TCE:oui, mais

Publié le 21 mars 2005

TRIBUNE de discussion sur le projet de Traité instituant une Constitution pour l'Europe (parue au Bulletin du SNESUP n°526 du 23 mars 2005)
Plan :
Le piége de la diabolisation
Un mauvais traité pour remplacer
La double contrainte du non
Essayer de porter un regard européen sur un traité européen
Des arguments pour le traité
Le plus important : l'après référendum

Éric Dacheux, Secrétaire de section IUT Roanne


Un OUI de progrès au traité

Oui, le traité constitutionnel (TC) est un texte d?inspiration libérale. De plus, c?est un traité qui présente bien des défauts juridiques et politiques.
Mais si l?on veut bien sortir des anathèmes et des amalgames, il existe des raisons, de progrès, pour voter ce traité. Surtout, quel que soit le résultat il faut, dès maintenant, s?interroger sur la manière d?instaurer des rapports de force pour faire évoluer une Europe dont la majorité des États sont dirigés par des libéraux !

Le piége de la diabolisation Pour revenir en haut de cette page !

Il faut en finir avec la diabolisation : il n?y a pas d?un côté les modernes pro européens partisans du oui et les ringards anti européens partisans du non. Cette disqualification, déjà présente lors du débat sur la ratification du traité de Maastricht, est une contre vérité, une insulte et une violence symbolique inacceptable ! Mais, de la même manière, il faut se garder, en retour, de faire de tous les partisans du oui, de froids dissimulateurs vendus au néo libéralisme. Il faut des convictions mais aussi du respect pour mener un débat démocratique. Ce respect est d?autant plus nécessaire que personne ne peut se prévaloir de posséder la claire et totale compréhension du traité. En la matière, un peu de modestie ne fait pas de mal : aujourd?hui tout le monde argumente sur un texte de plus de 400 pages, complexe, ambigu qui, dans une même phrase, peut désigner tout et son contraire. C?est pourquoi, il faut raison garder, peser les arguments, défendre ou combattre les idées, mais respecter ceux qui les portent. De nombreux camarades sont contre ce traité, cela se justifie tout à fait?

Un mauvais traité pour remplacer le pire des traités européens ... Pour revenir en haut de cette page !

En 1957, après l?échec des projets de Communautés européenne de défense (CED) et de Communauté européenne politique (CEP), l?Europe s?est faite par l?économie. L?économie de marché pour être précis. Cette dernière est donc inscrite dans tous les traités européens. Aujourd?hui, la majorité des vingt-cinq pays de l?Union est de droite. Du coup, le traité soumis au referendum est à droite. Beaucoup trop pour un progressiste : aucune garantie claire du maintien des services publics, l?économie de marché affirmée comme valeur centrale de l?Union et, surtout, la Banque centrale européenne élevée au rang d?institution avec un seul et unique objectif : la lutte contre l?inflation ? rien sur le chômage, la préoccupation numéro un des Européens ! Pour le reste, la partie III compile les traités antérieurs et reprend les mauvais articles du traité de Nice. Comme si cela ne suffisait pas, ce traité comporte des incohérences. Incohérences juridiques puisque par exemple, l?article I-10 affirme la primauté du droit européen sur le droit national, alors que l?article II ? 114 dit expressément que la Charte des droits fondamentaux ne saurait limiter le niveau de protection assurée par les États-membres ! Mais aussi, incohérences politiques puisque le Président de la Commission (qui tirerait sa légitimité des élections européennes) et le Président du Conseil (qui tirerait sa légitimité des États) vont se trouver en concurrence pour incarner le leadership et le visage de l?Union. Assurément, ce traité est bancal. Ce n?est guère surprenant puisque c?est le résultat laborieux d?un compromis entre : des philosophies politiques (libérale qui domine et sociale démocrate, minoritaire), des conceptions institutionnelles (fédérale et confédérale) et des histoires démocratiques (l?Ouest du mur et l?Est) que tout oppose ?

La double contrainte du non Pour revenir en haut de cette page !

Il est logique de s?opposer à un traité qui n?est pas bon. Le seul problème est que la construction technocratique de l?Union conduit à ce que l?on appelle une double contrainte : chaque option offerte est une impasse. D?un côté, voter oui risque, effectivement, de graver dans le marbre les références à l?économie de marché. Mais de l?autre, si l?on vote non, c?est le traité de Nice qui s?applique. Or, ce traité est le plus mauvais de tous les traités européens qui ont été signés jusqu?ici. Non seulement, il est tout aussi libéral que le TC, mais en plus il ne contient aucune des avancées juridiques du TC : il maintient l?anti démocratique fonctionnement en trois piliers de l?Union, il ne donne aucun droit de regard au Parlement européen sur les traités économiques signés par la Commission et écarte les parlements nationaux, etc. Surtout, il est ingérable politiquement du fait de la règle de la majorité qualifiée adoptée par Nice1. Dès lors, le rejet du TC conjugué à la paralysie politique consécutive au traité de Nice encouragera la majorité libérale européenne à arguer de « l?opposition manifeste de l?opinion à toute réforme » pour abandonner toute velléité de transformer le grand marché européen en une construction démocratique et sociale. Pour le dire autrement, rejeter les insuffisantes avancées du TC, c?est voir le traité de Nice ? c?est-à-dire la totalité de la partie III ? s?appliquer sans aucun contrepoids institutionnel ! Certes, on peut, à bon droit, refuser le TC, mais il faut alors avoir le courage politique de dire que la conséquence de ce refus est la mise en place pleine et entière d?un traité encore plus mauvais !

Essayer de porter un regard européen sur un traité européen Pour revenir en haut de cette page !

On peut toujours penser que le Parti socialiste européen (PSE) est composé de libéraux honteux ou que la Confédération européenne des syndicats (CES) est vendue au patronat européen. On peut aussi, soutenir qu?il y a, dans l?Union, de formidables disparités économiques et sociales et qu?il existe des appréciations diverses sur les marges de man?uvres existantes. Et si, assurément, rien n?indique, que la vision suédoise, hongroise ou maltaise du progrès social soit plus pertinente que la vision française, rien n?indique non plus que cette dernière soit la seule et unique, la plus juste et la plus efficace pour l?Union européenne. Le TC, il faut le rappeler est un traité européen et non un texte législatif national. Or, d?une langue à une autre, les termes pour désigner les mêmes réalités sont différentes tandis que des mêmes mots renvoient parfois à des faits distincts. Il convient de prendre en compte cette diversité linguistique et culturelle en essayant de ne pas calquer un schéma national sur des questions européennes. Par exemple, la Charte des droits fondamentaux ne représente pas d?avancées pour un syndicaliste français, mais c?est une concession inacceptable pour un patron anglais. Bien sûr, il est parfaitement légitime de critiquer un texte international au regard des acquis nationaux, mais la dimension européenne du traité impose deux précautions. D?une part, distinguer, dans la critique du texte, ce qui relève d?une lecture nationale et ce qui relève d?une lecture européenne. D?autre part, prendre en compte le point de vue des habitants des pays de l?Union européenne les plus défavorisés a fortiori, si l?on se dit favorable à une Europe politique et sociale.

Des arguments pour le traité constitutionnel européen Pour revenir en haut de cette page !

Ce traité malgré son inspiration libérale marque des avancées juridiques importantes : il pose clairement ce qui relève des compétences de l?Union et ce qui relève des compétences des États (titre III de la partie I). Il réduit le nombre d?actes juridiques (titre V partie I), il prévoit un mécanisme de sanction contre les États ne respectant pas les valeurs de l?Union et surtout il met fin à la structure en trois piliers de l?Union2. Sur le plan politique, il marque aussi des avancées : reconnaissance d?une démocratie participative (art 1 - 47), implication des parlements nationaux qui se voient doter d?un droit d?alerte précoce3, nouvelle définition d?une majorité qualifiée plus souple que Nice4, renforcement du parlement européen qui votera désormais 90% des lois, qui pourra faire des propositions constitutionnelles, qui aura plus de pouvoir sur le budget et qui pourra, également, donner son avis sur les traités commerciaux signés par l?UE au sein de l?OMC. C?est bien, mais ou est le progrès social dans tout ça ?! J?y viens ! Ce traité instaure une devise officielle « Unité dans la diversité » qui montre que la voie choisie par l?Union n?est pas le melting pot américain, mais une construction originale garantit la défense des cultures nationales. Il affirme, également, un droit de solidarité entre États-membres (I ? 43). De plus, le TC, contrairement au traité de Nice, fait du droit des minorités et de l?égalité homme femme un droit constitutionnel. De même, il instaure un droit de protection des données personnelles (partie II) : droit absolument nécessaire à l?heure du règne sans régulation d?Internet et de ses cookies.

Par ailleurs, le traité offre des marges de man?uvre : d?une part, il permet, beaucoup plus facilement que le traité de Nice, des coopérations renforcées permettant aux pays que le souhaitent d?aller plus loin dans un domaine précis (pourquoi pas le social ?), d?autre part, en évoquant dans un même article (le I - 3) la nécessité d?une « économie sociale de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès social et un niveau de protection social élevé et d?amélioration de la qualité de l?environnement », mais aussi la nécessité de promouvoir « la cohésion économique sociale et territoriale », le TC fait preuve d?une ambiguïté qui préserve les conditions d?une bataille politique pour une Europe sociale. En outre, sur le plan international, le TC affirme la nécessité d?un modèle multipolaire, ajoute le mot « équitable » à l?expression « commerce libre » et fixe comme objectif l?élimination de la pauvreté (article I-3-55) : des valeurs de progrès, il me semble ! Enfin, le TC élève la Charte des droits fondamentaux au rang de droit constitutionnel. Or, beaucoup de ces droits sont une vraie avancée pour les nouveaux pays adhérents dont la population souffre des réformes ultra libérales mis en place à la demande du FMI ! (par exemple, l?information et la consultation des travailleurs au sein de l?entreprise, une protection en cas de licenciement injustifié, le droit à la sécurité sociale et à l?aide sociale, etc). Bien sûr, une clause vise à restreindre la portée de cette charte qui ne devrait pas garantir de droits sociaux supérieurs aux droits du pays, mais une telle clause est en contradiction avec l?affirmation de la primauté du droit européen sur le droit national. Il y a donc possibilité de mener et de gagner un combat d?autant plus nécessaire au niveau européen, que la plupart des États, on le voit en France, détruisent très vite un droit social qui a mis un siècle à se constituer. Cette charte, gravée dans le marbre constitutionnel, est une arme contre la régression sociale nationale dont il serait bien téméraire de se priver vu le taux de syndicalisation ridicule de la plupart des pays européens !

Le plus important : l?après référendum Pour revenir en haut de cette page !

Il faut se garder des anathèmes simplificateurs : les défenseurs sincères de l?Europe sociale et démocratique ne sont pas forcément partisans du non, les libéraux farouches ne sont pas toujours défenseurs du oui. Face à un texte aussi complexe, le plus important n?est peut être pas, en définitive, la position que l?on adopte, mais les propositions que l?on fait. Si l?on croit que, malgré ses défauts, le traité constitutionnel peut être source de progrès sociaux et démocratiques, il faut, dès maintenant, dire comment, concrètement, on entend obliger la Commission à donner suite au droit de pétition des citoyens et indiquer par quels moyens d?action on transforme la Charte des droits sociaux en un socle commun de droits nationaux évitant le dumping social. Si l?on juge que le traité constitutionnel est un compromis inacceptable qui invoque de manière évanescente l?Europe sociale et inscrit dans le marbre une Europe libérale, il faut, dès à présent, dire comment il convient d?organiser un rapport de force permettant de convaincre une majorité de pays conservateurs de dépasser le très libéral traité de Nice pour construire un traité instituant une Europe sociale dont ils ne veulent pas entendre parler.


  • 1 Dans une Europe à 25, pour qu?une décision soit prise à la majorité qualifiée, il faut trois conditions : premièrement, obtenir plus de 73% des voix, deuxièmement, que ces votes représentent 62% de la population de l?Union (concession à l?Allemagne) et troisièmement, que la décision soit prise par une majorité d?État (concession faite aux petits pays). Du coup sur toutes les combinaisons possibles, seules 5% permettent un accord !  Pour revenir en haut de cette page !
  • 2 La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) constitue le deuxième pilier, la Justice et les affaires intérieures (JAI) forment le troisième pilier. Ces deux piliers (JAI et PESC) ont été créés par le traité de Maastricht et sont régis par la méthode dite « intergouvernementale », c?est-à-dire des négociations diplomatiques où l?unanimité est la règle. Tous les autres domaines de la compétence de l?UE composent le premier pilier, appelé « Communauté européenne ». Pour revenir en haut de cette page !
  • 3 Un protocole « sur le rôle des parlements nationaux dans l?Union européenne », crée un mécanisme d?alerte précoce. Si un tiers des parlements nationaux estime que le projet de loi que propose la Commission ne respecte pas le principe de subsidiarité, la Commission devra revoir sa copie.  Pour revenir en haut de cette page !
  • 4 À partir de 2009, pour qu?un texte soit adopté par le Conseil de l?Union, il devra réunir 55% des États-membres représentant au moins 65% de la population de l?Union. C?est ce que l?on appelle la double majorité. De plus, une minorité de blocage devra comprendre au moins quatre pays (pour éviter que les trois plus grands ne disposent d?un droit de veto). Au total 20% des combinaisons possibles permettent un accord (contre 5% pour le traité de Nice). Pour revenir en haut de cette page !
  • 5 « Dans ses relations avec le reste du monde, l?Union affirme et promeut ses valeurs et intérêts. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l?élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l?homme, en particuliers ceux de l?enfant, ainsi qu?au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect de la charte des Nations unies » (citation intégrale). Pour revenir en haut de cette page !