Recherche et besoins sociétaux majeurs

Publié le 19 mars 2013

Recherche et besoins sociétaux majeurs

par Marc Delepouve, responsable du secteur International

En raison de la concurrence économique internationale acharnée et de l’absence de volonté politique, des besoins majeurs sont laissés sans réponse. Il est urgent de proposer des modèles alternatifs en mesure d’affronter la crise économique, sociale et démocratique dans laquelle est plongée l’UE.

L’humanité est confrontée à des problèmes majeurs inédits qui appellent d’autres modes de production et de consommation, l’application de logiques de solidarité, ainsi qu’un développement rapide des technologies peu polluantes. Chacune de ces évolutions nécessite une contribution essentielle de la recherche reposant sur des coopérations internationales, européennes et nationales. 

L’emprise des marchés 


Mais la recherche est toujours davantage victime de l’emprise des marchés et des entreprises, de la logique de concurrence et des « politiques d’austérité ». Les conséquences sont lourdes, contraires à la connaissance et à la capacité des humains de résoudre les problèmes actuels ou futurs. 
La recherche dans les énergies renouvelables est édifiante. Selon le PNUE (Programme des Nations Unies pour le Développement), en 2011 elle bénéficiait dans l’ensemble du monde d’un financement de 6,4 milliards d’euros, soit environ 0,012 % des revenus mondiaux (!!!). Chiffre dérisoire aux regards des enjeux géopolitique, sociaux (l’accès à l’énergie conditionne l’accès aux droits sociaux fondamentaux : santé, eau, alimentation, éducation, logement) et environnementaux liés à la question de l’énergie. De plus, ces recherches se mènent dans le cadre d’une concurrence économique internationale acharnée, si bien que les mêmes efforts sont effectués simultanément en de multiples endroits sous le couvercle du secret, occasionnant un incroyable gâchis. 
Ce chiffre de 6,4 milliards d’euros à l’échelle mondiale est à comparer aux 56 milliards d’euros dépensés en 2010 par l’UE pour la seule Politique agricole commune (PAC), dont environ 42 milliards directement liés au choix de l’UE de plonger son marché intérieur dans le « libre » marché mondial. Certes, la balance commerciale de l’UE dans le domaine des produits agricoles et alimentaires est excédentaire, mais de seulement 4,5 milliard d’euros. 

Des modèles alternatifs 


Dans le même temps, dans le domaine de l’énergie le déficit commercial de l’UE dépasse largement 200 milliards d’euros. Ceci résulte de l’absence de volonté politique dans le domaine de la recherche et du développement de modes d’énergie qui, tout en étant bien moins polluants que les énergies fossiles ou nucléaires, ne nécessitent pas d’importation : solaire thermodynamique à concentration pour les pays du sud de l’Europe, solaire thermique, énergies marines… Face aux périls environnementaux et à la crise économique, sociale et démocratique dans laquelle est plongée l’UE, se présente la nécessité de recherches sur le modèle économique, commercial mais aussi démocratique de l’Europe, sur la conception de modèles alternatifs intégrant ces différentes dimensions, et sur les voies de passage vers ces modèles. Ces questions relèvent du politique, ce qui ne justifie aucunement leur marginalisation au sein de la recherche institutionnelle. Rappelons ici la déclaration mondiale de l’UNESCO, L’enseignement supérieur pour le XXIe siècle (9 octobre 1998), selon laquelle la recherche doit « offrir des points de vue critiques et objectifs destinés à faciliter le débat sur les options stratégiques et le renforcement des perspectives humanistes », « aider à identifier et traiter les problèmes qui nuisent au bien-être des communautés, des nations et de la société mondiale ». Contribuer aux réponses aux problèmes, actuels et futurs, auxquels est confrontée la société nécessite un développement libre des connaissances, dans l’ensemble des disciplines. La contribution sociale et le développement des connaissances constituent le sens de la recherche, son attractivité et la condition de son développement. 

Aux antipodes de cette conception, la recherche est toujours plus détournée et asséchée. Nouvelle étape, en France, l’avant-projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique comportant notamment un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. La région serait appelée à être l’unité territoriale de base de l’affrontement économique international. La recherche, réquisitionnée, serait-elle condamnée à se transformer en un régiment d’élite ?  

(1) Je me permets de renvoyer à M. Delepouve, Une société intoxiquée par les chiffres – Propositions pour sortir de la crise globale, L’Harmattan, 2011, plus particulièrement pp. 90-97.

(2) Ibid , pp. 111-116