G.Bouchet: SNESUP&TCE
TRIBUNE LIBRE sur le projet de Traité de l'Union Européenne (parue au Bulletin du SNESUP n°523 du 24 février 2005) |
Gérard Bouchet, |
Le SNESUP doit appeler à dire NON au référendum de juin
Le syndicat doit-il, ou ne doit-il pas, prendre une position publique à propos du vote concernant le projet de traité à portée constitutionnelle qui va être soumis à l'appréciation des français en Juin prochain ?
J'ai entendu des partisans du silence syndical évoquer la Charte dite « d'Amiens » votée en 1906 par le congrès confédéral de la CGT. Ce texte sert toujours de référence lorsqu'il s'agit d'affirmer l'indépendance du syndicalisme à l'égard du politique. On en tire argument pour déclarer qu'il n'appartient pas à un syndicat de prendre une position publique lors d'une consultation électorale et que seuls les partis ont vocation à argumenter des choix qu'ils proposent aux électeurs. La conclusion de cette Charte serait sans ambiguïté : « en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économ ique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ». Silence politique dans les rangs syndicaux.
Cette interprétation peut se soutenir.
Pour autant, on doit aussi, s'agissant d'un projet à prétention constitutionnelle, se demander si la défense bien comprise des salariés - « l'action économique directe contre le patronat » de la charte d'Amiens - ne passe pas par une action résolue contre un traité qui apparaît bien être une machine de guerre en faveur du capital contre le travail.
En effet, le grand marché libéral et de la libre concurrence, à quoi se résume la construction européenne, ne vise pas, c'est indéniable, à la satisfaction des besoins de ceux qui n'ont pour patrimoine que le fruit de leur travail. Le projet de « constitution » pour cette Europe voudrait déterminer, et figer dans le marbre d'un texte qui ne serait réformable qu'à l'unanimité des Etats signataires, ce qui constituera pour l'avenir, le cadre de la lutte sociale, la répartition des armes et les règles du combat.
Or, ce nouveau traité constitue manifestement l'aboutissement d'une politique inaugurée clandestinement avec le traité de Rome et qui se révèle aujourd'hui presque sans fard : imposer aux peuples et aux travailleurs, une société où la libre concurrence deviendra la loi intangible, puisque « constitutionalisée » ; une société où le pouvoir de l'argent primera sur tous les autres pouvoirs et en premier lieu celui des citoyens eux-mêmes ; une société dans laquelle toujours les besoins de l'individu s'effaceront devant ceux du capital.
Accepter sans rien dire, le handicap du terrain, des armes et des règles choisis par l'adversaire reviendrait à un suicide syndical.
S'il renonçait à prendre position sur un tel projet en refusant de s'attaquer à une des armes majeures qui se construisent contre les intérêts des travailleurs salariés de l'ensemble des pays européens, un syndicat se trouverait dans l'exacte position d'un déni d'identité. Accepter sans rien dire que soient posées des règles dont on comprend à l'évidence qu'elles sont destinées à rendre plus difficile l'aboutissement des revendications sociales et salariales reviendrait à accepter d'avance de cuisantes défaites. Cela serait renoncer à sa raison d'être.
Car, sauf à faire une lecture naïve du texte, et à ne pas voir les écrans de fumées qui masquent les intentions réelles du texte, on repère facilement les conséquences des orientations dont on voudrait faire les règles définitives d'organisation de l'espace européen :
Une pression permanente sur les salaires. L'objectif de la Banque centrale autonome « est de maintenir la stabilité des prix », ce qui ne peut s'obtenir qu'en réduisant les coûts de production, donc les salaires. On note même, que la « constitution » reconnaît le droit de travailler et non plus le droit au travail. La nuance est lourde de sens pour ceux qui n'ont que leur travail comme source de revenus.
Une réduction des droits sociaux. La « constitution » se borne à reconnaître et respecter le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale dans les Etats où ils existent. Elle ne s'engage nullement à les développer. (Art II-34-94). A cet égard, la directive Bolckestein nous donne plus qu'une simple alerte.
Des services publics transformés en « Service d'intérêt économique général » soumis aux règles de la concurrence (article III-166) et donc eux aussi orientés vers la recherche du profit. Ils seront vidés de tout leur sens. Ils ne seront plus des moyens de solidarité et de justice entre les hommes. Après le service de l'énergie, de l'eau, des moyens de communiquer, ce sont l'éducation et la culture qui rentreront inévitablement dans cette catégorie de service.
Une régression globale des droits et des libertés. On ne peut ignorer qu'à aucun moment le projet ne déclare que l'Union européenne adhère à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, ni au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
On pourrait multiplier les exemples qui prouvent non seulement que cette « constitution » ne propose en rien le « pas en avant » que veulent y trouver certains de ses zélateurs, mais qu'elle est largement en retrait sur beaucoup des législations nationales en vigueur. Les dogmes libre-échangistes érigés en libertés fondamentales de l'Union ne peuvent constituer une législation acceptable.
Les syndicats en charge de la défense des intérêts matériels et moraux de leurs mandants ne peuvent observer de telles régressions en restant l'arme au pied. C'est leur mission naturelle d'y faire obstacle sauf à renoncer à toute perspective d'action efficace.
Refuser, au prétexte de l'autonomie du syndical par rapport au politique, d'appeler les adhérents à dire NON à un tel projet constitutionnel qui voudrait nous condamner au capitalisme à perpétuité et nous priver de nos armes de combat, avec toutes les conséquences que l'on connaît déjà et celle qu'on peut anticiper, relèverait au moins de l'aveuglement si ce n'est de la complicité.
Il est peu probable que l'esprit de la charte d'Amiens y trouve son compte.
Je ne peux penser que le SNESup se rangera dans le camp des abstentionnistes honteux.