Nanterre 2011 Contribution individuelle Philippe Selosse (ÉÉ-PSO)

Publié le : 03/03/2011


La défense des collègues dans une université dégradéeLa défense des collègues dans une université dégradée

 

Une nouvelle donne : l'université-entreprise

LOLF, RGPP, loi mobilité..., visent à transformer le fonctionnaire d'État en fonctionnaire d'établissement : mobile, flexible - licenciable. La loi LRU concrétise cette transformation dans l'université. Le personnel, titulaire ou non, ne dépend plus d'un ministre éloigné mais est directement livré à la merci d'un président d'université qui bénéficie désormais d'hyper-pouvoirs (arrêté du 27 juillet 2009), tandis que la « gouvernance » n'est déterminée que par la gestion comptable de « ressources humaines ». Au gré des personnalités extérieures dans les CA, des exigences des régions et des COS (conseil d'orientation scientifique ou « stratégique »), de purs gestionnaires décident des orientations de l'université en tous domaines : l'enseignement (ouverture / maintien de filières ; contenus de formation ; capacités d'accueil ; recours à des enseignants titulaires ou vacataires...) est contraint par le système d'allocation des moyens (SYMPA) et surveillé à l'euro près par le nouveau système de comptabilité analytique visant à calculer les coûts (SIFAC) ; la recherche est fixée, à court terme, par les évaluations AERES, les partenariats public-privé (PPP) et les projets de recherche appliquée / orientée (ANR, IDEX...) ; la gestion administrative, accrue par l'autonomie, est simultanément limitée par la masse salariale constante (d'où conversion de postes d'EC en postes de BIATOSS, etc.).

Dans ce système purement comptable, la notion de service public disparaît graduellement et l'enseignant-chercheur n'a plus sa place en tant que tel. Plus généralement, dans cette université dégradée, motivée par le quadruplet compétence / performance / excellence / concurrence externe (entre établissements) et interne (entre agents d'un même établissement), l'agent soucieux d'exercer collectivement des missions de service public et de bénéficier du régime de protection sociale attenant, n'a plus sa place en tant que personne. Il ne peut donc que se heurter à cette nouvelle logique libérale et rencontrer des difficultés avec ses collègues et son employeur.

 

Conséquences : dégradation croissante du travail

La hausse exponentielle des problèmes rencontrés par les collègues en témoigne : une section syndicale recevait une dizaine de problèmes personnes plus ou moins compliqués à traiter par an, désormais, il est courant d'en traiter une cinquantaine. Et ce n'est qu'un début, les universités n'ayant pas encore atteint le plein régime de l'autonomie. Dans l'université autonome, « la défense des intérêts matériels et moraux, économiques et professionnels du personnel en activité ou à la retraite » (art. 2 des Statuts du SNESup) est donc devenue une activité essentielle sur le plan local et non plus seulement au niveau ministériel. Les dossiers sont nombreux quantitativement mais aussi par leur diversité et leur ampleur. Petite revue non exhaustive ci-dessous :

  • droits sociaux : les attaques contre le droit à congés (refus de prise en compte des heures de congé maladie au nom de l'annualisation des services ; interprétation au rabais de la circulaire Duwoye pour les congés maternité), qui existent depuis longtemps, se font plus nombreuses et plus vives dans un contexte budgétaire plus contraint ; celles contre le droit de grève s'amplifient (« obligations » de s'auto-déclarer ; pénalisations financières...) ;
  • harcèlements (jusqu'au sein des équipes présidentielles !) : pressions sur la résidence administrative ; pressions sur l'engagement syndical ou politique (attaques ciblées sur des collègues connus pour leur positions anti-LRU) ; pressions sur les enseignements (évaluations par un directeur d'UFR ou par un CA) ; pressions sur la recherche (chantage au rattachement local sous peine de modulation ; incitations pesantes et régulières envers certaines équipes mal classées pour publier plus et mieux, sous peine de réduction puis de suppression des financements ; dénigrements répétés dans les conseils au nom de l'excellence...) ; les personnels en mal-être ou résistant à la marchandisation de l'université sont stigmatisés, selon une logique identique à celle, emblématique, mise en place chez France Télécom et visant à l'éviction de ces « maillons faibles » - et la mise en place de visites médicales et de cellules de veille sur la « souffrance au travail » ne permet pas de lutter contre une ambiance de travail qui se dégrade ;
  • services : pressions sur les titulaires, qu'ils soient EC (modulation illégale, sur la base des évaluations AERES et non des futures évaluations CNU ; contraintes par le président ou un directeur d'UFR...) ou PRAG (augmentation du service hebdomadaire ; services éclatés dans les composantes, dans des sites éloignés les uns des autres, au gré des restructurations universitaires) ; pressions sur les vacataires employés sans contrat, avec des emplois du temps non aménagés (horaires impossibles), etc.
  • recrutements : désignation opaque ou par réseau des membres des comités de sélection ; corrections des classements des comités de sélection par le CA au bénéfice de candidats locaux (hausse des recrutements « endogamiques ») ; droit de veto du président ; représailles envers des collègues militants anti-LRU (candidats HDR rejetés d'entrée du concours PR, malgré un profil adéquat), etc.
  • salaires : sanctions financières d'agents harcelés (paiements différés, retenues sur salaires non négociées) ; paiement des vacataires avec trois mois de retard ou refus de paiement des vacataires en période de fermetures administratives ; reclassement inégalitaire des MC (suite au décret 2009-462 sur le classement des personnels EC), dépendant du bon vouloir local et variant d'un collègue à l'autre ; non paiement des heures complémentaires ; salaires au mérite (p.ex. PES au lieu de la PEDR ; création de primes locales diverses), induisant concurrence, sentiment d'infériorité et tendances dépressives chez ceux qui n'en bénéficient pas (p. ex. chez tel PR encadrant des doctorants et ne touchant pas la PES), etc.
  • gestion des carrières : refus des détachements et délégations, qui « coûtent cher », et accroissement des mises en disponibilité aux seuls frais de l'agent ; obligations de réorientation disciplinaire, suite à des restructurations (mutualisations d'enseignements, fusions facultaires ou universitaires) ou à des problèmes de sous-service (disparition des IUFM) ; accroissement de la contractualisation (sans primes ni plan de carrière), etc.
  • soutien psychologique : les militants syndicaux reçoivent également des collègues, en proie au stress croissant, au surmenage (accroissement démesuré des tâches administratives) et à la dépression (désarroi de collègues ne voyant déjà plus les raisons d'être de leur métier).

 

L'investissement des sections syndicales

Lorsque les sections syndicales offensives prennent tous ces dossiers à bras le corps, en plus de l'information générale, de la défense des personnels et de l'action dans les conseils et comités (CTP, CCP, CHS), la confiance des collègues s'accroît - au point que les personnels BIATOSS se tournent même parfois vers le SNESup... Et les sections reçoivent de plus en plus de collègues en détresse, dans une spirale sans fin. Les secrétaires de section, le bureau des sections, même étendu à une dizaine de membres, finissent par ne plus pouvoir faire face à cette explosion d'affaires des personnels. Confrontés à cette charge de travail, les militants syndicaux hésitent pourtant à demander des décharges - par peur d'être identifiés comme syndicalistes, par peur de perdre, sur le terrain de l'enseignement et de la recherche, ce qu'ils investissent syndicalement et de se voir ensuite moduler, faute de temps pour pouvoir être d'« excellents » enseignants-chercheurs. Et si la syndicalisation s'accroît, c'est souvent bien plus par peur, pour trouver protection dans le syndicat, que par volonté de venir renforcer les rangs militants.

 

Les positions de Pour un Syndicalisme Offensif

Dans ce contexte, PSO s'engage :

  • à saisir l'occasion de la récente loi sur « la rénovation du dialogue social » (n°2010-751 du 05/07/2010) pour négocier avec la FSU l'obtention de réels moyens syndicaux (diffusion de l'information, décharges plus conséquentes) et, en particulier, un véritable statut de « délégué syndical » permettant de préserver les syndiqués qui se risquent à défendre les collègues. Ces syndiqués ne pourront plus assurer cette défense, si aucune protection ne vient les garantir contre de possibles chantages à la modulation ou au salaire, faits par leur présidence ;
  • à contribuer à la mise en place d'une cellule juridique au sein du SNESup et à la formation juridique des sections syndicales, pour leur permettre de défendre pied à pied les collègues. PSO rappelle que le droit est une arme syndicale maintes fois utilisées dans l'histoire des revendications sociales : connaître les différents Codes (de l'Éducation, Administratif, de Justice Administrative), monter des recours au TA grâce à une information précise fournie par des collègues confiants et des élus combattifs, est un puissant rempart contre les abus de l'administration ou d'un président ;
  • à combattre les présidents et équipes présidentielles en place, en cas d'excès de pouvoir ou de violences faites aux personnels, même si ces présidents et ces équipes se revendiquent du SNESup ou ont été soutenus, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, par une section SNESup lors de leur élection ;
  • à défendre les non titulaires de manière exigeante, sans rien leur cacher de ce que recouvre en profondeur la « résorption de la précarité » voulue par le gouvernement (liquidation par le fait du statut de fonctionnaire titulaire et des régimes de protection sociale liés à ce statut ; fragilité juridique des CDI dans la fonction publique, faute de réelles dispositions législatives associées à ce statut) ;
  • à œuvrer à la publication, sous forme de décret ou de loi, de textes clairs et précis destinés à garantir les droits à congé des personnels.