Fiche pratique n° 20 – Comment changer de laboratoire de rattachement ?

Publié le 1 mai 2021

Peut-on demander un changement de laboratoire de rattachement ?

Les vicissitudes des politiques de recherche et de la vie professionnelle et privée des enseignants-chercheurs (EC) amènent régulièrement des collègues EC à vouloir changer de laboratoire de recherche. Cela peut parfois être un peu compliqué à réaliser en pratique, non seulement pour des raisons scientifiques (comme l’absence d’autre labo en lien avec votre domaine de recherche dans l’établissement), mais parfois aussi pour des raisons moins avouables par les responsables qui s’y opposent.

Quels textes de référence ?

L’article L952-2 du code de l’Éducation dispose que :

« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité. 

Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs. »

Cet article est cité (et en partie repris) dans décret 84-431, définissant le statut des enseignants-chercheurs, à l’article 2, lequel est complété par l’article 4 de ce même décret :

« [ ...]

Tout enseignant-chercheur doit avoir la possibilité de participer aux travaux d'une équipe de recherche dans des conditions fixées par le conseil d'administration, le cas échéant, dans un établissement autre que son établissement d'affectation.

Tout enseignant-chercheur peut demander le réexamen d'un refus opposé par son établissement d'affectation à sa demande de participation aux travaux d'une équipe de recherche auprès du conseil d'administration, après avis du conseil académique, siégeant tous les deux en formation restreinte aux enseignants-chercheurs. »

Puisque ces textes affirment la pleine indépendance des EC en matière de recherche et le droit à la recherche, il s’ensuit que le labo de rattachement doit pouvoir être librement choisi par les collègues, y compris dans un autre établissement que celui où sont exercées les fonctions d’enseignement, et qu’en cas de refus (formalisé) de rattachement à un laboratoire, il y a une forme de possibilité « d’appel » auprès des conseils.

En pratique

Très peu d’établissements ont pris à ce jour des décisions formelles comme celles requises par l’article 4 du décret 84-431. Ce peut être à la fois une bonne et une mauvaise chose. Une bonne, car les refus qui pourraient être opposés à des demandes de changement de labo venant de collègues ne sont pas justifiés par une règle locale qui leur interdirait certaines possibilités, ou du moins les rendrait de fait inaccessibles (les textes adoptés par les CA d’université n’étant pas toujours des modèles de bien-traitance des personnels...). Une mauvaise, car il n’y a aucun point d’appui local éventuel pour faciliter un changement de labo qui dérangerait pour des raisons inavouées. 
Il se peut néanmoins que les établissements soient à l’avenir de plus en plus fortement incités à formaliser cela dans les « lignes directrices de gestion » préconisées par la loi 2019- 828 (dite Loi de Transformation de la Fonction publique).

Il s’agit donc en la matière essentiellement de négociation (actuellement en tout cas), afin d’obtenir de vos interlocuteurs qu’ils-elles se comportent en « gens de bonne compagnie » que sont réputés être les universitaires. Cela suppose parfois quand même de leur tordre un peu le bras en créant le rapport de forces. En effet, les collègues, même en situation de responsabilité, sont quand même aussi des êtres humains, et peuvent donc avoir des a priori et parti pris, souvent liés à leurs affects. En particulier, si le changement de labo intervient dans un contexte de conflit et de souffrance au travail, il s’agira de mettre en évidence les pratiques à l’origine du conflit, pour convaincre la direction de l’université de la nécessité d’agir et d’aider la personne désireuse de changer de laboratoire à trouver un nouveau laboratoire d’accueil.

Les VP Recherche craignent néanmoins généralement comme la peste les tensions avec des directeurs ou directrices de gros labos, n’ont que très peu barre sur eux-elles, et ne connaissent pas nécessairement bien le domaine de recherche en question. Aussi vaut-il mieux ne pas espérer beaucoup d’aide pour trouver un nouveau laboratoire d’accueil après la sortie de celui qu’on veut quitter, si on n’en a pas déjà trouvé un autre au moment où on quitte son labo. Il est donc préférable d’identifier un ou des labos dans lesquels vous seriez susceptible de vous intégrer scientifiquement et il importe de préparer le terrain avec les directions des labos de départ et d’arrivée, de sorte qu’elles en soient d’accord.

Quelques conseils de base :

  • si possible, faites-vous accompagner par un·e militant·e local·e du SNESUP-FSU, qui pourra vous conseiller dans les démarches, faire l’interface en cas de besoin avec le secteur Situation des personnels du SNESUP-FSU et/ou vous soutenir moralement un peu.

  • avant d’entamer des démarches pour un changement de labo, se renseigner sur l’existence éventuelle de règlements intérieurs des labos concernés et de procédures internes formalisées spécifiques à l’établissement, auprès du service RH et de la vice-présidence Recherche, pour voir s’il y a des démarches particulières à effectuer. 

  • de manière générale, commencer la constitution d’un dossier rassemblant des traces écrites (échanges mails, courriers plus formels, etc.) et faire un topo argumentaire synthétique qui permettront à divers interlocuteurs que vous seriez amenés à rencontrer pour plaider votre cause de prendre connaissance du dossier rapidement et prouveront vos dires en cas de besoin.       

  • faire en sorte d’obtenir des traces écrites officielles de l’accord donné ou du refus.En effet, si l’affaire devait aller jusqu’à l’application du droit de recours auprès des conseils centraux de l’université prévue à l’article 4 du décret statutaire des EC, ou d’un recours gracieux auprès du président de l’université ou contentieux auprès du tribunal administratif (une fois épuisées toutes les voies de recours internes), il vous faudrait des pièces justificatives des refus et autres éléments que vous avancez.  

Au besoin, cette production écrite peut être obtenue en faisant vous même une demande écrite formelle et en gardant des traces permettant d’attester de sa réception par les destinataires. Par exemple,

  • un courrier déposé personnellement auprès du secrétariat concerné, en exigeant de repartir avec un accusé de réception (qui peut être simplement une photocopie de la première page du courrier avec un tampon du secrétariat) ou une lettre recommandée avec accusé de réception envoyée par la poste. L’absence de réponse dans les deux mois après la date de réception vaut refus implicite de la part de la direction de l’université.

    • Ou bien en écrivant un mail après une entrevue où le refus a été signifié de vive voix, pour dire votre mal être suite à ce refus et demander à l’interlocuteur de changer d’avis : même si vous ne recevez pas de réponse, votre mail sert donc à laisser une trace de ce refus qui vous a été signifié oralement uniquement.          

  • ATTENTION À NE JAMAIS LAISSER DE TRACES ECRITES QUI POURRAIENT VOUS NUIRE et donner plus de poids aux arguments d’une éventuelle partie adverse, surtout lorsqu’il y a un conflit à l’origine du souhait de partir. Pour cela, il faut

    • éviter d’écrire sous le coup de la colère ;

    • bannir au maximum de votre expression les adjectifs qualificatifs et les interprétations de comportements ou propos ;

    • rester factuel et sobre dans les formulations, éviter les détails inutiles ou anecdotiques ;

    • faire relire et améliorer par un tiers (de préférence extérieur aux labos concernés) avant tout envoi, idéalement un·e militant·e  local·e du SNESUP-FSU.

  • en cas de conflit et de souffrance au traval qu’il induit, prendre aussi rendez-vous auprès du médecin de prévention de l’établissement, pour tenter d’obtenir une recommandation médicale de changement de labo d’exercice, qui viendrait renforcer votre demande auprès de la direction de l’université. En effet, le/la présidente d’université a une responsabilité en matière de prévention pour la santé des agents et de prévention des risques psycho-sociaux (voir Partie 4 du code du travail : santé et sécurité au travail, partie qui s’applique aussi pour la Fonction publique). Si besoin, en cas d’incidents préjudiciables à votre santé psychique, porter également des mentions dans le registre prévention et sécurité de votre labo ou composante (en gardant là aussi une trace, éventuellement une photo de ce que vous avez écrit dans le registre, s’il s’agit d’un registre papier). Pensez aussi à prévenir  (par écrit aussi) les élu·es de la F3SCT de ce signalement au registre.         

  • si le laboratoire envisagé pour le changement dépend d’une autre université que celle où vous avez été recruté·e - ce qui est possible en théorie (cf textes officiels) - le cas se complique souvent en pratique, car on rencontre alors souvent de multiples résistances liées aux responsabilités et compétences élargies des universités imposées par la loi LRU de 2007 et à l’absurdité des indicateurs de performance et de gestion de la masse salariale des établissements, amenant des concurrences dépourvues de sens du point de vue scientifique et des « querelles de clocher » dues à des instincts de gestionnaire à courte vue (refus de « payer » un·e collègue pour travailler au profit de la performance d’un laboratoire d’un autre établissement, en gros… Ce genre d’argument d’apothicaire n’était jamais opposé avant 2007 !).  
    Pour contrer cela, il faut s’appuyer à la fois sur les textes officiels garantissant le droit à la recherche et l’obligation de prévention des directions d’université en matière de santé des personnels et de prévention des RPS (cf ci-dessus), ainsi que sur des arguments de bon sens, en faisant valoir que toutes les parties sont perdantes si un EC ne peut exercer sa mission de recherche et qu’elles sont en revanche toutes gagnantes lorsqu’un·e EC qui veut continuer la recherche peut le faire, y compris dans un établissement différent. Il est en effet possible de définir par convention quelle sera la signature à mettre qur les articles produits et donc de ne léser aucun des deux établissements en matière de calcul de sa « performance » en recherche… Tandis qu’un·e EC qui souffre de ne pouvoir exercer sa mission de recherche est également susceptible d’avoir des problèmes de santé sérieux à court ou moyen terme, qui se répercutent donc sur les formations de l’établissement d’origine… (Il faut parfois rappeler à nos collègues en responsabilité que même les managers néo-libéraux prônent le bien être au travail des salariés pour augmenter leur implication  !) 

  • Même en cas d’accord donné sans problème pour l’exercice de la recherche dans un autre établissement que celui de rattachement, afin que cette situation inhabituelle pour l’administration ne soit pas ensuite source inépuisable de difficultés administratives (comme par exemple pour la signature des ordres de mission pour des déplacements liés à la recherche et le remboursement des frais afférents, ou bien l’attribution de crédits de fonctionnement ou d’achat de matériel, etc.), il faut donc de surcroît négocier une convention entre les deux établissements et la personne concernée. Remarquons que la question de la prise en charge (ou non) des frais de déplacement récurrents entre le labo et l’établissement de rattachement est un point délicat sur lequel aucune réglementation ne donne de réel point d’appui. Néanmoins, la possibilité d’exercer la mission de recherche dans un autre établissement étant prévue par le décret statutaire, il est logique que les frais afférents à l’exercice dans deux lieux différents soient partagés entre les deux établissements. Pour des exemples de telles conventions déjà signées, contacter le secteur Situation des personnels.