Vers la parité F-H dans l'enseignement supérieur ?

Publié le 19 février 2013

Vers la parité F-H dans l’enseignement supérieur ? Chiche !

par Hélène Guennou, MCF honoraire à Paris-Sud

Si l’on souhaite diminuer les discriminations de genre et l’influence des stéréotypes dans l’enseignement supérieur, il faudra prévoir d’autres obligations que celles concernant la parité dans la gouvernance. La question de l’égalité F-H à l'université n'est déconnectée ni de l'environnement sociétal, ni des conditions d'exercice de nos métiers.

Le 23 juillet 2008, une loi a élargi le champ d’application du 1er article de la Constitution. Désormais « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Qu’en est-il, 4 ans après, dans l’enseignement supérieur et la recherche ? Contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas à l’abri des discriminations de genre et de l’influence des stéréotypes sur les rôles et aptitudes respectifs des femmes et des hommes. 

La mixité existe-t-elle ? Oui, mais pas depuis très longtemps  

 

Quelques dates : 1862 : Première femme titulaire du baccalauréat créé en 1808 (Julie-Victoire Daubié) ; 1868 : Première femme licenciée en Sciences à la Sorbonne (Emma Chenu) ; 1872 : Première femme licenciée en Lettres à la Sorbonne (Julie-Victoire Daubié) ; 1875 : Première femme à soutenir une thèse en médecine (Madeleine Brès) ; 1883 : Premières femmes agrégées en lettres et sciences ; 1888 : Première femme docteur ès sciences (Augusta Klumpke) ; 1903 : Première femme Prix Nobel (Marie Curie) ; 1906 : Première femme professeure de physique à l’université (Marie Curie).  

Ouverture des grandes écoles aux femmes : ENA : 1944 ; Ponts et Chaussées : 1959 ; Mines : 1969 ; Polytechnique : 1972 ; 1979 : Première femme à l’Académie des sciences (Yvonne Choquet-Bruhat) 1980 : Première femme à l’Académie Française (Marguerite Yourcenar). 

 

La parité ? Globalement... oui côté étudiant-e-s, non côté professions : 

 

• Les pourcentages de femmes parmi les étudiant- e-s varient selon le niveau, soit en 2011(1) : Licence : 56,5 %, Master : 59,6 %, Doctorat : 48 %. Il y a une grande hétérogénéité suivant les disciplines (tous niveaux confondus : langues : 74,1 %, lettres : 70,8 %, sciences de la nature et de la vie : 60 %, sciences éco et gestion : 52,4 %, STAPS : 30,4 %, sciences fondamentales et applications : 28,2 %). Cela renvoie aux stéréotypes encore très présents sur le travail des femmes (salaire d’appoint, rôle par rapport aux enfants, difficultés à exercer des responsabilités…), nombre de filles se détournant des études longues. Pour les études scientifiques, c’est encore pire. 

• Parmi les enseignant-e-s – chercheur-e-s et les chercheur-e-s des EPST : % F = 35,9 % en 2010 (pour les EC : 35,8 %) ; parmi les PU/DR : 23,9 % ; MC + CR : 41,9 %. Ainsi, les femmes ont plus de difficultés à mener une carrière de professeur (ou DR), le passage MCF/PR (ou équivalent) étant un obstacle, dont les causes multiples sont à analyser. 

• Parmi les enseignant-e-s de second degré (42,4 % de F en 2009), elles représentent un pourcentage proche de celui des MC. Cela n’est pas à l’image du second degré, où elles représentent 57,1 % des enseignants.

Et l’égalité ? On en est encore très loin

 

 S’il y a des secteurs où, parmi les MC, les femmes sont nettement plus nombreuses que les hommes, ce n’est jamais le cas parmi les PU ! Quelques exemples (chiffres 2008 /09)(2) :

tableau

À l’Université comme ailleurs, plus on monte dans la hiérarchie et moins il y a de femmes, la situation des maths s’étant particulièrement dégradée depuis la suppression des agrégations masculine et féminine.

Et au CNU ?


Parmi les membres élus du Conseil National des Universités, chiffres DGRH :

tableau

La proportion d’élues en collège B reste constante, celle du collège A augmente. 

• Parmi les membres des bureaux : de fortes inégalités, tant côté B (MC, CR : 2e VP, Assesseur) que A (PR, DR : Président, 1er VP) où l’écart est encore plus grand et s’atténue peu de 2007 à 2011 :

histogrammes

Progresse-t-on vers plus de parité et d’égalité ? Très lentement: 


• Le taux de féminisation des corps des professeur- e-s et des maître-sse-s de conférences augmente :

tableau

Si le rythme moyen de progression restait inchangé, le corps des MC serait paritaire en 2027 et le corps des PU serait paritaire en 2068 ! 
– En matière de parité, il peut aussi y avoir des fluctuations, voire des reculs. L’examen du nombre de femmes accédant à des responsabilités montre une amplification des distorsions. Le nombre de président-e- des universités a régressé lors des dernières élections(3). 

Et l’avenir ? 


Suite à la réunion du Comité Interministériel aux droits des femmes (30-11-2012(4)), une Charte pour l’Égalité F-H a été signée le 28 janvier 2013(5) par CPU, CGE et CDFI avec les ministres N. Vallaud-Belkacem (Droits des Femmes) et G. Fioraso (ESR) qui ont présenté près de 40 autres mesures supposées rendre effective l’égalité femmes-hommes à l’Université : 
– intégration systématique de l’égalité femmeshommes dans le dialogue contractuel entre MESR et établissements ; 
– promotion d’enseignements sur l’égalité et le genre dans toutes les filières ; 
– actions de prévention et de lutte contre toutes formes de violence faites aux femmes, dont le harcèlement sexuel ;
– soutien aux recherches sur le genre dans les axes prioritaires de programmation de la recherche. 
Des mesures contraignantes pour assurer la parité dans la gouvernance des universités figureraient dans la loi sur l’ESR. Un Comité de l’Égalité (COMÉGAL) est placé auprès de la ministre de l’ESR pour coordonner et suivre ce dossier. 
Cette nouvelle démarche gouvernementale est, sans nul doute, une avancée. Mais pour aboutir à une réelle égalité F-H à l’université, il ne suffira pas d’incitations. La loi sur l’ESR devra prévoir d’autres obligations au-delà de la parité dans la gouvernance ou de la nomination d’un-e référent-e Égalité. Des moyens seront nécessaires pour progresser... 
La question de l’égalité F-H à l’université n’est pas déconnectée de ce qui se passe dans le reste de la société et des conditions d’exercice de nos métiers. Ainsi : 
– le projet de loi ne remet pas en cause l’existence des comités de sélection (créés par la loi LRU) pour le recrutement des enseignant-e-s – chercheur-e-s ; est on sûr qu’en les conservant (un comité ad hoc par concours ; majorité d’extérieurs ; tous nommés…), on pourra augmenter les proportions de femmes parmi les recruté-e-s ? Une structure du type des ex-commissions de spécialistes (pérenne, gérant tous les recrutements d’une discipline, majorité d’élus...) ne serait-elle pas plus adaptée pour mettre en oeuvre la politique de l’université en matière d’égalité ? 
– les difficultés financières de nombreux établissements les ont conduits parfois à geler des postes statutaires, à retarder des recrutements. Favorisera-t-on ainsi le recrutement de femmes dans l’ESR et le nécessaire développement des enseignements et recherches sur le genre et les discriminations ?
 En résumé, la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Une volonté politique est affichée pour aller vers l’égalité réelle F-H dans l’ESR. Il faudra aussi convaincre nos collègues, hommes comme femmes d’ailleurs : certains pensent que si on ne recrute pas les femmes ou si les MC femmes ne passent pas PU, c’est parce que : 1) elles ne le veulent pas, 2) le vivier est insuffisant. La tâche ne sera pas aisée. 
Nous disons chiche ! Donnons-nous les moyens (législatifs, humains, financiers…) d’aboutir dans un avenir proche à une égalité effective.  

(1) Chiffres clés dans l’enseignement supérieur ; dossier MESR pour la signature de la Charte sur l’Égalité du 28/01/13. 
(2) Enquête bisannuelle du MESR-DGRH, juin 2009 : démographie des personnels enseignants de l’enseignement supérieur en 2008-09. 
(3) 2004 : 7 femmes sur 82, 2008 : 16 sur 83, 2012 : 8 sur 80. 
(4) Informations : http://www.gouvernement.fr/premierministre/ pour-une-troisieme-generation-des-droits-des-femmes. 
(5) Id. http://femmes.gouv.fr/category/egalite/.