Manifeste intersyndical pour l'Ens. Sup. & Recherche

Publié le : 14/04/2010

MANIFESTE POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET LA RECHERCHE

 

Ce texte est issu des Assises nationales de l'université et de la recherche des 22 et 23 janvier 2004 organisées par ou avec la participation du SNESUP-FSU, SNCS-FSU, SNASUB-FSU, SNEP-FSU, UNEF, A&I UNSA, SNPTES-UNSA, FERC-CGT, FERC-SUP-CGT, SNTRS-CGT

L'enseignement Supérieur et la Recherche de la France sont en péril. L'Université est asphyxiée, la recherche est amputée. Et pourtant sur plus de trente ans, dans des conditions de plus en plus difficiles les personnels, enseignants et IATOSS du supérieur, ont réussi à porter à bout de bras la démocratisation-massification de l'enseignement supérieur en réponse à la demande sociale, aux besoins sociaux, et en passant d'un demi million à plus de deux millions d'étudiants.

En dépit de moyens insuffisants, le service public d'Enseignement Supérieur a su se diversifier et créer de nouvelles formations notamment professionnelles. Et pourtant la recherche française, en dépit de la politique erratique de l'Etat, a su faire preuve de beaucoup de vitalité.

Mais aujourd'hui l'élan de la démocratisation-massification est stoppé et les mécanismes ségrégatifs de l'enseignement supérieur perdurent. Mais aujourd'hui les équipes de formation universitaire n'ont pas les moyens pour diversifier et mettre en place les dispositifs favorisant la réussite des étudiants. Mais aujourd'hui la faiblesse des budgets, le gel des crédits, la précarisation des emplois, la politique scientifique opaque et libérale de l'Etat et son abandon de la recherche fondamentale mettent en danger les laboratoires de recherche, barrent l'avenir. Mais aujourd'hui on ne recrute plus d'enseignants-chercheurs et de chercheurs, on les précarise...

OUVRIR L'HORIZON POUR LES JEUNES

L'horizon des jeunes entrant dans l'enseignement supérieur en est bouché. Cela génère le doute sur la nécessité de poursuivre de longues études. Cela provoque la désespérance des doctorants, post-doctorants et jeunes chercheurs. Et pourtant notre société, la recherche et l'enseignement supérieur ont besoin de plus en plus de diplômés de haut niveau. Ouvrir les possibilités de poursuite d'études jusqu'au Bac+5 est d'autant plus nécessaire que c'est à ce niveau que se situera le point de rupture du recrutement des futurs cadres, notamment des enseignants.

Oui, il faut former plus de cadres de la vie économique et sociale, de chercheurs, d'enseignants et d'enseignants-chercheurs, d'ingénieurs, de médecins, d'infirmiers, d'éducateurs, de techniciens, de magistrats. Oui la France a besoin d'aller au plus vite au-delà de 3 millions d'étudiants en formation initiale et continue, par la VAE.

Oui, les savoirs scientifiques, techniques, culturels, professionnels, doivent être appropriés et partagés par le plus grand nombre afin que de plus en plus de jeunes et d'adultes s'insèrent critiquement dans la vie sociale et citoyenne.

Former et faire réussir des étudiants de plus en plus divers appelle un effort continu en matière de contenus et de méthodes pédagogiques afin de traduire les savoirs, les avancées de la recherche et les savoirs professionnels dans des formations et une culture universitaire qui fassent sens. Coupé de la recherche qui favorise la transmission et l'appropriation critique des savoirs, l'enseignement supérieur s'anémie, se sclérose, se dogmatise.

Au vrai, lier intimement l'enseignement supérieur et la recherche est vital pour l'un et pour l'autre. L'enseignement supérieur a besoin d'être innervé en permanence par la recherche.

Celle-ci a besoin de plus en plus de docteurs en sciences de l'homme, de la société, de la matière et de la vie et en particulier, d'une reconstruction de l'enseignement scientifique de l'école primaire à l'Université.

C'est pourquoi, nous dénonçons non seulement une politique gouvernementale qui met à genoux l'enseignement supérieur et la recherche publique, mais aussi une orientation qui les cloisonne et qui laisse en jachère l'enseignement scientifique au cours de la scolarité.

RELANCER LA DEMOCRATISATION : CONDITIONS

Notre volonté, c'est de remettre en marche une démocratisation à la fois qualitative et quantitative de l'enseignement supérieur.

La première condition c'est de financer l'enseignement supérieur et la recherche en inversant la tendance grâce à des mesures immédiates : le dégel et la réaffectation des crédits 2002 et 2003, le rétablissement des 550 emplois statutaires de la recherche publique, un collectif budgétaire créant des emplois de chercheurs, d'enseignants chercheurs et d'IATOSS, augmentant les dotations en crédits et assurant le financement de nouvelles mesures sociales pour les étudiants. Il faut aussi un Plan pluriannuel poursuivant sans faiblesse dans la durée trois objectifs.

En premier lieu, c'est d'atteindre l'objectif de 3% du PIB pour la recherche, ce qui signifie un effort conséquent pour la recherche publique en termes d'emplois de titulaires et de financement tant au niveau des organismes que des établissements d'enseignement supérieur. Cet effort sera d'autant plus efficace que sera mieux pris en compte le point de vue de ceux qui font la recherche et des besoins de la société.

En second lieu, d'augmenter significativement la dépense moyenne par étudiant en la portant, première étape, à 10000 euros avec un effort prioritaire pour les universités ; prévoir l'amélioration des lieux de vie des étudiants, des logements, des équipements sportifs et culturels, des bibliothèques ; réduire le coût des transports.

En troisième lieu, de programmer le renouvellement des corps d'enseignants et d'IATOSS et créer les emplois nécessaires pour améliorer l'encadrement des formations, pour combler le déficit actuel de 17000 emplois d'enseignants reconnus comme manquants par le Ministère, pour résorber la précarité qui, en ce qui concerne les IATOSS, est évaluée à 15000 emplois, soit un tiers d'entre eux.

La seconde condition c'est d'allier tout l'enseignement supérieur à la recherche . Notre pays a su construire, dans des conditions difficiles, un système public de recherche efficace et dynamique grâce aux grands organismes et aux Universités. La coopération intense, aujourd'hui, dans l'activité de recherche des équipes et des laboratoires des chercheurs et enseignants-chercheurs appelle de nouvelles initiatives.

La première exigence est celle qui favorise les mobilités volontaires, diverses, rendues nécessaires par l'évolution même des responsabilités et de la dynamique des connaissances.

La deuxième exigence, c'est de permettre à tous les enseignants-chercheurs d'exercer pleinement leur métier, de participer à l'effort de recherche.

La troisième exigence, c'est que tout l'enseignement supérieur, dès le premier cycle, universités et écoles, soit allié à la recherche. Deux mesures : développer les DEA et les formations doctorales et le soutien aux doctorants et post-doctorants ; permettre à tout enseignant-chercheur de disposer de périodes d'activité lui permettant d'effectuer des séjours dans une autre structure.

La troisième condition c'est de donner toute sa place à la relation pédagogique . Les nouveaux publics arrivés à l'université ces dernières décennies y échouent massivement.

Pour s'approprier le savoir, émerge de plus en plus l'exigence d'une plus grande individualisation pédagogique de la formation des étudiants, d'une relation plus directe et plus proche.

Personnaliser dans l'acte d'enseignement et dans le rapport au savoir la relation pédagogique c'est considérer les étudiants comme des sujets, comme des personnes. Pour ce faire il faut développer le travail en petits groupes, le soutien, le tutorat, la disponibilité des enseignants et enseignants-chercheurs et leur formation à la pédagogie, valoriser les recherches en didactique dans toutes les disciplines afin de mieux prendre en compte la culture, les conceptions et représentations, les rapports au savoir et les modalités du travail intellectuel des étudiants.

Trois mesures : porter la part des enseignements dirigés et pratiques à 60% de l'horaire total dans le cadre d'un enseignement intégré ; limiter les effectifs à 15 étudiants pour les TP, à 25 pour les TD, à 200 étudiants pour les CM. Innover, dès le premier cycle, en mettant en place des Travaux Interdisciplinaire Personnels Encadrés (TIPE) et favoriser au-delà les TER, les projets...

La quatrième condition, c'est d' ouvrir toutes les possibilités d'études jusqu'à Bac + 5 et au-delà , et rendre possible la mobilité des étudiants, sur un pied d'égalité, en France, en Europe, voire au-delà. Il faudrait tout d'abord assurer la gratuité de l'enseignement supérieur, réformer et accroître l'aide sociale des étudiants afin d'assurer leur capacité à poursuivre leurs études de manière autonome.

Il est aussi urgent de prendre des mesures de lutte contre l'échec universitaire en premier cycle en généralisant les dispositifs innovants qui ont fait leurs preuves, en favorisant le travail en équipes pédagogiques des enseignants, leur disponibilité.

Il importe aussi de rénover les formations, de bâtir des enseignements intégrés, en particulier pour répondre aux acquis et attentes des bacheliers technologiques et professionnels.

Il faut rejeter toute sélection aussi bien à l'entrée de l'université qu'à l'entrée en master et permettre le passage en deuxième année de master pour tout étudiant ayant la moyenne à ses évaluations.

Cinquième condition, il faut construire un cadre national des formations et des diplômes définissant leurs références nationales et européennes communes pour assurer, dans l'égalité, la mobilité des étudiants. Oui, nous sommes pour une harmonisation européenne des diplômes, mais nous rejetons les conditions de sa mise en œuvre en France. La reconnaissance des diplômes et des qualifications doit être assurée en France et dans l'espace européen.

La sixième condition, c'est que tous les personnels du supérieur - enseignants et IATOS - aient des conditions de travail améliorées, des carrières revalorisées et le respect de leurs statuts ; c'est aussi pourquoi nous refusons le projet de budget global qui développerait la précarité des emplois et qui conduirait, en particuliers pour les IATOS, à l'externalisation et à la privatisation de certaines de leurs missions. Conditions qui doivent permettre aux enseignants d'allier leur activité d'enseignement et de recherche, sans sacrifier l'une à l'autre.

La septième condition c'est de faire vivre à tous les échelons de décisions des établissements la démocratie, la collégialité et la coopération .

Il conviendrait de donner des droits nouveaux à tous les acteurs pour qu'ils puissent participer à l'élaboration des projets et des décisions. Il faudrait élire les Présidents et les Directeurs en même temps que les Conseils et instituer leur responsabilité pleine et entière devant le Conseil d'Administration.

Il conviendrait d'organiser les coopérations entre les Universités grâce à des organismes de coopération universitaire obéissant à un triple principe : stabilité dans le temps ; démocratie dans leur organisation ; réversibilité permettant aux parties contractantes de se retirer, voire de faire valoir un droit de veto ou décider de la dissolution de la structure coopérative.

Ces sept conditions ont l'ambition de donner corps à une grande idée, à une utopie concrète : fonder l'Université, l'enseignement supérieur, comme service public de notre temps.

Cette idée se heurte aujourd'hui à des choix gouvernementaux dont le sens est de mettre toujours plus en compétition les établissements, les formations, les personnels du supérieur. Choix néolibéraux pour lesquels le savoir serait un objet de commerce soumis à l'offre et à la demande.

CONSTRUIRE DE NOUVELLES PERSPECTIVES POUR LE SERVICE PUBLIC D'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE RECHERCHE

Le service public national d'enseignement supérieur et de recherche peut légitimement faire état d'un bilan considérable en matière de formation comme de recherche, et en même temps, il est confronté à des difficultés réelles appelant de nécessaires transformations. Les amputations budgétaires, les mesures, les projets du gouvernement mettent en cause le service public et dans son organisation et dans une logique d'ouverture sociale à ses missions scientifique, culturelle et professionnelle.

Il est donc essentiel de réaffirmer que le service public national d'enseignement supérieur et de recherche est l'outil irremplaçable de la démocratisation et du développement scientifique et culturel de la nation. Cela implique que la communauté universitaire, tous les acteurs concernés ou impliqués soient en mesure d'exprimer leurs exigences et leurs propositions, par un fonctionnement démocratisé au niveau des établissements comme de l'ensemble du service public lui-même.

Le projet dit de « modernisation universitaire » va à l'encontre de ces exigences, il doit être définitivement abandonné.

En même temps ce Service Public National d'Enseignement Supérieur et de Recherche doit développer ses relations dans l'espace européen de formation et de recherche. Le service public n'est pas à traiter comme une exception française ! Mais comme une voie, une perspective de développement en Europe, renforçant les coopérations et les échanges entre établissements, entre pays.

Les syndicats à l'origine de ces Assises (SNESUP-FSU, SNCS-FSU, SNASUB-FSU, SNEP-FSU, UNEF, A et I-UNSA, SNPTES-UNSA, FERC-CGT, FERC-Sup, SNTRS-CGT) ont l'ambition d'élargir le cadre unitaire des signataires de ce Manifeste. Ils appellent tous les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche à construire ensemble des alternatives en France et en Europe.