Recherche : De quoi les ESPE sont-ils le non ?

Publié le : 15/10/2013


RECHERCHE  De quoi les ESPE sont-ils le non ? 

par Vincent Charbonnier, coresponsable du collectif FDE


Avec les ESPE, la réforme de la formation des enseignants relève d’une obstination à
détruire la recherche en sciences de l’éducation.

Compte tenu la façon dont la réforme de la
formation des enseignants a été conduite
par le gouvernement, la confusion délibérée
de l’urgence et de la précipitation, autant
que la défiance marquée à l’égard de la
communauté des personnels engagés dans la
formation des enseignants, on peut d’ores et
déjà s’interroger sur la place effective (et non
pas seulement nominale) de la recherche
dans les ESPE. Au vrai, lors de la discussion
de la loi sur la « Refondation de l’école » les
amendements portés par le SNESUP à ce
sujet(1) ont tous été refusés par le MEN en
dépit de l’accord du MESR (DGESIP). Ce
refus circonscrit bien la négation dont la
recherche est subtilement l’objet dans les
ESPE, prolongeant ainsi l’interdit fait aux
IUFM par Fillon en 1993 de faire de la
Recherche. 
Cette négation, proprement subtile, est à plusieurs
facettes et pourra même paraître contre-intuitive.
Au-delà de sa place déclarée dans
les maquettes, il faut souligner que la
recherche sera nécessairement liée à l’ensemble
universitaire (établissement porteur ou
CoUÉ), dont dépend(ra) l’ESPE. Cela implique
que la structuration comme le choix des thématiques
de la recherche y seront essentiellement
référés. 
Précisément, au vu des dossiers de préfiguration,
les thématiques généralement retenues
sont plutôt classiques : elles concernent
le champ didactique disciplinaire (les
contenus), l’exercice du métier (la « professionnalité
») et le phénomène éducatif lato
sensu
, en lien avec les SHS et, au plus large,
avec les sciences de la cognition, y compris
dans sa dimension médicale. Il faut y ajouter
un élément transversal, en l’espèce le « numérique
», paré de beaucoup de vertus – peut-être
la nouvelle pierre philosophale de l’enseignement
? Mais au fond, c’est une
conception « applicationniste » et normative de
la recherche qui se dégage, puisque le
schéma souvent retenu est celui d’un « appel »
à la recherche, émanant du terrain – lequel,
air connu, ne ment jamais –, une recherche
qui l’analyse donc, en extériorité si l’on peut
dire, et qui y retourne, en proposant son
remodelage, revêtu du chrême de la science,
aux acteurs. Bien sûr, il n’y a pas de science
sans objectivation ni construction d’objet.
Mais ici, la séparation entre la recherche d’un côté et les acteurs de l’autre, entérine cette
conception « applicationniste », déniant, l’expertise
et les savoirs propres des formateurs.
Une autre négation qui ne dit pas totalement
son nom, l’absence de tout cadrage national.
En raison de la diversité des situations et des
formats institutionnel(le)s mais aussi du poids
acquis par les rectorats et les corps d’inspection
dans le pilotage des ESPE. L’INRP – cet
obscur repère de « péda-gauchistes » ayant
fini par être liquidé(2) –, il n’y a plus aujourd’hui
– et aujourd’hui encore moins qu’hier –, d’établissement
public national susceptible d’assurer
un tel cadrage. Cela ne pourrait-il pas être
la fonction de l’Institut français de l’Éducation
(IFE), ainsi que l’affirme son actuel directeur,
M. Lussault ? Ce dernier présente en effet
l’IFE comme un acteur de « la mise en place
effective des ESPE
», affirmant que « l’appui au
développement de la recherche dans les ESPE
»
sera, pour l’IFE, « une mission nationale ». Mais
il y a loin de la coupe aux lèvres, en particulier
quand la première est fêlée et que les
secondes sont froissées. En dépit de sa dénomination,
l’IFE n’est pas un institut au sens du
Code de l’Éducation, qui disposerait par
exemple de moyens fléchés, etc. mais, plus
prosaïquement, un département de l’ENS de
Lyon. Sa position subalterne combinée à l’austérité
native de la loi LRU et des RCE augmentée
du désengagement financier de l’État,
ne le disposent en effet nullement à pouvoir
exercer le rôle qu’on lui promet au plan de la
recherche en éducation. En fait, il semble de
plus en plus colonisé par le MEN, soucieux de
pailler le ratage (dont on peine à considérer
qu’il n’est pas délibéré), de la « Refondation »
de la formation des enseignants dont la mise
en place chaotique des ESPE est l’expression.
Par l’entremise de la DGESCO (MEN), l’IFE est
enjoint de participer au dispositif M@gistère de
formation des enseignants en complément ou
en substitution – ce n’est pas très clair ou pas
encore tranché – des ESPE. 
La promesse négative des ESPE, celle d’un
retour aux Écoles normales d’avant les IUFM est
congruente à la négation continuée d’un établissement
national de recherche en éducation
et en formation (lequel exista d’ailleurs
brièvement en 1986 peu de temps avant que la
Droite ne revienne au pouvoir). De cette négation
persistante il faut s’émanciper. Parce que
enseigner est un métier qui s’apprend et que
l’éducation est un champ de recherche légitime
et à construire, fût-il complexe et très vaste.  
(1) Pour mémoire, il s’agit des amendements
nos 1 et 4 des art. 68 et 70 de la loi (cf. Former
des maîtres
, n° 617, octobre 2013, p. 8-9). 
(2) Notons que, rétrospectivement, le sort des
IUFM était lié à celui de l’INRP, ce dernier les
ayant juste précédé dans la tombe