encore, le nombre peut conduire à banaliser l'excellence.

Les collectivités territoriales, malgré leur volonté affichée, ne peuvent tout faire, car un établissement d'enseignement supérieur qui doit être créé en quelque sorte "hors sol", ce sont bien sûr des murs et des équipements, mais ce sont surtout des hommes, c'est-à-dire, des universitaires, des hommes issus d'entreprises, qui portent le projet initial, qui s'investissent, qui ont des idées claires sur la stratégie de développement en fonction de l'environnement et du contexte national mais aussi international, et surtout qui sont aptes à attirer les "meilleurs" compte tenu des missions de l'établissement. Cela ne se décrète ni dans une administration centrale ni dans une administration régionale. Comme le souligne le Comité National d'Evaluation, la bonne volonté et même les moyens financiers ne suffisent pas. La réussite de l'implantation d'un établissement d'enseignement supérieur procède d'une alchimie complexe.

Les collectivités territoriales font souvent pression sur les établissements en réclamant la création délocalisée de filières de formation souvent générales. L'intérêt de ces implantations ignore trop souvent la logique universitaire et l'intérêt général.

Comme l'observait le Président de l'Académie des Sciences :

"Les problèmes ne seront pas résolus par la multiplication à l'échelle des départements, de sites universitaires nouveaux offrant un enseignement classique complet, du premier au troisième cycles ; une telle formule ne répond pas aux capacités ou aux besoins de notre pays. L'encadrement de ces nouveaux sites par des enseignants chercheurs classiques demanderait la multiplication systématique d'une poussière d'unités de recherche de taille sous-critique ingérables d'un point de vue scientifique tant sur le plan qualitatif que quantitatif."

II - DE L'INSERTION DES ETUDIANTS

"L'université française traîne un lourd poids d'insatisfaction et de malaises. Le monde dirigeant lui reproche de ne pas rayonner comme elle le devrait. Les professeurs, débordés par la masse des jeunes bacheliers en premier cycle, se plaignent de l'absence de moyens. Les étudiants, mal encadrés pour les premières années de leurs parcours, se sentent délaissés. Les chercheurs étrangers sont désarmés devant notre système qu'ils jugent indigne de la France. La tutelle financière en critique durement le manque d'efficacité. Le drame est que, d'une certaine manière, tout le monde a raison."

Ce constat, qui serait accablant s'il n'était excessif, ouvre les pages que consacre le rapport sur "la France de l'an 2000" [16] à l'enseignement supérieur.

La sévérité du propos, si elle reflète des critiques entendues à maintes reprises et depuis de nombreuses années, ne doit pas faire oublier la formidable mutation qu'a assumée l'université française depuis une vingtaine d'années que nous avons tenu à rappeler dans notre introduction.

Les reproches faits à l'université proviennent du décalage existant entre les attentes de la Nation vis-à-vis d'une structure de formation et de recherche dont on sait qu'elle peut atteindre l'excellence, car elle l'atteint dans de nombreux secteurs, et les résultats effectifs, en particulier en 1er cycle.

La réalité de l'échec en 1er cycle dont l'ampleur persiste malgré les légers progrès accomplis à la suite des rénovations pédagogiques entreprises en 1984 et 1992, ne doit pas cependant occulter non plus la situation particulière dans laquelle se trouve l'université qui, d'une part ne sélectionnant pas ses étudiants, contrairement aux autres formations de 1er cycle, accueille une proportion importante de bacheliers qui n'ont pas été formés pour poursuivre des études supérieures universitaires longues, d'autre part, compte tenu de leur nombre, ne bénéficie pas des mêmes moyens financiers. La dépense théorique annuelle moyenne par étudiant en 1er cycle va de 32 900 F en DEUG, à 50 300 F en STS, 53 000 F en IUT et 62 000 F en CPGE ; ces différences sont liées à des différences de taux d'encadrement des étudiants.

Avant d'analyser les problèmes liés à l'insertion professionnelle des étudiants, nous traiterons de l'insertion des étudiants dans l'université, c'est-à-dire l'insertion dans les premiers cycles qui est bien évidemment préalable à celle de l'insertion sur le marché du travail et la conditionne largement

II - 1 - L'INSERTION DES ETUDIANTS DANS L