Réflexions sur la recherche en sciences pour l'ingénieur
Publié le 19 mars 2013
Réflexions sur la recherche en sciences pour l’ingénieur
par Hervé Christofol, MCF génie industriel, université d’Angers
L’absence de financement pérenne bride la créativité des chercheurs, contraints
d’orienter leurs travaux dans les directions souhaitées par les politiques nationales
et européennes ou dictées par les intérêts industriels des grands groupes.
Ce constat plaide pour une refonte du financement de la recherche en France.
Une spécificité des recherches dans cette
discipline provient du fait que, selon les
statistiques ministérielles, la majorité d’entre
elles est réalisée dans les entreprises privées.
Données chiffrées
En 2009, toutes disciplines confondues,
226 051 personnels de recherche exerçaient
leurs activités dans les entreprises et 168 094
dans l’administration (fonctionnaires, non
titulaires et statuts privés)(1). Dans les entreprises,
ces personnels de recherche sont des
ingénieurs et des scientifiques travaillant à « la
conception ou à la création de connaissances,
de produits, de procédés, de
méthodes ou de systèmes nouveaux » ainsi
que tous les personnels non chercheurs qui
participent à l’exécution des projets de R&D.
68 % d’entre eux oeuvraient dans les sciences
de l’ingénieur (contre 18 % en mathématiques,
Informatique logiciels et physique,
6 % en chimie, 5 % en sciences médicales...).
54 % des chercheurs en entreprise ont été formés
en école d’ingénieur et seulement 13 %
ont un doctorat. Les grandes entreprises qui
représentent 5 % des entités effectuant des
travaux de R&D réalisent 70 % de la dépense
intérieure de recherche et développement
des entreprises (DIRDE) soit 19,1 Md€ et
reçoivent à ce titre 1,8 Md€ de financements
publics. Cinq secteurs d’activités réalisent la
moitié de la DIRDE : l’industrie automobile
(15 %), l’industrie pharmaceutique (12 %), la
construction aéronautique et spatiale (11 %),
l’industrie chimique (5 %), l’industrie des
composants, des cartes, des équipements
électroniques et des ordinateurs (5 %)(2).
Le montant de la sous-traitance de la R&D
des entreprises en 2010 qui a été confié au
secteur de l’Etat s’élève à 5 % soit 331 M€ et
la part revenue à l’enseignement supérieur ne
dépasse pas 2 % soit 22 M€. Au regard des
6 420 M€ du financement de la dépense de R&D dans l’enseignement supérieur, cela ne
pèse pas très lourd, et pourtant cela permet
de soutenir des recherches dans cette discipline
qui, comme les autres, souffre d’un
sous-financement récurrent. À l’heure du
pacte pour la recherche, le fonctionnement
des équipes repose sur l’obtention de financement
de projet de recherche en réponse à
des appels d’offre européens, nationaux ou
régionaux. Si un laboratoire n’a pas décroché
la notation A ou A+, il lui sera très difficile
d’obtenir des bourses ministérielles récurrentes
ou de participer à des contrats de
recherche européens. Or ces appels à projets
sont aujourd’hui la seule possibilité de financer
des recherches fondamentales
sans application
immédiatement identifiée.
Une recherche sous contraintes
Pour mener ses activités, le
chercheur en SPI doit alors se
tourner vers des partenaires
industriels. Cela nécessite des
activités de promotion et de prospection qui
sont bien développées dans les écoles d’ingénieurs
mais qui sont souvent embryonnaires
dans les universités. Les SAIC ont vocation
à valoriser les brevets des chercheurs,
mais n’ont pas les ressources pour engager des
opérations de promotion des compétences
de recherche. C’est aux chercheurs eux-mêmes
qu’incombe cette mission en présentant
leurs travaux non seulement dans des
publications et lors de congrès scientifiques
mais également au sein de réseaux socio-économiques.
C’est aussi souvent à l’initiative
des entreprises que les collaborations se développent
et dans la majorité des cas, les ingénieurs
sollicitent les services de leurs écoles de
formation reproduisant ainsi les inégalités de
moyens entre écoles et universités. En 2012 les bourses CIFRE en partenariat avec des
entreprises représentent 22 % des financements
de thèse de doctorat de l’École nationale
Supérieure des Arts et Métiers et 20 % des
financements de celles encadrées à l’Ecole
des Mines de Paris.
Quant aux recherches interdisciplinaires au
cours desquelles les chercheurs en sciences
pour l’ingénieur peuvent s’associer avec des
collègues en sciences de gestion, en sciences
humaines, en mathématiques, en physique
ou en chimie, elles sont réservées aux
équipes labellisés pouvant émarger aux
appels à projets blancs.
Dans ces conditions, sans financement
pérenne, la créativité de nombreux
chercheurs de nos disciplines
est bridée, leur temps
de recherche est réduit par la
course aux appels à projets ou
par la recherche de partenariats
et leurs recherches sont
restreintes aux secteurs applicatifs
sélectionnés par les politiques
nationales et européennes
ou les intérêts industriels des grands
groupes. Même en SPI, le financement de la
recherche publique par les entreprises reste
marginal. Ce constat milite pour une refonte
du financement de la recherche en France et
pour un bilan des retombées du Crédit Impôt
Recherche qui coûte chaque année plus de
5,1 Md€ à l’Etat soit 20 % de la DIRDE et qui
est à mettre en regard des 6 Md€ du financement
de la recherche publique pour les
universités et établissements d’enseignement
supérieur.
(1) L’état de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche, 2011, pp. 74-83.
(2) Repères et références statistiques sur les enseignements,
la formation et la recherche, 2012, pp.363-364.