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Tribune Libre
L'enseignement supérieur en panne d'avenir
Article paru dans l'édition du 7 novembre 2006
Auteur(s) :
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Par Jean Fabbri,
Secrétaire général du SNESUP-FSU, maître de conférences de mathématiques à l’université de Tours. |
L'enseignement supérieur en panne d'avenir
Le premier ministre et les ministres de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de l'Emploi ont dévoilé les suites qu'ils entendaient donner au rapport lié au « débat national université-emploi » (commission Hetzel).
Débat organisé en un temps record, réunions le plus souvent confidentielles dans les établissements et dans les académies, puisqu'il s'agissait de faire et de faire vite selon l'injonction du premier ministre. Les organisations syndicales, certes auditionnées, ont été exclues de l'organisation d'une consultation étroitement focalisée sur la professionnalisation des cursus et sur l'orientation « contrôlée » des étudiants.
Ainsi, on ne trouve pas trace dans le texte de la crise économique, du chômage de masse, des délocalisations, des fermetures d'entreprises et abandons de production, ni bien sûr de reconnaissance des qualifications. Comme nous l'avons souligné devant le premier ministre, cette dimension est pourtant essentielle pour mobiliser les jeunes dans la réussite de leurs études post-baccalauréat.
Les propositions retenues visent à renforcer le poids du monde patronal dans les formations et dans les conseils d'université. Sont ainsi prévus au niveau L des dispositifs substituant aux contenus disciplinaires des modules portant sur des savoir-faire en langues vivantes, bureautique et techniques de présentation de CV. On le voit, rien d'essentiel pour tirer vers le haut les qualifications et la reconnaissance de celles-ci. Rien non plus, y compris dans les propos du premier ministre, sur l'une des missions fondamentales de l'enseignement supérieur : articuler production de connaissances et transmission de celles-ci dans une dialectique complexe qui devrait irriguer la société et son tissu économique. À peine a-t-il tenté le rattrapage sur cette question lors de sa prestation à l'université de Cergy.
Les mesures les plus visibles annoncées par le premier ministre concernent un dispositif lourd, pour lequel aucun moyen spécifique n'est prévu ni en postes ni en budget, visant à conformer l'orientation des lycéens à leur profil de résultats au cours de leurs études secondaires. Cette orientation induite via un dossier unique d'accès au post-bac, un contrat individuel... ressemble à s'y méprendre à une sélection fondée encore une fois avant tout sur les critères sociaux. La dimension de stimulation qu'apporte l'université dans sa découverte d'horizons nouveaux est totalement absente de la pensée gouvernementale. D'autres mesures toucheraient l'organisation des poursuites d'études comme la césure d'un ou deux semestres entre le L et le M et la fusion des masters professionnel et recherche. Fusion qui, si elle tend à rendre homogène, au niveau européen, ce niveau de diplôme, fragilise à la fois les cursus préprofessionnalisés actuellement construits à ce niveau et obère d'importants pans de contenus disciplinaires dans la perspective du doctorat.
Le soutien patronal exprimé par le MEDEF à ces orientations est sans réserve. En effet, elles privilégient les formations de court terme, l'apprentissage et les stages. Le SNESUP remarque avec inquiétude le recul du gouvernement sur l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômée du supérieur (y compris formation continue et VAE). Quant aux moyens, c'est une nouvelle fois la misère. À la Sorbonne, le 24 octobre, le premier ministre n'annonçait rien, comptant en revanche aggraver considérablement la charge de travail des enseignants du supérieur. À Cergy, deux jours plus tard, il faisait état de 75 millions d'euros, prélevés sans doute sur les dotations déjà réparties, mais la logique financière et technocratique de la LOLF constitue la trame de ces mesures : de nouveaux indicateurs d'« insertion » viendront moduler les dotations budgétaires annuelles des établissements. Pire, si l'on veut, c'est la rapidité de réaction aux injonctions gouvernementales en matière de présélection des étudiants dès le mois de février 2007, qui deviendrait le critère d'affectation de moyens. De même, alors que les procédures de définition des profils de postes pour les recrutements à venir à la rentrée 2007 (sur le budget 2007) sont déjà réalisées dans les établissements, Le premier ministre annonce un changement des critères pour la répartition de ces emplois. Ainsi, par un tour de passe-passe, les 1 000 postes nouveaux, dont 450 enseignants-chercheurs, qui se trouvaient jusqu'à présent être des postes « recherche », deviennent aujourd'hui des postes « orientation ». Quel mépris !
Le SNESUP, principal syndicat d'enseignants du supérieur, inscrit, en liaison avec les étudiants, toutes ses actions et propositions dans de tout autres ambitions : reconnaissance et élévation des qualifications ; aide financière pour tous les jeunes qui doivent échapper à la précarité ; refonte et amélioration de la lisibilité du LMD. Propositions qui visent à la construction d'un service public du supérieur diversifié et unifiant dans lequel les moyens des premiers cycles atteindraient au moins 10 000 euros par étudiant (aujourd'hui 6 500 pour un étudiant à l'université, 12 500 en CPGE), à l'aménagement et à la construction de locaux et bibliothèques fonctionnels pour les étudiants et les personnels. Enfin, nulle réforme d'ampleur nécessaire - ce dont tout le monde convient aujourd'hui - ne peut s'envisager sans recrutements pluriannuels à hauteur d'au moins 5 000 d'enseignants du supérieur et de personnels d'appui.
C'est donc d'une authentique dynamique nouvelle que l'enseignement supérieur a besoin.