Journées intersyndicales femmes : la grossophobie en question

Publié le 26 août 2024
Cette année, l’intime s’est invité aux Journées intersyndicales femmes. Organisées par la CGT, la FSU et Solidaires depuis 1997, elles se sont tenues les 3 et 4 avril derniers et ont rassemblé plus de 400 militant·es.

par Hélène Gispert et Françoise Rivière, collectif Égalité femmes-hommes.

Les 3 et 4 avril derniers, quatre thématiques ont structuré les Journées intersyndicales femmes organisées par la CGT, la FSU et Solidaires depuis 1997 : « L’intime est politique. Refuser les normes esthétiques et injonctions du paraître » ; « Construire nos luttes féministes » ; « Nouvelles technologies et intelligence artificielle. Nouvelles mais toujours sexistes ! » ; « Métiers du soin et du lien. Un enjeu pour l’égalité »1. Des chercheuses et des syndicalistes ont ouvert les discussions avec plus de 400 syndiquées présentes dans la Salle Olympe de Gouges, à Paris (11e). Nous partageons ici la première de ces demi-journées, consacrée à la grossophobie.

Contraintes esthétiques

Dans la salle, des affiches de poings levés, des pancartes plantent le décor… Sur l’une d’elle, on peut lire, à l’intérieur du rectangle figurant un miroir : « Miroir, ô mon beau miroir… tais-toi ! » En une image sont signifiées ces contraintes esthétiques venant de loin, qui pèsent sur les visages et les corps des femmes aujourd’hui encore, dont le culte de la minceur appelant son opposée, la grossophobie.

C’est le cœur de l’intervention de l’autrice Daria Marx, cofondatrice du collectif Gras Politique2, et du concert de la chanteuse Mathilde. Leurs propos : démêler le politique derrière l’intime, penser le féminisme en rapport avec toutes les formes de discriminations ; et un premier constat : la discrimination due à la grossophobie est partout, à l’embauche, sur le lieu de travail, dans les soins, les transports, la ville, etc., alors que notre pays compte 20 % de personnes obèses, dont 2 % sévères.

« La personne grosse est traitée comme une ennemie d’État », analyse Daria Marx. Et comme une personne infantilisée, dépossédée de son corps, ajoute Mathilde, comme toutes celles qui sortent de la norme. « Les gros·ses sont obligé·es de négocier leur dignité au prix de la perte de poids. » Plus encore les femmes, sur le corps desquelles pèse une pression accrue : elles représentent 80 % des opérations de chirurgie bariatrique. Et parmi elles, plus fortement encore les plus pauvres. « Statistiquement, plus on est pauvre, plus on est gros, car la grosseur est une question de classe et de moyens économiques », souligne Daria Marx, rappelant aussi que « les mouvements liés au corps ont toujours été lancés par les femmes racisées ».

La discrimination due à la grossophobie est partout, à l’embauche, sur le lieu de travail, dans les soins, les transports, la ville, etc.

Phénomène hautement politique

« Ce qui a été fondamental pour moi, c’est le jour où j’ai arrêté de m’excuser d’être grosse », témoigne Mathilde. Et Daria Marx sort de sa besace de très nombreuses statistiques pour caractériser le phénomène global et hautement politique que constitue l’obésité. 

Ne plus s’excuser d’être grosse, chanter un féminisme radical en revendiquant la libération du corps des femmes3 vaut à Mathilde d’être victime d’un cyberharcèlement pour grossophobie ancré dans des milieux d’extrême droite et soutenu par de puissants lobbys grossophobes. Un signe parmi d’autres de la fascisation de la société, note-t-elle.

À la suite des deux exposés, des échanges ont eu lieu : retour d’expériences personnelles, intimes et militantes qui donnent à ces rendez-vous annuels des airs de « “petite escapade”, qui nous permet de repenser notre vécu »4. Vivement l’année prochaine ! 

1 : lien vers le Programme  ; lien vers lesactes des journées 2023

2 : graspolitique.fr.

3 : « Mais qu’est-ce qu’il a, le corps des femmes/ Pour qu’on ne lui foute jamais la paix ?/ Combien faut-il de cris, de larmes/ Pour qu’on lui rende sa liberté? » (Le Corps des femmes, album La Nuit. Le Jour, 2024).

4 : Propos d’Annick Coupé, une des initiatrices de ces journées, dans sa préface à Toutes à y gagner. Vingt ans de féminisme international (Syllepse, 2017).
 


 

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La Nuit. Le Jour, l’album de Mathilde sorti cette année.