Art05 Fabbri à Libé

{descriptif}
21/09/2005
Auteur(s) :
J. Fabbri
Porter la recherche et l'enseignement supérieur au plus haut.
En cette rentrée continuent de s'afficher, de tous côtés,
les critiques les plus radicales de notre système d'enseignement supérieur
et de recherche.
Les acteurs de la recherche, signataires par dizaines de milliers de la pétition
"Sauver la recherche" doivent-ils s'en féliciter et espérer
être enfin entendus ?
De nouveaux concours viennent-ils pour doper les budgets des laboratoires, recruter
plus de jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs ?
Les dysfonctionnements soulignés dans la presse depuis une dizaine de
jours laissent perplexes. Sont mêlés sans discernement des éléments
d'analyse de nature très différente : carences scientifiques faibles
"performances", égarements comptables.... et les conséquences
tout à fait directes d'un trop faible engagement de l'Etat, d'investissements
éducatifs limités dans l'enseignement universitaire.
Examinons donc de plus près l'ensemble de ces charges, leur cohérence
aujourd'hui où le gouvernement tarde à communiquer la loi d'orientation
et de programmation pour la recherche, annoncée en réaction au
puissant mouvement du printemps 2004.
Daniel Cohen, dans le Monde du 15 septembre, pointait un nouvel eldorado européen
assez simple: "fabriquer 5 Harvard"!!
Copier pour tout dire un modèle américain, d'ailleurs fortement
enjolivé pour l'occasion, serait donc la seule idée? et nouvelle
en plus ? A sa manière, Nicolas Sarkozy, dans le Monde du 20 septembre,
vient ajouter sa pierre. Il faudrait en venir à réduire le tissu
universitaire et de recherche aux pôles d’excellence via une mise
en concurrence exacerbée des individus et des équipes. Rien de
neuf encore puisqu’il s’agissait des propositions de Ferry-Haigneré.
Les enjeux sont trop sérieux pour en rester là en occultant ce
qui s'est construit dans la communauté scientifique et entre celle-ci
et une part importante de la société civile qui a, sur une remarquable
longue durée, manifesté intérêt, sympathie et soutien
au mouvement des chercheurs.
La première phase de ce contre-feu brandi par le pouvoir est le "fameux"
classement de Shanghai - en fait indicateur récent (c'est la seconde
année qu'il en est fait en France un usage aussi intensif que des textiles)
qui agglomère un certain nombre de données quantitatives essentiellement
collectées via l'internet, pour établir un palmarès universel
des lieux de productions scientifiques (publications, diplômes,...). Aubaine
formidable pour tout ceux qui transfèrent allègrement du domaine
économique à celui de la science leur penchant pour des modèles
de concentration, de concurrence. Ainsi se dessine une "réforme"
possible, bien visible, rapide et peu coûteuse : regrouper les établissements,
fusionner par exemple Paris 6 et d'autres universités parisiennes, tous
les établissements de Toulouse,... pour gagner une dizaine de places
dans le classement prochain qu'on utilisera alors à l'envi. On imagine
aussi - et c'est tactique - désolidariser les acteurs de la recherche
et les convergences construites et exposées en particulier lors des Etats
Généraux de la Recherche (à Grenoble en octobre 2004) :
d'un côté les acteurs de base, de l'autre les managers de la recherche
et de l'enseignement supérieur dotés de prérogatives de
pouvoirs et d'autonomie réclamés en particulier par la Conférence
de Présidents d'Universités. D'autres modes de coopération,
les PRES par exemple, compatibles avec les spécificités des universités
et des organismes, et dotés d'instances de pilotage démocratiques,
ont été mises en avant à Grenoble Les "bonnes feuilles"
d'un rapport inachevé de la Cour des Comptes sur la Recherche, publiées
par le Figaro le 8 septembre et aussitôt reprises par le ministre F Goulard
constituent le second moment de cette opération. Se mêlent dans
ces "fuites" des constats, des erreurs et des recommandations dont
le parti pris surprend. Les carences dans le financement de la recherche, le
relevé du différentiel conséquent dans les dépenses
publiques par étudiant entre la France et les principaux pays industrialisés,
et en France entre les étudiants des universités et ceux des filières
les plus sélectives sont maintenant des données incontournables.
Elles appellent un plan d'urgence. Les coûts comparés des différents
acteurs de la recherche (chercheurs, enseignants-chercheurs,...) ignorent totalement
la dynamique propre à l'articulation recherche/enseignement supérieur,
et la réelle difficulté à quantifier de manière
universelle pour toutes les disciplines et pour toutes les phases de l'activité
scientifique la part de l'une et de l'autre. Mais il n'est pas fait état
dans ces pages des gâchis économiques considérables constitués
par les non recrutements de diplômés-docteurs dans les entreprises
de pointe- lesquelles se privent de compétences d'un très haut
niveau scientifique et par l'expatriation en nombre de jeunes diplômés
entièrement formés dans les laboratoires français. Quant
aux recommandations qui filtrent de ce rapport, elles brillent par leur conformisme
aux orientations les plus contestées par la communauté scientifique
des prédécesseurs ministériels de MM de Robien et Goulard.
Il s'agirait rien moins que d'un dirigisme étroit et d'une caporalisation
des acteurs de la recherche. Au seul gouvernement les choix scientifiques et
la détermination des priorités.... c'est ce qui se met en place
avec l'ANR (agence nationale de la recherche) et l'AII (agence de l'innovation
industrielle), agences nouvelles créées sans concertation et qui,
distribuant des fonds plus volumineux que les budgets scientifiques "ordinaires",
ont un effet structurant sur les orientations de la recherche, les thématiques
et les équipes... dans le cadre de procédures et d'instances d'évaluation
élaborées, de façon désespérément
opaque, par le seul gouvernement. Aux directeurs d'organismes, d'universités
ou de laboratoires la mise en ordre de ces choix y compris en modifiant les
conditions de travail des acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Imposer au plus grand nombre des personnels du supérieur un alourdissement
de leur service en présence des étudiants ne constituera ni une
aide pour élargir le nombre et la qualité des acteurs de la recherche,
ni une aide au succès des étudiants sur les campus !
La troisième phase de cette campagne se mène autour des chiffres
de l'OCDE. Sans marquer une évolution notable d'une année sur
l'autre, ils attestent d'une double réalité à la fois la
stagnation de la démocratisation de l'accès et de la réussite
dans l'enseignement supérieur ... et le manque d'attractivité.
Mais là encore il convient d'analyser toutes ces questions fortement
connectées en particulier en ce moment de rentrée universitaire.
Les difficultés sociales très réelles des étudiants
sont aggravées par les politiques actuelles ou leurs conséquences
indirectes telle la flambée des loyers. Les obscurités des réformes
LMD réalisées sans moyens supplémentaires qui alourdissent
et fragmentent le temps d'enseignement (et tendent aussi à individualiser
les services des enseignants du supérieur hors des garanties statutaires)
et augmentent les charges administratives Quant au manque d'attractivité,
il tient à un horizon encore sombre sur les perspectives d'emplois dans
les professions les plus qualifiées : ingénieurs, chercheurs,
universitaires...
En ce mois de septembre certains laboratoires quelles qu'en soient les tutelles
CNRS, INSERM, CEA, INRA, Universités, etc constatent que leur budget
annuel est épuisé, que les crédits espérés
de l'ANR n'arriveront pas... et dans certaines thématiques, que les perspectives
de création d'emploi sont bouchées. L'intention du Ministère
de ne créer des postes d'enseignant-chercheur qu'au plus près
des pôles de compétitivité manifeste un aveuglement persistant
aux rythmes de la recherche fondamentale. Pourtant les réalités
les plus dramatiques du monde de la catastrophe en Louisiane, aux pollutions,
aux épidémies ... devraient militer toutes pour mobiliser des
moyens financiers considérables pour la recherche dans toutes ses déclinaisons.
Des centaines de milliards seront consacrés aux "réparations".
On peut imaginer que les secteurs du BTP, des communications, des énergies
ne seront pas perdants. N'est-il pas envisageable dans un monde soucieux d'avenir
de travailler en tous domaines à anticiper. Combien de vies épargnées
? Quand le groupe pétrolier Total annonce 6 milliards d'euros de bénéfices
pour le premier semestre 2005, on mesure le caractère très relatif
de l'effort budgétaire supplémentaire pour la recherche chiffré
à 6 milliards... sur 3 ans !... et son inadéquation avec les proclamations
officielles sur la priorité donnée à "l'économie
de la connaissance".
Appuyée sur les conclusions des Etats généraux de la recherche,
notre organisation syndicale, le SNESUP, chiffre à 5000 au moins les
besoins d'emplois scientifiques par an dans le secteur public dans l'immédiat
avec une montée en puissance vers 9000 en 4 ans, l'ensemble dans une
programmation pluriannuelle indispensable qui doit dépasser l'horizon
du quinquennat présidentiel. Un plan de 10 ans est nécessaire.
En quelques semaines le gouvernement qui diffère depuis plus d'un an
ses réponses budgétaires et législatives à la colère
légitime du monde scientifique, aura utilisé toutes les voies
pour diviser l'unité des acteurs... et tenter de reprendre la main sur
des orientations qui privilégient effets d'annonce, "grands projets
industriels" au lieu d'une véritable relance ambitieuse, démocratique
dans ses fins et sa mise en oeuvre d'une poli tique de recherche qui ouvre grand
les bras à toutes les disciplines, toutes les thématiques et toutes
les énergies.
Mobiliser les intelligences à travers un système d'enseignement
supérieur et de recherche diversifié et de très haut niveau
exige une toute autre volonté gouvernementale que celle qui est à
l'oeuvre aujourd'hui. Universitaires et chercheurs ont toutes les raisons de
s'inscrire en convergence avec les mobilisations citoyennes à venir.
Jean FABBRI