Pour un syndicalisme offensif !

Publié le 12 mars 2009

Motion d'orientation proposée par des militants hors tendance, les militants de l'Ecole Emancipée et des militants venant d'Action Syndicale

Pour un syndicalisme offensif !

La brutale irruption de la crise met durablement en cause la viabilité d'un système, pourtant présenté jusque-là comme le seul possible. Ses laudateurs n'ont pas manqué. Leur argumentaire, bien rodé, mais changeant selon le contexte, ne poursuivait qu'un seul objectif : convaincre chacun de l'inéluctabilité de la politique poursuivie. Ils convoquèrent d'abord la faillite de l'État Providence sur fond de crise pétrolière, sacrifièrent les politiques de redistribution, dont le service public est un élément constitutif, sur l'autel du réalisme et du pragmatisme. Ils se réfugièrent ensuite derrière l'absence de marges de manœuvre, opposant dette et déficit à tous ceux qui exigeaient d'autres choix politiques. Enfin, ils recoururent à l'harmonisation européenne, nécessité absolue à l'heure de la compétition mondiale, pour imposer une seule et même rationalité, économique et concurrentielle, à l'ensemble des institutions et aux services publics.

L'Université, collégiale, démocratique, égalitaire dans ses principes ne pouvait échapper à cette logique.

La liste des discours dénonçant son fonctionnement, sa lourdeur, son opacité, son inefficacité serait longue. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, dans son allocution désormais célèbre du 22 janvier, en a livré un résumé complet, au moment où son gouvernement entreprend d'achever un travail largement entamé par ses prédécesseurs, sous le couvert de l'Europe. Par la Déclaration de la Sorbonne en 1998, puis le lancement du "Processus de Bologne" en 1999, l'Université devait s'inscrire dans un marché du travail homogène à l'échelle de l'Europe constituée autour de la concurrence comme seule valeur de l'organisation des sociétés. Derrière la LOLF, le LMD, le « pacte pour la recherche » d'avril 2006 et la loi LRU, se profilait une transformation majeure de l'Université fondée sur le projet politico-idéologique de l'extension de la sphère marchande à l'université et au savoir, impliquant la destruction du service public d'enseignement et de recherche.

Mobilisation et action syndicale

La mobilisation de l'hiver 2008-2009 marque un brutal coup d'arrêt au renoncement et au fatalisme qui longtemps a habité une partie de la communauté universitaire. L'exaspération qui monte doit devenir un moteur pour l'élaboration d'une alternative. Pour cela, la direction nationale du SNESUP doit déterminer une ligne claire suivie sans hésitation. Lors du précédent Congrès d'orientation, alors que la loi LRU était en gestation, il était évident qu'un affrontement décisif avec le ministère et le gouvernement s'annonçait. Au lieu de le préparer sans tergiverser, la direction du SNESUP préféra rechercher des alliances, pourtant manifestement paralysantes, avec la CPU et l'UNEF, notamment lors des "Assises" du 2 juillet 2007. La confusion s'est poursuivie pendant l'automne par l'absence de mots d'ordre clairs, en particulier d'appel à la grève. Ce dernier fut même décidé une fois en secrétariat national, sans être ensuite diffusé, alors que les étudiants étaient fortement mobilisés et avaient besoin d'un large soutien. Tout se passait comme si notre direction s'était davantage souciée de ménager d'hypothétiques alliés dans les instances universitaires que de la défense des intérêts des collègues et de la promotion d'une conception alternative de l'Université.

Cette orientation mortifère pour le SNESUP s'est récemment retrouvée dans ses hésitations au sujet de la réforme de la formation des enseignants, symbolique de ce point de vue. Alors que dès la rentrée de l'année universitaire 2008-2009, l'opposition montait dans les universités et que nombre de collègues syndiqués ou non attiraient l'attention du SNESUP sur le projet de réforme de la formation des enseignants, la direction sortante n'a pas su ouvrir au sein du syndicat un débat approfondi associant l'ensemble des syndiqués aux travaux des camarades du secteur « Formation des maîtres ». Les Lettres Flash et les communiqués ont ainsi défendu un jour le retrait, un autre jour le moratoire, un autre encore des mesures transitoires découlant de l'acceptation du principe de cette réforme. La direction s'est longtemps contentée d'un alignement sur la FSU : « Le gouvernement poursuit à marches forcées sa réforme de la formation des maîtres sans entendre notre demande, largement partagée, de report d'un an » (motion CDFN du 21 janvier). Cette position, semblable à celle de la CPU, pouvait donner l'impression aux collègues et étudiants mobilisés qu'il était prêt à troquer l'acceptation de la "mastérisation" contre un retrait du décret modifiant le statut.

Pourtant, l'analyse du projet de réforme de la formation des maîtres montre sa profonde adéquation avec la RGPP (Révision générale des politiques publiques), dont le premier rapport d'étape recommandait : « Dans le cadre de la réforme des lycées, les marges d'autonomie des établissements seront élargies pour leur permettre de moderniser leur fonctionnement et d'adapter leur offre éducative aux publics spécifiques qu'ils accueillent ». Cette adaptation n'a de sens que dans le cadre d'un recrutement par les chefs d'établissement de leurs enseignants, au mieux des candidats ayant réussi un concours, qui vaudrait inscription sur liste d'aptitude (sur le modèle de la fonction publique territoriale), au pire des détenteurs (ou non, si le vivier s'avère insuffisant !) d'un master enseignement dont le contenu et la qualité varieraient en fonction de la "spécificité des publics". Conjuguée à la baisse drastique des postes mis au concours, alors même que la démographie imposerait un plan pluriannuel de recrutement, la "mastérisation" est donc bien une arme de destruction massive d'emplois publics et du système de formation des enseignants. Fort de cette analyse, la direction actuelle aurait été en meilleure posture pour convaincre les autres syndicats de la FSU. Alors même qu'un mouvement sans précédent naît dans les universités, force est de constater que notre syndicat peine à s'inscrire pleinement dans la mobilisation, à susciter, synthétiser et porter toutes les revendications. Il est urgent et primordial que le SNESUP redevienne le moteur principal des luttes à l'Université !

Une orientation de résistance et de lutte qui s'enrichit de sa diversité

Au-delà des responsabilités des uns et des autres, atteindre cet objectif suppose un changement profond du fonctionnement interne du SNESUP. Indépendamment des désaccords d'orientation entre la majorité sortante Action syndicale (AS) et la forte minorité École Émancipée (ÉÉ), force est de constater que, depuis deux mandats, la minorité s'est heurtée à des rigidités de fonctionnement et des manquements à la démocratie qui ont rendu difficiles les débats. Le nécessaire apport minoritaire a été récusé. En refusant de l'entendre, la direction actuelle analyse systématiquement les divergences en termes de conflit entre deux courants de pensée (AS vs ÉÉ), alors que toutes les questions posées traversent l'ensemble du syndicat et que l'impératif est le renforcement de celui-ci. Comment penser que cet affrontement stérile et figé puisse apparaître attractif aux yeux de nombre de collègues qui hésitent, surtout depuis la mobilisation de cet hiver, à prendre leur carte ? Pour progresser, le SNESUP a besoin d'une direction collégiale où chacun puisse travailler et être entendu. Il a besoin de toutes ses forces, réunies autour d'une option qui rassemble au-delà des clivages traditionnels ! Il a aussi besoin d'une expression publique claire et mobilisatrice, fondée sur une indépendance de principe vis-à-vis des instances non syndicales. Enfin, le SNESUP doit être au sein de la FSU et du mouvement syndical une référence d'ouverture aux luttes sociales, au-delà de l'Université et du territoire national.

Certes, la communauté universitaire ne pourra, à elle seule, enrayer les rouages de la machine libérale, mais elle est un élément indispensable de la lutte globale pour la défense des services publics et du monde du travail. Le SNESUP doit pouvoir peser bien plus, afin notamment que la FSU dépasse les divisions de ses syndicats et devienne une composante essentielle d'un pôle syndical interprofessionnel combatif aux niveaux national et international. Il doit commencer par proposer des moyens d'action rassembleurs et offensifs. Il faut mettre en accord les propos et les actes : grève effective, coordination des luttes, attention aux collègues plus qu'aux instances et implication universitaire dans les mouvements sociaux doivent redevenir les axes centraux de notre intervention, à côté de l'indispensable défense corporative des collègues titulaires ou non, de l'organisation d'assemblées générales et de la participation aux manifestations. Il faut, aujourd'hui, débattre avec les divers acteurs du mouvement qui s'amplifie dans les universités, et non chercher à lui imposer nos positions ! Plus encore, comme en témoignent les riches échanges sur le forum-supérieur, le SNESUP doit et peut redevenir une véritable force de proposition dans le cadre des multiples concertations locales et nationales.

Tirer les leçons de la situation actuelle

Le SNESUP doit aussi dénoncer le renforcement par la loi LRU de la position de la CPU en tant qu'interlocuteur privilégié (sinon unique) du gouvernement. Le rôle des syndicats doit être réaffirmé. La responsabilité de participer à d'éventuelles négociations échoit au SNESUP. De concert avec la coordination nationale, les syndicats et associations investies dans la mobilisation. Et pas à n'importe quelles conditions. Les préalables sont connus et ont été posés par le mouvement : retrait du projet de formation des maitres, rétablissement d'au moins une année de formation statutaire en alternance aux métiers de l'enseignement dans le cadre des IUFM, reconnaissance des cinq années de formation des enseignants par un diplôme de master ; retrait du projet de décret sur le statut des enseignants chercheurs et du projet de nouveau contrat doctoral unique ; rétablissement des postes supprimés et mise en chantier d'un plan pluriannuel de création d'emplois statutaires ; abandon du mode d'allocation des moyens dit « SYMPA » ; abandon des projets de démantèlement des grands organismes et de leur transformation en agences de moyens...

Sans l'acceptation de ces préalables, le gouvernement ne saurait espérer établir une relation de confiance que la surdité des ministres de l'Éducation Nationale et de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche d'une part, et le mépris affiché par le Président de la République pour les universitaires d'autre part, ont brisée. Notre participation souhaitable à de véritables négociations n'entame pas pour autant notre détermination. Le gouvernement doit savoir que nous ne nous contenterons pas du retrait de certaines dispositions et du gel de la suppression des postes d'enseignants-chercheurs seulement et pour la seule Université. Notre objectif prioritaire demeure l'élaboration négociée d'une nouvelle loi abrogeant la loi LRU, et son corollaire, un financement public pour les universités (salaires décents pour les personnels, postes statutaires et moyens) et la recherche à la hauteur de leurs missions et besoins réels ; d'une loi annulant le "Pacte pour la recherche" d'où ont découlé l'ANR et l'AERES, assurant les laboratoires de crédits récurrents et permettant la résorption de la précarité.

Seule une organisation syndicale en phase avec la mobilisation des personnels universitaires et des étudiants est à même d'être un interlocuteur reconnu par tous. Une analyse large, à diffuser partout, de ce mouvement social qui perturbe tant ceux qui connaissent mal l'Université ; un discours clair et ferme, qui ne varie pas d'une lettre flash à l'autre ou en fonction des positions fédérales ; une présence permanente aux côtés de tous les acteurs de la mobilisation... voilà les conditions nécessaires, et sans doute encore insuffisantes, pour un renforcement durable du SNESUP auquel les signataires de ce texte souhaitent tous contribuer.

Dans ce but, nous appelons l'ensemble des syndiqués, au-delà des tendances présentes dans notre syndicat, à signer ce texte et à voter pour cette orientation afin de renouveler profondément les fonctionnements internes du SNESUP. La prise de conscience de nombreux collègues, leur investissement dans les organes représentatifs universitaires et les luttes qu'ils ont menées durant les deux dernières années doivent trouver une expression dans les options défendues haut et fort par le SNESUP.

Affichons une détermination sans faille
contre la mise en place de l'Université-entreprise, la destruction du service public d'enseignement supérieur et de la formation des étudiants,
pour la résistance, la lutte et la transformation sociale,
VOTEZ
Pour un syndicalisme offensif !

 

Signataires de la liste d'union au 9 mars 2009 :

 

Pierre-Henry ARDONCEAU, MCF Economie UPPA
Christian BANLIAT, secrétaire section Lyon 3, BN
Jean-Baptiste BARDET, MCF Mathématiques, Rouen
Magali BARDET, MCF Informatique Rouen
Sylvie BARRAY, PU, secrétaire section Rouen Sciences
Hervé BENOIST, P.U. Pharmacie Toulouse
Catherine BORDEL, MCF Physique Rouen
Claire BORNAIS, secrétaire adjointe Lille I
Claudy BOUYON, Sciences du langage, Montpellier 3
Bertrand BERCHE, Physique, président 28° section CNU, Nancy
Pierre-Emmanuel BERCHE, secrétaire section Rouen Sciences (Madrillet), CA
Isabelle BRUNO, Lille II
Jean-Marie CANU, PRCE, coordinateur sections SNESup Rouen, SN
Rémy CHAPOULIE, Bordeaux 3
Vincent CHARBONNIER, ATER Philosophie, IUFM Créteil Paris 12
Annick CIZEL, Paris 3
Serge CZAZKOWSKI, secrétaire section Bordeaux 1, BN
Heidi CHARVIN, Psychologie, secrétaire section SHS Rouen, CA
Frédérique DESBUISSONS, Histoire, Reims
Denis DELAPLACE, IUFM Charleville-Mézières
Marie DINCLAUX, secrétaire section IUT Bordeaux 3
Denise DOUZANT, retraitée IUFM Versailles, CA
Laurence DREYFUSS, secrétaire section Montpellier 3, CA
Milagro DUCASSE, MCF Toulouse II
Philippe ENCLOS, Droit, Lille 2, BN
Nathalie ETHUIN, MCF Sciences Po CERAPS Lille II
David FAROULT, MCF Etudes cinématographiques Marne la Vallée
Suzanne FLEIXAS,  PRAG communication, Le Havre
Julien FRETEL, Science politique, UPJV Amiens
Anne-Florence GILLARD-ESTRADA, MCF Anglais, Rouen
Léo GLANGETAS, MCF Mathématiques, Rouen
Jean-Luc GODET, Angers, SN
Martine GRANIER, secrétaire section IUT Montpellier 2
Nicolas GRÉGORI, secrétaire de section Nancy 2
Cathy GUASCH, Montpellier 2
Olivier GUIBE, MCF Mathématiques Rouen
Ozgur GUN, MCF Économie, Reims, BN
Sarah HATCHUEL, université du Havre
François HORN, Lille 3
Sophie JALLAIS, Sciences économiques, Paris 1
Isabelle KRZYWKOWSKI, MCF Littérature, Reims, BN
Jean-Marc LACHAUD, MCF Esthétique, Strasbourg
Christian LAGARDE, MCF Sciences éco Montpellier 1
Jean-Pierre LAVIGNASSE, PRAG, secrétaire section Droit Sciences Economiques
Elise LEMERCIER, MCF sociologie, Rouen
Colette LEVADE, secrétaire de section INSA Toulouse
Yves MADAULE, retraité Toulouse 3
Alain MAILLARD, sociologie, université de Picardie-Jules Verne
Jean MALIFAUD, Paris 7 Math, SN
Juan MARTINEZ-VEGA, université Paul Sabatier, Toulouse
Monica MICHLIN, Paris 4
Robi MORDER, vacataire, université Versailles St Quentin
Annliese NEF, secrétaire de section, Paris 4
Olivier NEVEUX, Arts, Strasbourg, CA
Christophe PÉBARTHE, secrétaire de section, Bordeaux 3
Roland PFEFFERKORN, Sociologie, université de Strasbourg
Tristan POULLAOUEC, Sociologie, Nantes
Manuel REBUSCHI, Nancy 2
Christine REDER,  Bordeaux
Laurent RIPART, Histoire, université de Savoie
Valérie ROBERT, Paris 3
Jean-Paul SAUVAGE, MCF Chimie, Rouen
Yasmina SIBLOT, MCF Sociologie, Paris 1
Daniel SIDOBRE, secrétaire section Toulouse 3, coordinateur sections FSU, CA
Nadine THÉVENOT, Économie Paris 1
Natacha THIERY, MCF Arts, université de Metz
Yann  THONOLIAT,  Angliciste,  STRASBOURG
Bruno TINEL, Économie, Paris 1
Marie-José VOISIN, Économie Paris 7
Jean-Pierre VOSGIN, IUT Bordeaux 3