Unistra ou les Infortunes de la vertu

Publié le : 18/04/2012


Unistra ou les Infortunes de la vertu

par Pascal Maillard, secrétaire de section à l'Université de Strasbourg

L'Idex de Strasbourg, outre qu'il s'accompagne d'un délitement de la démocratie, aggrave les inégalités et, paradoxalement, concourt à l'appauvrissement de l'université.

À la différence de la majorité des Initiatives d'excellence (Idex) portées par des PRES, celle de Strasbourg est soutenue par l'université, en association avec les organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA). On aurait pu imaginer que ce montage vertueux limiterait les risques et que l'excellence
alsacienne serait plus digeste que d'autres recettes. Il n'en est rien. La convention de l'Idex a été signée le 21 mars dernier, à l'UDS, en présence du ministre Laurent Wauquiez, selon des modalités qui sont à l'image de l'ensemble du processus : le jour même de la signature, le texte de la convention
n'était pas encore finalisé, les administrateurs ni informés, ni invités, mais la communication était prête. Titre de la « une » du journal électronique de l'UDS : Laurent Wauquiez : « à l'Unistra vous avez tout simplement tout réussi ». Oui, nous avons effectivement réussi la précipitation, le viol de la
démocratie universitaire, la mise au secret des élus et une très belle communication. Les apparences sont certes flatteuses : 46 projets lauréats doivent bénéficier de la manne du Grand emprunt, 750 millions de dotation pour l'Idex « Par-delà les frontières », 16 Labex après la seconde vague, une SATT, un IHU, une usine-école au service de l'industrie pharmaceutique, un Institut d'Études Avancées, un autre de l'Innovation pédagogique, etc. « Du vrai bonheur ! », s'est exclamé Philippe Richert, le ministre, aussi président de Région. Voyons plutôt les infortunes de toute cette richesse. Une déception tout d'abord, pour ceux qui y croyaient : le milliard a rétréci. Des 1 276 millions de dotation attendus il n'en reste que 750, Labex inclus. Une fois les intérêts Labex soustraits, il restera pour l'Idex une vingtaine de millions par an. Bien peu au regard de l'ambition des projets. Il est ensuite clair que le financement des projets Idex, tout comme ceux des Labex, devra faire massivement appel au budget récurrent de l'université, lequel est au bord du déficit. Au point que sur les 10 millions d'avance de l'Idex qui sont arrivés, 4,5 millions iront abonder le budget récurrent de la recherche, en baisse significative. Le paradoxe est enfin mis à nu : plus une université est riche en projets d'excellence, plus elle encourt le risque de s'appauvrir.
La seconde infortune de l'Idex Unistra est le rapt disciplinaire. Sur les 54 millions de dotation pour les Labex de la première vague, 52 iront à la santé et à la chimie, deux aux SHS : un unique Labex en musicologie. La seconde vague n'a fait qu'aggraver les inégalités. Bien plus, se profile le danger de redéploiements de postes au service du périmètre d'excellence. La promesse de l'excellence pour tous ou de bénéfices hors Perimex entre en contradiction flagrante avec la sur-labellisation de deux ou trois secteurs disciplinaires. Dernière infortune, peut-être plus grave encore que les précédentes : l'Idex limite drastiquement l'autonomie et les prérogatives du conseil d'administration, non seulement par les pouvoirs exorbitants du comité de pilotage de l'Idex, mais aussi par l'empilement de structures qui échappent totalement au contrôle des conseils centraux. Un délitement supplémentaire de la démocratie. Il est aujourd'hui avéré que la loi LRU a fait le lit de la politique d'excellence. On ne pourra limiter les dégâts de la seconde sans
abroger la première.