Texte introductif au congrès

Publié le : 06/04/2011

Texte introductif au congrès

par Stéphane Tassel, secrétaire général du SNESUP

Chers camarades,

Nous sommes nombreux aujourd'hui. A un moment important de débats et de vie démocratique pour le SNESUP, la présence de nombreux délégués est rassurante à un moment où, partout, l'abstention gagne du terrain. Sans paraphraser le rapport d'activités, comment décrire en peu de temps - je me limite à l'essentiel - la période que nous traversons, comme acteurs du service public d'enseignement supérieur et de recherche et comme citoyens ?

International : rien n'est écrit !

Historique, ce terme convient effectivement pour qualifier une période de profonds bouleversements Qui aurait pu prévoir le soulèvement du peuple tunisien, égyptien, libyen, yéménite, syrien... contre des dictateurs et des pouvoirs totalitaires, il y a peu, encore courtisés par nos gouvernants, qui ont dû opérer de spectaculaires revirements ? Au prix de nombreuses victimes tombées sous les balles de la répression, une fabuleuse vague d'espoir portée notamment par la jeunesse, qualifiée, exclue du travail et des sphères de responsabilité, a balayé en seulement trois mois, nombre de certitudes.

Relayée médiatiquement, jouant des réseaux sociaux et d'Internet, la propagation de l'onde de choc autour de la Méditerranée et de la péninsule arabique a pris de vitesse les observateurs les plus avertis. Les luttes des populations continuent de progresser et de faire vaciller des régimes accaparant le pouvoir depuis des décennies. Les transitions vers plus de dignité, de liberté, de justice sociale et de démocratie sont difficiles mais elles sont cruciales pour l'avenir. En Libye, les interventions militaires de la France et maintenant de l'OTAN font craindre le dévoiement de la résolution de l'ONU au profit de leurs intérêts et de logiques guerrières.

Dans le même temps, le nord de la troisième puissance économique mondiale a été ravagé par le séisme le plus puissant depuis 140 ans, faisant plus de 25000 morts et disparus, laissant la population japonaise affronter le fléau nucléaire de Fukushima. Coupure des moyens de communication, larges destructions des infrastructures routières et de l'appareil productif, effondrement de la bourse de Tokyo, spéculation sur le yen... en quelques jours c'est toute l'économie japonaise qui chancèle. Les conséquences de ce drame dépassent les frontières, elles interrogent les choix effectués par les gouvernements successifs en matière énergétique, elles bousculent nos rapports au productivisme.

Avons-nous tous bien pris la mesure des bouleversements géopolitiques à l'œuvre aux quatre coins du globe, mis en regard avec la crise mondiale et les politiques d'austérité menées dans tous les pays européens ? Les exigences de développement durable et de sécurité des populations de plus en plus soumises aux aléas climatiques, aux risques industriels sont devenues impératives. En rupture avec la mise en concurrence et toutes les formes de repli individuel, les solidarités et coopérations notamment pour la recherche nécessaires pour promouvoir un autre mode de développement prennent tout leur sens. Une chose est certaine et tous ces événements se chargent de nous le rappeler : rien n'est écrit d'avance !

A cet instant, je souhaiterais saluer Sami Aouadi, syndicaliste tunisien, secrétaire général de la fédération générale de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, et le remercier vivement d'avoir accepté notre invitation, à l'occasion d'un séminaire organisé en amont du congrès par le secteur international. Le rôle qu'ont joué les universitaires de la FGESRS dans la révolution tunisienne pour renverser le régime de Ben Ali a été un maillon important des mobilisations. Je propose que le congrès du SNESUP réuni aujourd'hui exprime son soutien avec chaleur et fraternité ...

La Loi LRU : le Grand Emprunt en renfort

Depuis 4 ans dans le prolongement du « pacte pour la recherche », la mise en œuvre de la loi LRU, le pouvoir des présidents, l'individualisation des rémunérations, les pressions sur les universitaires et les scientifiques, le pilotage de la recherche et maintenant les EQUIPEX, LABEX et IDEX, liés au grand emprunt font voler en éclats l'unité du service public. La confusion entre public et privé s'installe. Ces bouleversements changent en profondeur l'exercice de nos missions, remettent en question les raisons qui nous ont conduits à devenir universitaires : les libertés scientifiques et pédagogiques, la collégialité, la démocratie, le sens du service public.

Une courte incise : Vous avez peut-être déjà reçu la nouvelle version du mémo du SUP. Profondément remanié, à la hauteur des bouleversements imposés par la loi LRU, je voulais remercier l'ensemble de l'équipe des militants, en particulier Noel Bernard pour le travail important qui a été déployé pour permettre qu'il soit prêt pour le congrès.

Le recours frénétique à « l'autonomie » et à « l'excellence », deux escroqueries sémantiques, traduit bien les deux outils d'une même politique : la loi LRU, le passage aux RCE des universités et le Grand emprunt. Le gouvernement, tout en imposant aux universités l'autonomie financière et ses marges de manœuvre biaisées, entrave comme jamais les activités des universitaires. Maintenant, il cherche à recomposer le paysage universitaire et de la recherche, créant des tours d'ivoire qui aspirent les ressources du service public, en excluant et laissant exsangues des composantes essentielles d'établissements, des équipes, des collègues, vouant à l'abandon des pans entiers de formation et de recherche, des potentiels de recherche innovante. Les sciences humaines et sociales, la recherche fondamentale déconnectée des intérêts économiques immédiats en rupture avec la SNRI risquent de faire les frais de la politique sélective et opaque du gouvernement.
La saignée pour tous, au gouvernement et aux experts qu'il a nommés de choisir les perfusés !

Les répartitions budgétaires communiquées en janvier sont éloquentes, malgré des falsifications et maquillages flatteurs. Ce qu'il pouvait y avoir de critères dans un modèle de répartition - mais qui n'a jamais été explicité ni au CNESER ni ailleurs...- a été abandonné au profit d'un dialogue de gestion arbitraire et inféodant. En substance, le message distillé par le gouvernement c'est : débrouillez-vous avec ce que vous avez, mais si vous ne vous conformez pas à nos objectifs... vous aurez moins ! La récente réunion avec l'assemblée des directeurs d'IUT confirme le tournant pris pour ces formations, en proie à l'autonomie financière. Considérés comme un veau d'or, ils sont convoités non pour les formations qu'ils dispensent mais pour le réservoir de moyens, d'emplois qu'ils représentent. Rien ne permet de garantir les moyens que nécessitent, comme d'autres, les besoins de ces formations.

Cette situation n'est pas sans analogie avec les IUFM. Dans une période de forte restructuration, de « mutualisation de rationalisation... » -pour reprendre les mots du MESR-, ce sont des antennes qui sont menacées de fermeture, des conventions entre établissements-je pense à Toulouse en particulier-. Les collègues ont dépassé le stade de l'inquiétude, de l'anxiété. Ils vivent au jour le jour des redéploiements d'emplois vers des composantes éloignées de la formation des enseignants. Les incertitudes qui pèsent dans les UFR, sur la pérennité d'enseignements montés dans des conditions innommables s'ajoutent aux motifs de colère... Les analyses que nous formulions, chaque jour, se confirment. Les néo titulaires, les stagiaires démunis sont mis dans des situations de remplacements sans formation.
Nicolas Sarkozy a dû faire le constat de carence de la réforme, sans pour autant la remettre en cause. Seule piste se dessinant, le master en apprentissage, nouveau moyen de mobiliser des remplaçants à faible coût. La mission parlementaire, tout juste mise en place, d'information sur la formation initiale et les modalités de recrutement des enseignants doit rendre son rapport avant l'été. Une raison supplémentaire d'interpeler les parlementaires sur la catastrophe que constitue la « mastérisation » pour les acteurs de la formation, les enseignants, leurs élèves... la société toute entière.
Il me paraît important de revenir un moment sur ce qui s'est récemment produit à Lille 3 et dans lequel le SNESUP a été moteur. Parmi les douze dernières universités à ne pas être passées aux RCE, le MESR n'a pas ménagé sa peine pour forcer un passage au 1er janvier 2012, imposant un vote du CA préalable à toute négociation budgétaire (transfert de la masse salariale par exemple). Refusant ce chantage, les camarades du SNESUP de Lille-3 ont obtenu du MESR, par un courrier écrit du conseiller d'établissement au président de l'université, qu'aucun vote préalable ne préempte le résultat de la négociation et n'affaiblisse l'établissement. Mais surtout, il repousse a janvier 2013 un passage "non demandé" aux RCE, qui n'a -sans vote du CA- formellement rien d'automatique. Toutes les universités ne seront pas passées aux RCE au 1er janvier 2012 et a fortiori en mai 2012 ! Intégrant toute la complexité de la situation, en prise avec la communauté universitaire, sans démagogie, leur résistance difficile, pour ne pas céder à ces choix pervers paye !

Les EX La recomposition du paysage universitaire et de recherche

La liste des 100 LABEX et des 7 IDEX vient d'être communiquée. Les réactions pour beaucoup d'indignation ou d'inquiétude et plus rarement d'auto-satisfaction n'auront pas tardé. La ligne de démarcation entre les lauréats et les recalés, allant jusqu'à diviser des équipes au sein d'un même laboratoire, est désormais concrète. Où est la place de la réflexion en termes d'aménagement du territoire ? Nulle part... Le périmètre déjà dessiné par le plan Campus est encore restreint et se profile une zone de relégation universitaire. Quelles sont les places dans ce processus pour la Bretagne et les pays de Loire, le Nord Pas de Calais, la Lorraine, la Bourgogne, la Franche Comté... ? Dans ces zones, les établissements, laboratoires et équipes sont en grande partie exclus. Mesure-t-on les effets des coups portés à la recherche ?
Que dire des jurys comprenant celui traitant des IDEX P. Gillet (ex directeur de cabinet de V. Pécresse) ou P. Aghion (Chargé de mission auprès de la Ministre). Quelles sont les garanties de compétences scientifiques de leurs membres ? Tout laisse croire que la capacité de communication des laboratoires, les réseaux et le clientélisme, les règlements de compte ont primé sur toute considération scientifique. Bien plus que le nombre, déjà contestable, d'équipes notées A et A+ -encore trop nombreuses pour le gouvernement-, la conformité des projets avec la SNRI et surtout le verrouillage de la gouvernance, imposés aux regroupements d'établissements ont lourdement pesé.
Le gaspillage de dizaines de millions d'euros par des cabinets de conseil largement rémunérés, à la fois par les regroupements d'établissement et par le MESR qui leur ont sous-traité la rédaction des appels d'offres est indécent ? A quel moment les instances des universités ont-elles délibéré de l'utilisation de tels montants qui auraient dû servir à la recherche, aux formations... aux étudiants.
L'état de tension produit est palpable et porteur de mobilisation. Dans le prolongement des réunions débats que nous avons organisées, ce congrès doit être l'occasion d'interpeller les politiques, de bâtir un plan de bataille pour battre en brèche cette conception qui fait de la concurrence le seul vecteur d'efficacité. Il nous faut faire émerger des alternatives permettant un développement cohérent de la recherche et des formations. A quand un débat démocratique sur un aménagement équilibré de l'enseignement supérieur et de la recherche ?
Les projets d'IDEX ne se limitent pas à la recherche, dans les dossiers figurent dans la plus part des cas un volet formation où figurent des formations d'excellence avec, en filigrane, la sélection des étudiants et ce dès les premières années universitaires en Licence.

La licence ...

Démocratiser l'enseignement supérieur et la recherche ne peut être déconnecté de la proximité, facteur premier d'accès et de réussite des étudiants. C'est assez éloigné de la conception initiale du projet visant rien de moins que de refonder la licence, lancé fin 2010.
Sans tenir compte de l'échec du pseudo plan licence -dénué de création d'emplois-, de son incapacité à réduire l'échec dans le cycle licence, la Ministre a été contrainte de reconnaître la nécessité de références nationales mais c'est pour la limiter à une meilleure lisibilité des diplômes vis à vis des employeurs. Rien sur les moyens, les questions de contenu renvoyées à portion congrue.
Pour mener la réflexion sur la licence, un comité d'orientation proche des milieux patronaux a été nommé. Le comité de suivi licence, émanation du CNESER, est systématiquement contourné.
Nous sommes porteurs d'une tout autre vision de la licence, de son évolution pour plus de réussite, pour fournir au jeune les bases d'un savoir critique, de leur autonomie et de leur insertion sociale. En rupture avec la politique gouvernementale, nous avons produit un texte de proposition pour le cycle licence, ne se limitant pas à la seule licence mais à l'ensemble des formations post bac.
Réussir la démocratisation et répondre à l'ensemble des besoins de formation, développer le lien enseignement/recherche, construire les cadres nationaux, intégrer la dimension professionnelle, ne pas en rabattre sur le haut niveau disciplinaire, garantir les moyens pour l'ensemble des formations... sont les grands principes. Nous faisons un certain nombre de propositions et notamment concernant la pluridisciplinarité, bien éloignée de la vision restrictive d'une propédeutique déconnectée de la recherche promue par la ministre.
Qu'il s'agisse du rapprochement des filières post bac, de la VAE, de la formation continue, de la carte universitaire... des pistes de réflexions sont soumises au congrès.

La précarité ... loi sur le dialogue social

L'explosion de la précarité caractérise l'enseignement supérieur et la recherche, près de 23%. 50000 précaires, c'est le nombre de non titulaires que l'intersyndicale de l'ESR a identifié dans un travail collectif auquel le SNESUP a contribué. Cette situation est à rapprocher de la mise en œuvre de la loi LRU et du passage des universités aux responsabilités et compétences élargies : de la possibilité renvoyée à l'autonomie de l'établissement de recruter des contractuels de catégorie A pour effectuer des taches d'enseignement et de recherche qui se surajoutent aux possibilités déjà existantes.
C'est dans ce cadre, et notamment en l'absence de tout plan, tant de titularisations que de créations d'emplois, que nous avons abordé et mesuré le contenu du protocole d'accord ANT. La situation que connaît l'ESR est avant-coureur de ce que pourraient connaître des pans entiers de la fonction publique et en particulier dans le système éducatif en proie à des suppressions d'emplois sans précédent. L'absence de garde fou ne permet pas d'endiguer la précarité galopante dans notre secteur. Que dire des 4000 emplois supports dont 4 à 500 suppressions sèches liées à la mise en œuvre de la RGPP au CNRS. Dans nos secteurs du sup et de la recherche particulièrement touchés par la précarité, le protocole exclut la quasi-totalité des agents non titulaires, les enseignants de FLE, les vacataires, les enseignants de langues... Rien ne garantit de résorber un stock de contractuel croissant et, de fait, d'envisager la titularisation de tous les précaires.
Quelques avancées obtenues lors de la négociation pour certains personnels ont amené une majorité au BDFN de la FSU à proposer de signer ce protocole. Mais cette proposition n'a pas obtenu la majorité requise pour la signature. La position du SNESUP était et reste le refus de la signature de ce protocole en décalage avec les conditions de grande précarité dans lesquelles se trouvent les agents non titulaires. Des centaines de milliers de collègues victimes de cette politique attendent des mesures pour mettre enfin un terme à des situations intolérables. Les luttes qui ont déjà lieu pour améliorer la situation de collègues - je pense a ce qui a eu lieu à Pau ou encore à Strasbourg- doivent se multiplier et surtout faire l'objet d'une mise en cohérence collective à l'échelle du territoire pour donner plus de poids à nos revendications de titularisation de toutes et tous. Notre syndicat regrette la formulation alambiquée de la direction de la Fédération pour expliquer cette non signature.
La précarité, l'aggravation des conditions de travail, la place prise par la bureaucratie, la mise en concurrence, de l'opacité et de l'entre-soi de la loi « LRU », la pénurie de moyens et de postes dans laquelle l'université est maintenue, bouleversent en profondeur notre façon d'exercer nos missions. Les fondements de notre éthique, les libertés scientifiques et pédagogiques, la collégialité, l'esprit de service public... sont remis en cause.
Valérie Pécresse a décidé de créer une « mission sur l'éthique et la déontologie universitaires ». Cette commission aura-t-elle la liberté de faire le lien entre les bouleversements qui secouent la communauté universitaire depuis près de 4 ans ? Aura-t-elle le courage de mettre en cause la concentration de pouvoirs entre si peu de mains ?
Le gouvernement ne peut se dédouaner de ses responsabilités et les faire peser sur la communauté universitaire. La création d'une commission ne saurait suffire. Ce qui est nécessaire, c'est l'abrogation de la Loi LRU et l'élaboration négociée d'un tout autre ensemble législatif et règlementaire ...

Conclusion : un plan de bataille

Ce mandat a débuté au cœur des puissantes mobilisations universitaires de 2009, nous nous sommes mobilisés pour défendre notre système de retraites, mis en pièces par un pouvoir d'une rare brutalité, brisant les solidarités et multipliant les occasions de stigmatiser une partie de la population. Un jour les roms, un autre, sous couvert d'un débat sur la laïcité, les musulmans... . Je fais le souhait que ce congrès soit le moment d'impulser les mobilisations permettant d'imposer une rupture, une reelle alternative aux politiques et régressions imposées au service public d'enseignement supérieur et de recherche. Que ce congrès nous permette de revitaliser le SNESUP et renforcer la vie dans les sections de plus en plus en prises avec des luttes de plus en plus locales.

Bons débats ! Bon congrès !