DECLARATION LIMINAIRE du CNESER en commission permanente du 16 avril 2024

Publié le 16 avril 2024

Madame la ministre,
Mesdames et messieurs
 
Notre propos liminaire portera aujourd’hui principalement sur deux points : l’acte II de l’autonomie et la « réforme » de la formation des enseignants.
 
1. Acte II de l’autonomie : droit dans le gouffre...
 
Le service public de l’ESR a souffert, et souffre encore, de l’acte I et de ses avatars. L’annonce de l’acte II préoccupe donc fortement la communauté. Le fait que vous ayez choisi, Madame la ministre, de vous adresser à la presse le soir-même d’une commission permanente du CNESER où un point d’information ne disait quasiment rien sur le sujet pour vous laisser la primeur des annonces, augure bien mal des négociations nécessaires, pour ne pas dire vitales, avec les acteurs et les actrices de l’ESR – et la multilatérale de la semaine dernière n’est pas venue le contredire. Les instances démocratiques de l’ESR attendront et l’intendance suivra … peut-être.
 
Les annonces restent dans un flou qui masque mal une volonté de désengagement financier de l’État encore plus marqué qu’aujourd’hui. Citons par exemple le recours à l’emprunt pour financer les investissements nécessaires sur l’immobilier ou l’emploi de contractuels sur ressources propres pour ne pas créer des postes de titulaires. Comment ferons-nous quand nous arriverons à une situation financière intenable ? l’État fermera-t-il des universités comme il a laissé fermer récemment des écoles d’arts faute d’un financement suffisant des collectivités territoriales ?
 
Pour floues qu’elles soient, ces annonces laissent également deviner une accélération de la mise en concurrence délétère des universités entre elles, à la fois pour répondre aux appels à projets, pour attirer “les meilleur·es” étudiant·es ou encore les EC « les meilleur·es » - meilleur·es selon quel critères ? pour les étudiant·es, faut-il comprendre les plus solvables une fois la dérégulation des frais d’inscription actée ? La CSP de leurs parents ? Leur nationalité ou leurs résultats universitaires dans leur pays d’origine ? Pour les EC s’agira-t-il de leur nombre de publications ? De leur H-index ? Dans un grand marché mondialisé des cerveaux disponibles ?
 
Tout cela sous couvert d’expérimentation, qui ne fait que tenter de donner une apparence scientifique à une stratégie qui ne s’y conforme nullement puisque qu’aucune hypothèse n’est clairement énoncée ni aucune évaluation des résultats n’est jamais réalisée ni communiquée avant de lancer la suivante. C’est une dérégulation et une mise en pièces du service public de l’ESR sans aucune préoccupation de l’amélioration de ses missions, de la réussite des étudiants et des conditions de travail des personnels .
 
2. La « réforme » de la formation des enseignants et CPE (FDE) : encore une catastrophe annoncée ?
 
Cela fait plusieurs fois que nous alertons sur la question de la formation des enseignants et de cette quatrième « réforme » qui intervient trois ans après la précédente dont nous avions dénoncé les effets délétères prévisibles sans être entendus. Encore une « réforme » sans qu’un bilan outillé ne soit tiré des modifications précédentes.
 
L’incertitude règne partout, le peu qui est connu est très problématique quant à la faisabilité technique, son intérêt pour améliorer la formation, le respect du caractère universitaire des formations de licence et de master « MEEF » - ou quel que soit le nom qu’on leur donnera -, du respect de la liberté académique et des conditions de travail des personnels... et il reste trois mois pour préparer la rentrée 2024 ! A notre connaissance plus de la moitié des INSPÉ sur les 32 existants ont déjà voté des motions, qu’elles soient issues d’AG des personnels, de conseiIs d’INSPÉ, ou encore de CA des universités ; et deux F3SCT (Université de Bourgogne le 10 avril et Sorbonne Université le 2 avril) ont rendu des avis s’inquiétant de la situation des personnels. Nous les avons annexés à cette déclaration (cliquez ICI) ainsi que le communiqué du réseau des INSPÉ et celui de France Universités qui partagent beaucoup de nos inquiétudes ou des écrits de sociétés savantes.
 
Sans prétendre à l’exhaustivité, citons quelques questions qui nécessitent des réponses urgentes :
  • Les INSPÉ seront-ils bien maintenus comme composante universitaire ? Le MESR s’y engage-t-il au-delà des deux années à venir ? 
  • Dans ce cadre, reviendra-t-on à une gouvernance des INSPÉ conforme aux autres composantes universitaires ? et quelle sera leur articulation avec les ENSP ?
  • Qui va financer les modules de préparation au concours en L3 et avec quels moyens, dans le contexte de coupes budgétaires actuel dans l’ESR ?
  • Qui sera concerné ? Tou·te·s les étudiant·es qui souhaitent présenter le concours du premier degré ? Du second degré ? Dans toutes les licences ouvertes à l’université et pour toutes les spécialités des concours  - les CPE et les documentalistes étant un point problématique ?
  • Quels contenus et quels volumes horaires seront associés à ces modules ? Si les contenus des nouveaux concours 2025 sont publiés en mai 2024, dans quelles conditions les équipes pourraient-elles préparer quoi que ce soit pour la rentrée ?
  • Ces modules viendraient-ils en plus des UE déjà existantes ou seraient-ils pris sur les autres enseignements de L3 ? Dans ce dernier cas, quels enseignements remplaceraient-ils ? Quelles seraient alors les conséquences pour les étudiant·es qui, engagé·es dans ces modules, échoueraient au concours ?
  • Les conséquences de la réforme sur la santé au travail des personnels des INSPÉ ont-elles été anticipées ?
Autant dire que, comme nous le répétons depuis plusieurs semaines, le calendrier est à tout point de vue intenable et qu’il est urgent de prendre en compte l’avis des actrices et des acteurs de la FDE et d’appuyer leurs revendications. Le MESR le fera-t-il ?
 
Ces attaques des valeurs du service public contribuent à la perte de sens de nos métiers et induisent un surcroît de travail dont nous n’avions nullement besoin car, quoi qu'en pense le ministre de la fonction publique, nous travaillons beaucoup plus que les 1607 h annuelles que nous devons en étant sous payé·es, que ce soit par rapport aux autres catégories de fonctionnaires ou par rapport à nos collègues européens. Et malgré cela, nous continuons à nous engager dans nos missions, à bricoler pour faire fonctionner l’université, ses instances, les instances ministérielles où nos revendications et nos analyses sont ignorées – à l’instar de la demande de l’égalité de la PES avec la composante C1 du RIPEC ou de la revalorisation des grilles indiciaires des EC et de la remontée du taux de promotions des maîtres de conférences au niveau de celui des corps d’enseignants (après la réduction drastique que vous lui avez imposée en toute discrétion l’an dernier).
 
La communauté universitaire est près du point de rupture et, si cela devait arriver, Madame la ministre, vous en porterez une part de responsabilité.