Repenser la coopération universitaire avec la Chine

Publié le : 12/12/2011


Repenser la coopération universitaire avec la Chine.

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Dire que la Chine s'invite au banquet de la société de la connaissance est un euphémisme. Parmi les trois nations qui contestent le plus la domination des pays occidentaux et du Japon, la Chine est sans conteste le plus fascinant. Quelques chiffres donnent une idée d'ensemble sur l'évolution respective, ces vingt dernières années, de ces trois pays en ce qui concerne leur démographie et leur produit intérieur brut :

 

 

 

 


Deux indicateurs, dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, viennent confirmer le dynamisme de la chine et, à un moindre degré, de l'Inde et du Brésil : le nombre de leurs étudiants et celui des articles scientifiques publiés. Le diagramme suivant montre que la Chine a le plus fort taux d'augmentation de sa production scientifique ces vingt dernières années, suivie du Brésil, et dans une

Figure 1 : Nombre d'articles scientifiques publié chaque année
moindre mesure de l'Inde. Le Brésil a en effet doublé l'Allemagne, la France et l'Angleterre en 2005 et rattrapera probablement les Etats-Unis avant la fin de la prochaine décennie. L'évolution du nombre des étudiants a suivi des courbes parallèles montrant également le gigantesque développement des formations supérieures chinoises et brésiliennes voire dans une moindre mesure de l'Inde.

Figure 2 : Nombre d'étudiants en milliers
En Chine d'ores et déjà un quart d'une classe d'âge accède à l'enseignement supérieur et l'objectif affiché est d'arriver à 45% en 2020. Le nombre d'étudiants chinois représente à ce jour plus de 20% de l'ensemble des étudiants de la planète.
La décision de massifier les formations supérieures fut prise en chine à la fin des années quatre-vingt. Elle constitua un tournant historique pour un pays dans lequel la sélection des élites par des concours extrêmement formatés avait été consolidée par une organisation universitaire calquée sur celle de l'URSS. Elle s'est aussi accompagnée d'une augmentation de la durée des études, pour s'aligner sur celle des pays développés. Plus de dix millions d'étudiants sont maintenant inscrits en licence longue de quatre années (benke) alors que la proportion de ceux qui sont inscrits en licence courte (zhuanke) diminue. Le nombre de diplômes de benke délivrés voisine les deux millions, mais il n'y a que quatre cent mille étudiants admis en master à l'issue duquel seuls soixante mille d'entre eux sont autorisés à s'inscrire en doctorat. Cette évolution très rapide a entrainé des difficultés dans les capacités du système universitaire à fournir les enseignants et les chercheurs nécessaires à l'encadrement de ces nouveaux étudiants.
Un deuxième facteur non négligeable fut l'influence de la diaspora éduquée et en particulier de la diaspora nord-américaine qui commençait à être influente dans les sphères dirigeantes de l'Etat en ce sens qu'elle pointait la nécessité du développement d'une recherche fondamentale et appliquée de bon niveau au cœur même des universités alors que le vieux modèle soviétique la concentrait à l'académie des sciences.
La Chine a donc mis en place au milieu des années quatre-vingt une réforme très importante de son système d'enseignement supérieur en délégant de nombreux pouvoirs aux établissements eux-mêmes car la massification entraînait des contraintes organisationnelles et budgétaires telles que le centralisme à la soviétique ne pouvait perdurer bien longtemps. Il fallut décentraliser les décisions et diversifier le financement des établissements si l'on voulait tout à la fois augmenter leurs budgets et éviter un nivellement par le bas.
Ce mouvement a trouvé son application au milieu de la décennie suivante et en 1998, la loi sur l'enseignement supérieur stipula que toutes les universités devaient obtenir le statut de personne morale le jour de leur accréditation ce qui leur conférait une large autonomie, même si le poids du contrôle politique par le parti, bien qu'en recul, demeurait considérable. Certes la tutelle du parti communiste reste encore très forte, en particulier lors de la désignation des présidents ou des doyens de facultés, mais à l'exception d'une centaine d'universités, elle a été décentralisée aux échelons régionaux voire locaux et tend à s'effacer progressivement et à se concentrer sur les aspects managériaux laissant plus de latitude aux instances académiques pour ce qui concerne les activités propres d'enseignement et de recherche ainsi que dans les propositions de recrutement et d'avancement. A partir de cette date, les universités furent encouragées à multiplier les activités de recherche contractuelle et les projets menés avec les entreprises, les milieux d'affaires, les organismes sociaux et toute autre institution du secteur privé.
Dans le même temps, comme le montre la figure 2 ci-dessus, le nombre d'étudiants augmenta très brutalement à partir de 1995 et les familles furent appelées à participer au financement des études. Le montant des frais de scolarité fut dorénavant fixé par les gouvernements provinciaux, leur coût moyen se situant aujourd'hui autour de 450 euros, mais pouvant atteindre 5000 euros, selon l'ambassade de France. Cependant le nouveau plan du gouvernement chinois pour l'enseignement supérieur et la recherche à l'horizon 2020  propose le renforcement de la qualité de l'enseignement et de la recherche et l'égalité de tous dans l'accès à l'éducation. La contradiction entre cette volonté et l'établissement de droits d'inscription importants à la charge des familles reste encore à résoudre pour le gouvernement chinois qui, certes en a vu d'autres.
Malgré les fusions d'établissements destinées à donner aux nouvelles universités des marges de manœuvre supplémentaires, le nombre des universités a augmenté. On compte actuellement plus de deux mille sept cents établissements d'enseignement supérieur dont près de deux mille universités publiques, quatre cent établissements d'enseignement supérieur pour adultes et plusieurs centaines établissements de statut privé. Pour préserver un noyau dur universitaire deux programmes ont été lancés dès 1995, les programmes 985 et 2111. Il s'en est suivi une augmentation des publications scientifiques universitaires largement supérieure à l'évolution des publications générales du pays (comparez la figure 3 ci-dessous et la figue 1). Ce phénomène n'est certes pas exclusif pour la chine, il est également important France où les universités on fait un effort d'appropriation des publications mais aussi en Espagne, en Australie et en France. Mais il est beaucoup plus fort en Chine et au Brésil que dans la plupart des autres pays :
Figure 3 : Nombre de publications par les universités.
De ce point de vue, les classements des universités qu'ils soient nationaux ou internationaux sont scrutés à la loupe en Chine. Pour les pouvoirs publics ils servent de juge de paix de l'efficacité de la gouvernance. L'évolution de la place des universités chinoises dans le classement de Shanghaï2 valide en quelque sorte cette stratégie. En 2003 six d'entre elles étaient classées dans les quatre cents premières universités mondiales, elles sont aujourd'hui douze alors que la France plafonne à quatorze.
La faiblesse de la part des ressources de l'Etat consacré à l'enseignement supérieur, en 2007 la Chine consacrait 3,32% de son PIB au secteur de l'éducation, ne suffit plus à assurer ce développement. Malgré quelle soit en hausse continue en valeur absolue depuis le milieu des années quatre-vingt dix, le pourcentage de la contribution récurrente de l'Etat ou des gouvernements provinciaux n'a cessé de décroître depuis cette date. Elle est actuellement inférieure à 40%. Elle a été compensée par des subventions allouées par l'Etat aux universités accréditées dans le cadre des programmes 985 et 211, par les frais de scolarité, par les revenus générés par les universités elles mêmes appelées à créer des instituts à gestion privée, et par les contrats de recherche et les prestations de services divers auprès d'organismes publics ou de firmes privées. Aujourd'hui, les familles concourent pour plus du tiers au financement des universités. Le secteur industriel n'apporte sa contribution que marginalement.
La massification a d'autre part entraîné une remise en cause de l'examen d'entrée à l'université3, le gaokao, qui est de moins en moins perçu comme le sésame permettant de trouver une position sociale. Seuls un tiers des établissements sont habilités à délivrer le benke, un peu moins le master et seule une centaine d'établissements, parmi ceux qui ont été sélectionnés par les programmes 211 et 985, sont autorisés à délivrer le doctorat. En outre, du fait de la diversification, la qualité des établissements est devenue inégale. Les familles qui en ont les moyens et qui n'ont pas trouvé de place dans les établissements les mieux cotés préfèrent envoyer leurs enfants étudier à l'étranger plutôt que dans des universités de niveau médiocre. C'est ainsi qu'actuellement plus de cinq cent mille chinois font leurs études à l'étranger. Leur admission s'y fait selon des procédures extrêmement diversifiées. Les universités anglo-saxonnes, en particulier, n'exigent pas la réussite au gaokao car elles ont leurs propres systèmes de sélection. C'est d'abord la nécessité pour les familles et les étudiants de faire des choix raisonnables qui explique le succès remporté par les classements. En Chine, le choix des étudiants pour les universités chinoises se réfère surtout aux classements locaux (Académie of Management Science, Concordia University Alumni Association ou Université de Wuhan) mais ils prennent aussi en compte les classements internationaux qui mettent au premier chef les activités de recherche c'est à dire le classement de Shanghaï mais aussi le classement de Taïwan4 ou le classement Scimago5 qui tous les trois vont d'ailleurs dans le même sens.
Le nombre d'étudiants chinois en France est en forte progression, l'an dernier ils sont devenus le plus important contingent d'étudiants étrangers (supérieur à trente mille) devant les marocains, mais la France n'est que leur 7ème destination (la troisième européenne). En sciences on ne peut que constater la médiocrité de la majorité de ceux qui choisissent la France avant le master ou le doctorat (moins de 10% pour ces derniers). Sans doute les classements internationaux y sont pour quelque chose mais pas seulement. Le système français de détection des talents chinois n'est pas satisfaisant. Sans revenir sur les incidents de 2005-2007 qui ont émaillé les procédures CEF6, il est de fait que les opérateurs institutionnels et les services des ambassades orientent les meilleurs vers les écoles d'ingénieurs, de commerce et les « grands écoles » institutions phares de la méritocratie à la française. En outre, rares sont les universités qui se sont dotées de dispositifs adéquats de recrutement tels que le font, entre autres, les universités marseillaises ou l'université Paris Sud et trop souvent le travail préparatoire est laissé à des officines chinoises privées aux pratiques incertaines. La moitié des étudiants chinois en France s'inscrivent en licence. L'Allemagne a fait un autre choix, elle n'accepte les étudiants chinois qu'à partir du master tandis que la Grande Bretagne a une approche mercantile puisqu'à l'instar du Canada les droits payés par les étudiants étrangers sont très supérieurs à ceux payés par les nationaux.
Reste le problème de la langue, s'il n'est pas majeur pour les étudiants chinois inscrits en doctorat scientifique, l'anglais étant parlé couramment dans les laboratoires, il reste important en master et crucial en licence et dans les disciplines littéraires, juridiques et médicales. Les universités ne peuvent plus se reposer sur des dispositifs nationaux désuets. Ceci est un problème plus général des universités françaises et qui ne concerne pas uniquement la Chine. La coopération internationale en matière d'enseignement supérieur dès le niveau du master devient une règle dans les programmes phares des universités. Elle a conduit au développement de formations conjointes. L'université Pierre et Marie Curie a par exemple mis en place depuis 2005 des programmes internationaux de licence et de master en partenariat avec des universités étrangères. Ils sont actuellement au nombre de 28. Les enseignements sont dispensés en Anglais dans la majorité d'entre eux, mais pour l'heure aucun n'associe une université chinoise.
Un autre facteur important dans l'évolution du système universitaire chinois a été la montée en puissance de la diaspora nord américaine dans le système de recherche chinois. Cette diaspora qui a repris progressivement des contacts avec la mère patrie à la fin des années 80 a été mise à contribution et il n'est pas rare aujourd'hui de rencontrer des leaders de laboratoires chinois ayant des doubles positions dans une université américaine et à Pékin ou à Shanghaï. On assiste maintenant au retour en Chine de très grands chercheurs formés et travaillant aux Etats-Unis et l'émergence de leaders de laboratoires chinois ayant étés post-doctorants aux Etats Unis ou en Europe occidentale voire encore des chefs de services hospitaliers formés en France par exemple. C'est dire l'imbroglio salarial qui en résulte. Le schéma universitaire américain est de toutes les façons devenu le schéma dominant pour les chinois. Le shift des activités de recherche de l'académie des sciences vers les universités chinoises est patent comme le trouve le diagramme d'évolution des publications des universités chinoises comparées à celui des universités des pays leaders en recherche (voir supra).
Lancée à la fin des années 90, la coopération de recherche entre la France et la Chine restait cantonnée à quelques domaines très appliqués comme par exemple le laboratoire franco-chinois d'Informatique, d'Automatique et de Mathématiques Appliquées (LIAMA) situé à Pékin, fruit d'un partenariat entre l'Académie des Sciences de Chine et l'INRIA créé en 1997 où l'Institut sino-français de Mathématiques Appliquées (ISFMA) associant l'école Polytechnique et l'université de Fudan créé en 1998. Elle a d'ailleurs contribuée à l'avance industrielle de la Chine dans certains secteurs comme les batteries pour véhicules électriques alors que l'industrie française investissait mollement dans ce secteur. Elle s'est rapidement développée depuis puisque l'on ne compte pas moins aujourd'hui d'une trentaine de structures de recherche associées référencées par l'ambassade de France à Pékin7. De plus, celle-ci s'opérait essentiellement par le biais de Groupement de Recherche Internationaux (GDRI) ou de Laboratoires internationaux dans lesquels le CNRS ou les divers organismes français de recherche étaient des partenaires quasiment exclusifs de l'Académie des Sciences. Mais le développement plus récent des Laboratoires Internationaux Associés (LIA) dans lesquels les universités ont un rôle plus prononcé et le glissement de la recherche chinoise de l'Académie des sciences vers les universités devrait servir de levier à l'avenir pour les coopérations interuniversitaires. Reste la nécessité d'un renforcement de la coopération en recherche dans les sciences de base sur une base plus équilibrée et surtout son extension dans les disciplines des sciences humaines et sociales. La France n'est en effet que le huitième partenaire de la chine pour la coopération en matière de recherche. Enfin il y a un domaine dans lequel les universités françaises devraient sans doute prendre mieux leur place, celui de la coopération franco-chinoise décentralisée dont les 3èmes assises ont eu lieu en juin 2010.
La crise financière de 2008/2009 a montré que la Chine est maintenant le créancier des Etats-Unis. La crise des dettes de la zone Euro vient de mettre en évidence qu'elle va bientôt l'être pour l'Europe et en particulier pour la France. Cette dernière ne peut s'abstraire d'une analyse critique de sa politique de coopération internationale en direction des « BRICS8 ». Le déficit commercial chronique de la France a pris des dimensions dangereuses il est dû en grande partie à la réorientation du secteur privé vers les activités tertiaires. La production manufacturière de produits à haute valeur ajoutée a régressé pour représenter la moitié de ce qu'elle était au milieu des années 90. Les scientifiques et les ingénieurs français ont donc des difficultés à trouver des emplois correspondant à leur qualification. L'écart avec l'Allemagne se creuse dangereusement. Dans ces conditions la formation de scientifiques et d'ingénieurs des BRICS entièrement payée par les contribuables français et dont profitent les enfants des couches sociales les plus aisées de ces pays, sans retour bénéfique réel, pose un problème qui ne plus être ignoré. Les Etats Unis ont multiplié par 50 ces vingt dernières le nombre de leurs articles scientifiques publiés en commun avec la Chine alors que celui des principaux pays européens n'a été multiplié que par 20 (24 pour la Hollande, 20 pour l'Angleterre, 17 pour la France et 15 pour l'Allemagne).
Il suffit de lire le rapport stratégique 2007-2013 de l'union européenne concernant la Chine9 pour comprendre qu'une page doit être tournée. La majorité des actions ont eu un effet bénéfique unilatéral et le rapport insiste sur la nécessité de promouvoir les considérations de bénéfice mutuel dans les opérations futures et d'augmenter la coordination entre les états membres qui est faible en substance. Dans ce nouveau contexte, le rôle des universités devrait être de proposer une vision holistique du monde, des analyses en profondeur, des études comparatives, une analyse critique des modèles de développement et d'organiser des échanges et des débats ouverts entre leurs étudiants et leurs enseignants. Les leaders de demain sont les étudiants d'aujourd'hui, ceux qui ont « fait la crise » furent étudiants de nos universités. Notre propre responsabilité est donc engagée. La coopération universitaire doit être repensée afin de considérer le monde plus en termes de flux que de territoires. C'est un nouvel internationalisme qui est à construire. C'est dans cet esprit par exemple que les trois universités du PRES Sorbonne Université10 ont participé à la création en 2009 du Centre des Universités Européennes11 au sein de l'université Beida de Pékin. D'autres initiatives devraient voir le jour. Les nombreux programmes européens en direction de la chine tels qu'Asia Link ou Erasmus Mundus external Windows devraient ainsi être mieux utilisés et valorisés.
Gilbert Béréziat
Professeur de biochimie et biologie moléculaire
Président honoraire de l'université Pierre et Marie Curie