O.Gebuhrer: NON explicite

Publié le 23 mars 2005

Tribune de discussion sur le projet de Traité instituant une Constitution pour l'Europe (parue au Bulletin du SNESUP n°526 du 23 mars 2005)

Olivier Gebuhrer, du courant de pensée Action Syndicale du SNESUP


Appeler à voter « NON » ?

On peut discuter de l?appréciation suivante mais une chose est sure : la question de l?appel à voter « NON » au référendum sur le TCE sera une (LA) question centrale du Congrès ; je voudrais ici donner quelques éléments de ma position personnelle. Chacune et chacun d?entre nous a en tête le fait qu?un tel vote est une construction, individuelle, collective. Je ne reviens pas sur cette question ; elle est largement partagée dans Action Syndicale et même si on peut penser (c?est mon cas) que le SNESUP comme tel, aurait pu, au moins sa CA, franchir le pas à un moment où la question était en discussion partout, cela ne change rien au processus lui-même qui est fondamental. Le regard sur ce qui se passe dans le monde syndical ne peut suffire à déterminer notre attitude, et pas seulement, peut-être pas prioritairement pour éviter une critique facile de « suivisme ». Le monde ouvrier dans sa masse se mobilise pour voter NON ; c?est une donnée majeure. Le monde intellectuel est profondément partagé, et dans ce monde intellectuel, nos collègues penchent avec hésitation mais avec une forte pente pour le « OUI ». Autre donnée majeure. Notre positionnement comme CONGRES ne peut pourtant être à mi?chemin ; il ne peut être tangentiel inférieurement au « NON », comme sans doute, à cette heure, beaucoup de camarades le pensent même si leur position personnelle ne fait pas de doute. Revenons donc sur quelques aspects peu soulignés jusqu?à présent :

  1. La consultation qui se prépare n?a rien d?analogue avec tel ou tel autre scrutin
  2. Aucun Traité Européen antérieur, hors Maastricht, n?a fait l?objet d?une consultation similaire. On peut chercher à se rassurer ou à rassurer mais ce Traité n?est pas comme les autres ; il n?est pas soumis à la réversibilité des changements de majorité politique nationaux ; ses conséquences vont structurer en profondeur, immédiatement, et pour longtemps, non seulement la société de l?Union Européenne mais les mentalités et les comportements de toutes et tous. Ceci n?a jamais eu lieu ; ce Traité est CONSTITUTIONNEL.
    Par suite, le SNESUP n?a pas le choix ; un tel enjeu suppose qu?il se positionne sans ambiguïté.

  3. Le syndicalisme demain
  4. Un article d?un journal anglo-saxon attire l?attention ; c?est un article éditorial, on peut penser qu?il est important : le journal est « The Economist » ; le numéro est celui de décembre si je me rappelle bien ; il titre « Quel syndicalisme en Europe ? » .
    Le journal est celui de la City de Londres ; certains seront tentés de considérer qu?il y mieux à faire que de lire pareille prose ; ils ont tort. Après avoir parcouru en long et en large ce qui fonde la crise du syndicalisme contemporain et décelé ce que l?auteur appelle « la fin des niches syndicales » que l?on ait vu le 9 et le 10 à quoi commencent à ressembler la « fin de ces niches » ne change rien à mon propos et il en faut plus pour émouvoir l?auteur de cet article, l?auteur brosse d?une plume alerte la configuration du « nouveau syndicalisme », celui où par exemple les nouveaux syndicats « aideraient les chômeurs à trouver un emploi »1. Il est à souhaiter que même les dirigeants actuels de la CES aient de leur rôle demain, une idée différente et, en tout état de cause, ce qui compte ici c?est ce que cette phrase signifie. On peut hausser les épaules, mais cela ne changera rien au fait que le « tueur »2 qui représente le Patronat Français est en piste pour être, si le « OUI » l?emporte, à la tête du Patronat Européen. Le journaliste de « The Economist » est cynique, mais sa vision des choses correspond à l?avenir de la société européenne tel que le TCE entend la façonner.

    Il ne peut y avoir au SNESUP un seul militant, et donc pas un seul Congressiste qui n?ait envie de rejeter avec indignation une telle projection d?avenir.

  5. SA LOPRI et LE TCE
  6. Avec le Gouvernement Chirac ? Raffarin, on a une situation qui représente l?archétype de ce que préfigure l?application du TCE ; chacune et chacun l?a bien compris, sa LOPRI n?est pas une simple préfiguration de l?implémentation des contraintes majeures prévues par le traité constitutionnel, il les anticipe et en crée de nouvelles : en somme c?est une véritable compétition pour pire qui s?engage et se poursuivra entre d?une part les équipes gouvernementales et ? la Commission ; on touche ici à un autre aspect trop méconnu ; contrairement à ce que certaines personnalités colportent, le Parlement Européen ne sort pas rehaussé du TCE ; c?est l?inverse qui est vrai : des centaines de passages d?articles du TCE insistent sur le rôle au mieux consultatif du Parlement Européen et le vrai maître d??uvre, conformément à l?idée nouvelle que « tout doit demeurer si les gouvernements changent » c?est la Commission. C?est d?elle qu?émanent les Directives Européennes (on voit ce que les mots veulent dire avec l?affaire Bolkestein ; comment amender une Directive conforme en tout point au TCE, tout en conservant la conformité de l?original ? Problè sans issue. C?est elle qui décide de l?interprétation de ses propres textes ; elle n?est soumise dans son activité à aucun contrôle parlementaire même si de premiers soubresauts montrent que même les dictatures peuvent s?effondrer.

    Et comme cela ne suffit pas voici sous forme développée, en marche et sous nos yeux la « Théorie de l?Etat Stratège » inaugurée, il y a 10 ans par le même F Fillon ministre de la recherche à cette époque, auprès de laquelle toute caricature de la période soviétique semble dérisoire, et de mauvais esprits feraient remarquer que si ledit système ne pouvait pas être décrit par un mot en « isme », en tout cas, cette construction invraisemblable n?était pas le capitalisme contemporain.

    Or l?étau dans lequel on cherche à enserrer toute décision budgétaire n?est pas une invention ; qui ne s?y plie pas, encourt des sanctions . On en a parlé ; on l?a susurré et on a décidé de ne pas s?y appesantir momentanément et pour cause ; on baptisera cela la « bonne gouvernance » ou le « cercle vertueux ». Mais en tout cas, ces contraintes là seront dans toutes les têtes ; un gouvernement de gauche pourrait (hypothèse d?école qui n? aucun rapport réel ou supposé avec des expériences réelles) y puiser sans problème les motifs d?une politique, qui malgré tous les « traitements sociaux » verra les inégalités sociales continuer à se creuser, les délocalisations s?amplifier et Wall Street dormir tranquille. J?invente ?
    Mr Bush, déclarait au journal Le Figaro, lors de son passage à Paris : « J?ai la sagesse de ne pas commenter la constitution européenne ». Rideau.
    Internes à nos missions et à nos exigences fondamentales, externes par tout ce qu?elles impliquent sur la société, les raisons du « NON » pour le Congrès du SNESUP sont éclatantes .
    Et cependant, tout cela n?a pas amorcé le début du problème qui nous est posé.

  7. 4. NOS COLLÈGUES
  8. Il faut s?en convaincre : aucune dénonciation aussi forte soit-elle du « libéralisme » comme tel n?entraînera ni ne pourra entraîner celles et ceux de nos collègues qui en dépit de tout ce qu?ils peuvent lire et ils lisent sont enclins à voter « OUI » ; je ne parle pas de celles et de ceux ils existent, j?en ai rencontré qui sont pour un « OUI » flamboyant.
    Il est absurde de leur demander de « réfléchir », car c?est leur métier.
    Il n?est pas absurde de se pencher sur l?idée que MALGRE TOUT, l?Europe peut être une chance et un moyen « de s?en sortir » pour les pays sous développés.
    Il n?est pas absurde de considérer l?idée que même si la coopération scientifique est mondiale, l?échelon européen apporte un plus nécessaire.
    Il n?est pas absurde de considérer que dans ce monde en proie à tous les cataclysmes, l?Europe peut être un pôle de stabilité. La liste est longue. Mais elle n?a rien à voir avec le TEXTE sur lequel chacune chacun aura à se prononcer.

    Or ces mêmes collègues étaient en lutte le 9 et souvent le 10 ; chacun de nous les a côtoyés. C?est la preuve qu?ils sentent, sans se l?avouer encore, qu?entre ce qu?ils souhaitent et la politique qui se fait, il y a un abîme . Est-ce si compliqué de les amener à faire ce LIEN devant lequel sur certains écrans, des âmes charitables jouent la chattemite, qui ne voudraient voir pour rien au monde ce sein délicat comme rose en bouton du mélange entre ce que FAIT le gouvernement AUJOURD?HUI et la LOGIQUE et LE CONTENU même de ce Traité qu?on leur demande d?approuver. Qui, auprès de nos collègues, fera ce lien ? Le Snesup peut-il s?en dispenser ?

    À la vérité, il est encore temps pour le SNESUP de jouer ce rôle rassembleur par excellence ; celui qui appelle à ne pas courber l?échine ; celui qui montre que les rêves sérieux ne se réalisent pas en prenant ses désirs pour des réalités, celui qui refuse de plonger son voisin dans le risque car c?est l?antipode du courage, celui qui appelle, non pas à une solidarité factice mais réelle avec toutes celles et tous ceux qui n?ont pas le choix des motifs, le NON étant leur seule expression possible à ce moment des choses pour dire qu?ils aspirent à une autre vie, un autre monde .

Je suis pour un NON victorieux, et un appel à Voter NON glorieux.


  • 1 En anglais dans le texte ; cette phrase sur le « droit à la recherche d?un travail » est intégralement dans le texte du TCE Pour revenir en haut de cette page !
  • 2 Comme on le sait, l?expression n?est pas de l?auteur de cette tribune mais du prédécesseur d?icelui qui devait savoir de quoi il parlait?.  Pour revenir en haut de cette page !