Une espèce en voie de disparition : les disciplines à petits effectifs
Une espèce en voie de disparition :
les disciplines à petits effectifs
par Anne-Marie Bernardi, MCF de langue et littérature grecques, université d’Aix-en-Provence
Le passage des universités aux RCE, qui a élargi le cercle des disciplines en danger,
menace à terme l’existence de doctorants et donc de futurs chercheurs. La nécessité
d’une gestion nationale, soulignée par la CP-CNU, pourrait prendre
la forme d’un contingent de postes, attribués sur la base d’un état des lieux,
dressé par le CNU, des disciplines en danger.
On les nomme disciplines à petits effectifs ou disciplines minoritaires, on sait que certaines, comme les langues anciennes ou les langues dites rares, sont menacées depuis longtemps. Le mouvement de déclin qui les touche s’est accéléré avec la loi LRU : bien des universités, contraintes par leurs difficultés budgétaires, ont choisi de fermer des filières à petits effectifs, considérées comme coûteuses, ou de les contraindre à des fusions parfois acrobatiques avec d’autres filières, pour permettre le redéploiement des postes vers des disciplines estimées plus porteuses.
Avec le passage de toutes les universités aux RCE, le cercle des disciplines en danger s’est élargi : désormais, ce sont la plupart des filières de langues qui sont menacées (à l’exception de l’anglais et du chinois). D’autres disciplines, comme la philosophie, se retrouvent parfois localement dans la même situation que les disciplines à faibles effectifs, soumises elles aussi à la variation du nombre des étudiants et aux restrictions budgétaires. Si les SHS sont les plus touchées, certaines sciences « dures », en général théoriques, sont également concernées.
Risques graves pour la formation et la recherche
Les risques que fait peser cette évolution, autant sur la formation que sur la recherche, sont évidents. Les conséquences en sont déjà perceptibles. La réduction de l’offre de formation dans ces disciplines est engagée, ce qui renforce les disparités territoriales : les étudiants désireux de suivre un cursus dans certaines filières doivent aller faire leurs études dans une université où ces formations minoritaires sont encore assurées ou renoncer. Certaines formations, comme le portugais, sont déjà en voie de disparition. À terme, c’est le vivier des diplômés dans certains cursus qui risque de se tarir. Or il ne s’agit pas de disciplines secondaires, que l’on pourrait sacrifier sous prétexte qu’elles ne permettraient pas l’insertion professionnelle : outre la solide formation générale qu’elles donnent et qui permet l’adaptation à des profils divers, elles ont souvent pour débouchés les concours de l’enseignement. Or on sait que, dans certaines matières (lettres classiques et modernes, mathématiques…), le manque d’étudiants est dramatique et le nombre de candidats est parfois inférieur aux nombres de postes mis au concours. En outre, la réforme du CAPES envisagée va vider les masters recherche qui risquent de disparaître dans des disciplines à effectif réduit. À terme, c’est l’existence même de doctorants et donc de futurs chercheurs qui est en question : certains pans de la recherche, dans ces disciplines qui sont loin d’être marginales, vont s’étioler voire disparaître.
Déjà, la recherche est menacée dans certaines universités, du fait de l’isolement des enseignants-chercheurs, qui se retrouvent dans des équipes exsangues, si elles existent encore. Les conditions d’exercice se sont considérablement dégradées : les disciplines minoritaires sont sous-représentées dans les conseils centraux des établissements et n’ont pas la possibilité de défendre leur position, voire leur existence. Les chances, d’obtenir localement un CRCT, une promotion, sont minces dans ces conditions. La nécessité d’imaginer des stratégies complexes pour défendre la survie de leurs enseignements ou de leurs équipes dévore une bonne partie du temps et de l’énergie que les enseignants-chercheurs voudraient pouvoir consacrer à leur recherche.
Il faudrait des mesures rapides pour enrayer ces évolutions, mais le projet de loi qui sera prochainement présenté au Parlement n’en prend pas le chemin. Au niveau des établissements, quels que soient les statuts adoptés pour les regroupements d’universités envisagés, les arbitrages ont toute chance d’être défavorables aux disciplines minoritaires : les suppressions de postes, de filières, vont se multiplier. Le groupe de travail qu’a mis sur pied la CP-CNU, pour réfléchir à l’avenir des disciplines à petits effectifs et faire des propositions, met en évidence la nécessité d’une gestion nationale, qui pourrait prendre la forme, par exemple, d’un contingent national de postes, attribués sur la base d’un état des lieux, dressé par le CNU, des disciplines en danger.
Pour éviter l’extinction de la formation et
de la recherche dans ces secteurs, le ministère
et la CPU doivent entendre le cri
d’alarme lancé par les sociétés savantes et
prendre en compte les analyses et propositions de la CP-CNU.