Quelques caractéristiques de l'organisation de l'enseignement supérieur au Canada

Publié le : 30/08/2002

 

Quelques caractéristiques de l'organisation de l'enseignement supérieur et de la recherche au Canada

Auteur(s) :

d'après un entretien avec David Robinson, Directeur général associé de l'Association canadienne des professeures et professeurs d?université

 


 

Eléments de description de l'organisation du système de l'enseignement supérieur canadien ou :
pour une petite idée de ce qui nous attend

 

 

Notre camarade David Robinson, Directeur général associé de l?Association canadienne des professeures et professeurs d?université (ACPPU / Canadian Association of University Teachers / CAUT), lors d?une rencontre informelle avec la direction nationale du SNESUP, nous a brossé le tableau d?une organisation du supérieur dont les caractéristiques semblent assez précisément correspondre à ce vers quoi tend la réforme à laquelle nous sommes aujuord?hui confrontés. Décentralisation, déréglementation et privatisation en sont les termes clés, et le recul du contrôle démocratique et des libertés académiques, un corollaire majeur. Chacun et chacune pourra faire le parallèle sur les questions de financements de la recherche, de la place des intérêts privés, la valeur des diplômes, le statut des personnels, l?indépendance de la recherche entre autres.

 

Décentralisation

Le système universitaire public canadien est décentralisé et présente de fortes disparités organisationnelles, salariales ou budgétaires entre provinces. David Robinson nous a tout d?abord expliqué que les universités sont créations des gouvernements de provinces qui attribuent une charte habilitant les institutions ainsi constituées à délivrer des diplômes [degrees]. Ce processus concerne la très vaste majorité des établissements universitaires (de l?ordre de 80 en tout), les établissements privés (et religieux) représentant 1 ou 2% de l?ensemble. Les choses se compliquent toutefois avec les " colleges ". La création de collèges est, en revanche, largement déréglementée et l?appellation " college " est très libéralement disponible à quiconque souhaite s?en emparer. En outre, le rôle des collèges (avant, ou parallèlement à l?université) varie entre le Quebec et le reste des provinces. Certes, ces établissements ne sont pas habilités à délivrer des degrees universitaires et on parle dans ce cas de diploma. Il en résulte une prolifération de collèges privés dont bon nombre se disputent le marché des cours de langue pour étudiants étrangers dans des conditions échappant à tout contrôle pédagogique sur les cours, les contenus, les conditions d?étude ou les prix. Un récent scandale a utilement illustré la bienfaisance du système : un école de commerce a vendu des cours à des tarifs redoutables, cours qui n?eurent jamais lieu une fois la rentrée venue.

 

 

Autonomie, législation du travail .

Les collègues universitaires canadiens ne sont pas fonctionnaires. Leurs conditions d?embauche et de salaires sont spécifiquement liées aux établissements qui les emploient et aux accords locaux qui les régissent. C?est donc l?université qui paye ses enseignants et pas une administration fédérale ou même de province. Cela dit, on a récemment vu des gouvernements de provinces (qui évidemment financent une grande partie des activités) imposer aux enseignants l?utilisation de l?enseignement en ligne ou des révisions à la hausse les effectifs réglementaires d?étudiants par classe. Bien entendu, ce différend entre accords (traditionnels, reconnus) négociés au niveau des établissements eux-mêmes et nouvelles réglementations décidées par la province, illustre le flou qui finit par régner en matière de législation du travail et donne une idée de la fragilité des négociations autonomes propres aux établissements.

 

 

Statuts / salaires

La distribution des statuts telle que David Robinson l?a décrite est relativement voisine de ce que nous connaissons. Les trois principales étapes de la carrière enseignante mènent de postes d?assistants à des postes d? " associate professor " pour finir (de 10 à 15 plus tard) " full Professor ". Ont été par ailleurs introduits des fonctions strictement pédagogiques exemptes de tout travail de recherche (" full time instructors "). Restent enfin l?armée de réserve des chargés de cours. Il n?existe par ailleurs aucun mécanisme de transfert d?un établissement à l?autre. Un collègue qui souhaite changer de province doit chercher un nouveau poste sur un marché du travail universitaire sans structuration interne d?ensemble (cf. la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis).

Il va de soi, dans ces conditions, que les salaires sont à l?image de ce système localiste, dépourvu de tout référent fédéral /national. Les salaires varient donc grandement d?au moins deux manières. (i)Les différentiels peuvent être considérables d?une université à l?autre selon les accords locaux, les financements de la province et les financements du secteur privé, bien entendu. (ii) Mais ces différentiels peuvent être aussi internes à chaque établissement, par exemple entre des enseignants en informatique et leurs collègues de lettres. La question des salaires se complique davantage avec le référentiel salarial posé, de facto, par le secteur privé. A qualification semblable, les enseignants de certaines disciplines gagnent deux fois moins que dans le privé. D?où la mise en place de systèmes de compensation (" market differentials ") et d?ajustement du salaire universitaire en relation avec le marché. Mais comme l?a signalé l?ACPPU / CAUT, ces compensations présentent de sérieux problèmes qui se sont illustrés notamment avec le récent effondrement du secteur des hautes technologies. Nombre de salariés du privé travaillant (et pendant un temps, prospérant) dans ce domaine ne demandent aujourd?hui qu?à intégrer les universités qui se sont alignées sur les tendances éphémères d?un marché du travail instable, au point de créer de véritables régimes de faveur pour les collègues de certaines disciplines. A l?incohérence salariale induite par ces man?uvres d?ajustement pourrait s?ajouter enfin le régime encore plus individualisant des salaires au mérite dont les tentatives de mise en place semblent rencontrer des résistances significatives.

 

 

Formation / création de cursus.

Les administrations des universités sont organisées en deux assemblées. D?un côté, le " university senate " qui regroupe représentants étudiants, enseignants et administratifs à la manière des c.a. des universités françaises. De l?autre, on trouve le " board of governors " qui lui regroupe des gestionnaires, des responsables financiers et très peu d?enseignants. La création de nouveaux diplômes dépend du c.a  (senate) mais là encore, sans interaction à une échelle fédérale qui déterminerait une valeur nationale des diplômes et cursus créés. Deux autres facteurs interviennent dans ce processus. L?un, côté budgétaire et disciplinaire, relève de l?apport du privé : une entreprise peut décider de proposer la création d?une nouvelle formation en avançant les financements nécessaires. L?autre, côté reconnaissance symbolique de la valeur du diplôme, tient au prestige des établissements concernés.

 

 

 

Le recherche, son financement, son indépendence scientifique.

(i) Redéfinition des critères

L?évolution globale de la recherche se caractérise par la place croissante qu?y est venu occupé le secteur privé.  Une première réorientation d?ensemble a consisté à déplacer les critères de financement (de la part des gouvernements de provinces) en passant du nombre d?étudiants au programmes de recherche eux-mêmes. Glissement qui dès le départ s?est fait au bénéfice de la recherche médicale et en sciences appliquées et donc au bénéfice des grandes universités des grandes villes et au détriments des unités intermédiaires et plus petites situées dans des provinces moins riches et moins urbanisées.

(ii) Désengagement des administrations d?état, poids du secteur privé

Une phase de réduction des dépenses d?état dans le domaine de la recherche universitaire publique a fini par aboutir, en 1999, à la création d?un organisme indépendant et non élu : la Canada Innovation Foundation détermine un volume considérable des allocations de budgets de recherche selon des critères et des méthodes spécifiques. Cet organisme détient notamment le pouvoir de financer des " university chairs ", ou centres de recherche constitués autour de personnalités scientifiques reconnues. Sur les 2000 " chairs " que finance la Foundation, 60% relèvent de la recherche médicale, 30% sont dans le domaine de l?ingénierie, et enfin 10% se trouvent dans le champ des sciences humaines et de lettres. Or, 60% des universités se consacrent aux sciences humaines et aux lettres. Le financement, quant à lui, se fait dans des conditions bien particulières : la part qui en demeure publique est conditionnée par le recherche d?un volume budgétaire équivalent venant du privé. Il engage ceux qui le reçoivent à trouver des débouchés commerciaux à leur programme de recherche. Plus précisément, un financement existant peut être multiplié par deux sur dix ans à condition que le revenu de la recherche commercialisée soit, lui, multiplié par trois. Ce qui veut dire que si une partie des financements restent publics, le nouveau dispositif est entièrement consacré à contraindre la recherche universitaire à se tourner vers le privé pour ses financements en amont, et vers le marché pour la commercialisation en aval. C?est d?ailleurs le sens d? " innovation " qui strictement, veut dire ici : innovation dans la recherche et le développement de liens avec le secteur marchand et la commercialisation. (On aura noté qu?en outre, c?est dans ce même contexte qu?émerge le vocabulaire de l? " Excellence ".) " Innovation " pris dans ce sens peu habituel, couvre aussi la question du remodelage du droit de propriété intellectuelle en défaveur des chercheurs eux-mêmes, jugés peu compétents sur le terrain de la commercialisation.

Cette orientation résolue vers la privatisation universitaire trouve aujourd?hui sa confirmation dans la création de la première université privée, à but lucratif (" for-profit university "), et habilitées à délivrer des degrees, le gouvernement de la province d?Alberta ayant donné son accord pour l?implantation d?une université DeVry, entreprise US dans le secteur de l?enseignement supérieur (cf. l?article de l?ACPPU /CAUT à

http://www.caut.ca/english/publications/now/20010206_alberta.asp et également le site de l?entreprise DeVry à http://www.devry.com/inc/about.html ).

(iii)Intimidations et censures

C?est dans ce contexte qu?émerge un nouveau type de conflits allant au-delà des habituels problèmes de promotion et de discrimination. Des chercheurs ont fait l?objet de mesures de rétorsion directe de la part des entreprises finançant leur institutions et leur programme. La cas du professeur Nancy Olivieri est particulièrement exemplaire. Cette chercheuse dans le domaine médical (maladies du sang), sous contrat avec l?entrerpise pharmaceutique Apotex, dut interrompre ses tests cliniques, quitter son poste de Directrice de programme et ses travaux firent l?objet d?une tentative de censure, en 1996, parce qu?elle avait découvert qu?un certain produit pharmaceutique produisait des effets secondaires graves sur la santé des patients. L?entreprise (Apotex) fabricant le produit en question s?apprêtait à faire une donation de plus de 20 millions de dollars à l?université employant N. Olivieri. La chercheuse ne reçut donc ni le soutient de son université ni celui de son hôpital universitaire. Elle fut réintégrée en 2001, après trois ans de procès extrêmement coûteux pour le ACPPU / CAUT qui mena cette longue bataille (

http://www.caut.ca/english/bulletin/2001_nov/default.asp et pour un historique détaillé, on peut consulter, http://www.utfa.utoronto.ca/html/newsbul/html/feb1199.htm ou http://www.essentialdrugs.org/edrug/archive/200110/msg00128.php et en français, par exemple http://www.unesco.org/courier/2001_11/fr/doss11.htm ).

La rupture de contrat du Dr David Healy, expert en psychiatrie, constitue un autre cas emblématique du même genre. Son contrat de directeur du programme sur les troubles de l'humeur et l'anxiété, à l?université de Toronto, avait été annulé suite à une conférence au cours de laquelle, il avait osé critiquer le rôle des industrie pharmaceutiques.(cf.

http://www.caut.ca/francais/bulletin/current/healy.asp et http://www.caut.ca/english/issues/acadfreedom/healyletter.asp).

 

 

Folie sécuritaire

Enfin, David Robinson nous a exposé les raisons pour lesquelles un grand nombre de collègue canadiens originaires d?états décrétés " voyous " et d?étudiants étrangers, ont renoncé à traverser la frontière vers les Etats-Unis. Depuis le 11 septembre 2001, outre les diverses intimidations à la frontière, des personnes ont été rapatriées dans un " pays d?origine " qui n?était plus le Canada mais des destinations lointaines comme la Syrie par exemple, contraignant le CAUT / ACPPU à de longues et difficiles démarches pour permettre à ces personnes de revenir au Canada.