Article M.Hérin
La participation des enseignants-chercheurs aux activités des équipes de recherche : rétablir les faits : elle est massivement partagée..
Selon les chiffres de la Direction de la Recherche, 44650 enseignants-chercheurs relèvent des 3902 équipes reconnues par des instances nationales, soit 88 % des 51.000 enseignants-chercheurs recensés (hors médecine, pharmacie, odontologie). Ces enseignants-chercheurs sont également répartis en nombre dans les équipes reconnues par le MEN (21.501) et dans les équipes mixtes avec les organismes de recherche publique (21.491). S’y ajoutent 1.185 enseignants-chercheurs intégrés dans les « équipes propres » du CNRS, de l’INSERM, ….
Mais cette participation des enseignants-chercheurs à la construction
d’un potentiel scientifique se fait dans de difficiles conditions.L’accumulation
des tâches administratives et des heures complémentaires, l’insuffisance
des moyens affectés à la recherche en université sont d’évidence
des facteurs d’éviction ou d’exclusion des activités
de recherche pour bon nombre d’enseignants-chercheurs. Cela ne ressort
pas de ces données numériques. Sans doute ne faut-il pas les solliciter
au-delà de ce qu’elles peuvent indiquer, qui est déjà
important.
Car ces éléments statistiques sont ignorés, et de fausses
évidences sont avancées avec la plus grande assurance. Le Pr.
Brézin interpelle le SNESUP lors de l’audience au CIP : «
il y a 15.000 enseignants-chercheurs qui font de la recherche dans les équipes
reconnues… Que font les autres ? ».
La diversité des formes de la recherche
Ces éléments statistiques n’épuisent cependant
pas la diversité des activités de recherche. Nombre de collègues,
notamment en Lettres, Langues, Droit font des recherches actives, publient de
façon individuelle ou en petits groupes de recherche. Toutes les universités
ne reconnaissent pas cette forme de recherche non « labellisée
» et donc non prise en compte dans les statistiques officielles. Caen
reconnaît par son Conseil Scientifique une dizaine de ces « petites
équipes émergentes », Brest en affiche 13, etc.… .
Au total sûrement, à plus de 95 % les enseignants-chercheurs sont
intégrés dans une activité de recherche.
L’examen détaillé par établissement permet de mieux
cerner les processus de détachement ou d’exclusion de la recherche
qui marquent l’activité professionnelle de plusieurs milliers d’enseignants-chercheurs.
Une intégration inégale selon les domaines scientifiques
C’est à Paris 9-Dauphine, qui se veut l’excellence-même,
en gestion et management que l’on rencontre l’un des taux d’intégration
les plus bas (58 % d’enseignants-chercheurs dans les équipes de
recherche), mais des taux faibles caractérisent la plupart des autres
universités en droit-sciences économiques-gestion. Le développement
des activités de conseil, de services aux entreprises, aux personnels
est particulièrement développé dans ce domaine. La loi
Allègre de 1999 a légalisé et stimulé ces activités
souvent individualisées, y compris dans les ressources qu’elles
procurent aux enseignants-chercheurs qui s’y impliquent. Il y a donc quelque
mauvaise foi à s’élever, dans les cercles officiels, contre
des pratiques que l’on a fortement encouragées dans le sens du
libéralisme le plus classique.
Mais tout autant selon l’histoire scientifique de l’établissement
Une deuxième observation de l’intégration partielle des
enseignants-chercheurs dans les équipes de recherche tient à l’histoire
de l’établissement. En effet, dans les universités de création
récente, on observe des taux inférieurs de 20 % à la moyenne
observée (Littoral : 63 %, Bretagne-Sud : 71 %, Versailles-St-Quentin
(58 %). Des universités de taille comparable, mais plus anciennes comme
Chambéry ou Pau ont des taux beaucoup plus élevés. La constitution
d’un tissu de recherche en milieu universitaire n’est pas donc pas
liée directement à la taille, mais à l’histoire scientifique
de l’établissement, de ses équipes de recherche, à
l’accumulation-imbrication des moyens, du potentiel et du patrimoine scientifiques
et culturel dans l’établissement.
L’effet proximité – les grands centres paralysant le développement des universités récentes proches - n’a rien de mécanique. Marne la Vallée, de création récente et tout proche des pôles parisiens a construit un potentiel scientifique, intégrant 93 % de ses enseignants-chercheurs. Inversement, Artois (42 %) n’a pas à ce jour les moyens de ce développement scientifique, et sans doute nombre d’enseignants-chercheurs s’intègrent dans des équipes lilloises, et plus encore dans les équipes parisiennes qui recrutent sur tout le bassin parisien, mais en plus faible proportion qu’il n’est souvent affirmé.
Les liens universités-grands organismes passent par la mixité, même dans les « équipes propres » qui intègrent 1193 enseignants-chercheurs et symétriquement 546 chercheurs relèvent des équipes propres du MEN. Mais cette mixité est la somme de deux systèmes différents. Les dix principales « universités scientifiques » rassemblent la moitié des chercheurs, qui peuvent égaler en nombre l’effectif des enseignants-chercheurs (ex. : Paris 7 et Orsay). Là sont aussi l’essentiel des équipes propres (physique, chimie, biologie surtout). Mais pour le plus grand nombre des établissements, et pour plus de 75 % du potentiel de recherche, c’est sur la base de l’activité des enseignants-chercheurs, avec l’apport de chercheurs, mais en nombre limité à quelques dizaines, que s’est constitue l’activité recherche de l’établissement. Ce système ne saurait être caractérisé dans les seuls termes de dispersion géographique. Les publications, échanges et confrontations scientifiques tissent un réseau jusqu’au niveau international. Tout simplement parce qu’il ne peut pas, il ne peut plus y avoir de recherche scientifique « locale », même en géographie ! Pas plus qu’il ne peut y avoir de « recherche universitaire », il y a des recherches dans les Universités !
Les éléments d’information
utilisés sont certes insuffisants pour mesurer l’activité
de recherche des enseignants-chercheurs, mais ils attestent de leur participation
quasi générale dans des structures de recherche qui sont très
différenciées loin du schéma « être chercheur
en pôle d’excellence » ou ne pas être chercheur que
l’on voudrait nous imposer.
A l’opposé de ce qui est souvent affirmé, c’est cette participation des enseignants-chercheurs aux activités de recherche qui devrait questionner. La lourdeur actuelle des services d’enseignement et des charges administratives cumulées pousse au décrochage scientifique, à la marginalisation ou à l’exclusion de nombre d’enseignants-chercheurs. Or, la recherche en Université est non seulement active, elle l’est de plus en plus ; la participation dans les équipes reconnues est passée de 78 % en 1997 à 88 % en 2003. Ceci malgré des moyens en crédits réduits :: 7000 euros/enseignant chercheur pour 2003 (crédits 66-71.50), soit, en euros constants, la même dotation moyenne qu’en 1997…Justement, .conditions de travail des enseignants-chercheurs et moyens pour les recherches en université n’est ce pas la question qu’il faut réellement et fortement poser ?
Maurice Hérin