Le rapport Tourret sur les discriminations dans la fonction publique : un pavé dans la mare

Publié le : 17/04/2013


LE RAPPORT TOURRET SUR LES DISCRIMINATIONS DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Un pavé dans la mare des 

idéaux

par Isabelle de Mecquenem, responsable du secteur Affaires personnelles

Malgré le principe constitutionnel d’égalité, la fonction publique n’est pas épargnée
par les discriminations. En dépit de l’absence de données officielles et de l’extrême
rareté des plaintes, tout donne à penser qu’elles constituent une réalité préoccupante.

Parce qu’il risque de passer inaperçu dans
l’ingrate littérature grise des rapports
publics, il convient de souligner le grand intérêt
de celui du député PRG Alain Tourret qui
porte sur les discriminations dans la fonction
publique. Si l’enseignement supérieur et la
recherche n’y font pas l’objet d’une attention
particulière et d’analyses spécifiques, le propos
s’y applique néanmoins avec pertinence,
puisqu’il s’agit d’une problématique transversale
aux trois versants de la fonction publique
(d’État, hospitalière et territoriale), comme le
document tente de le montrer en une trentaine
de pages. Afin d’établir un état des lieux indispensable,
puis formuler des préconisations
de mobilisation anti-discriminatoire appropriée
au secteur public, plan classique pour un
rapport, Alain Tourret a procédé par auditions,
ce qui constitue l’ancrage de son diagnostic,
mais il a mis aussi en avant les nouvelles dispositions
législatives, dont certaines très
récentes, comme la loi du 12 mars 2012, permettant
de lutter efficacement contre les
atteintes aux droits fondamentaux dont, horresco
referens, même la fonction publique,
tous versants confondus, n’est pas épargnée.
Nous devons déjà saluer dans ce rapport
publié fin 2012, la décision d’aborder frontalement
une question aussi embarrassante,
suggérant ainsi préalablement l’acceptation
lucide, voire résignée, d’un État et de services
publics réduits au rang d’employeurs
comme les autres, désormais soumis aux mêmes normes légales de bonne gestion de
leurs ressources humaines et logiquement
dotés d’une responsabilité sociale dans le
domaine sensible des discriminations, ce qui
jette un gros pavé dans la mare de l’exception
culturelle longtemps représentée par la fonction
publique française, où prévalaient les
garanties et protections liées au statut de fonctionnaire.
À ceux qui auraient la faiblesse de
croire que le principe
constitutionnel d’égalité
auquel l’organisation et
le fonctionnement des
collectivités publiques
doivent constamment se
référer, immunise
contre toutes les formes
de discrimination, il faut
donc recommander
cette saine lecture. En
tous les cas, nous pouvons
affirmer qu’à travers ce rapport, la fonction
publique est fortement invitée à se doter
d’une vigilance et de pratiques exemplaires en
matière de lutte contre les discriminations,
dynamique à laquelle Alain Tourret entend
contribuer. 
Tout en rappelant de façon liminaire que « l’exigence
d’égalité innerve l’ensemble des droits et
obligations des fonctionnaires
», Alain Tourret
s’appuie sur les données établies par le Défenseur
des droits et l’Organisation internationale
du travail en 2012 pour étayer un cruel constat : « Les discriminations restent une réalité dans la
fonction publique
». Plus précisément, « près
d’un quart des agents publics estiment avoir été
confrontés à une discrimination en tant que
victimes et plus d’un tiers en tant que témoins.
Selon cette même source, la fonction publique
est de moins en moins perçue comme protectrice.
En outre, 30 % des agents qui ont été
témoins d’une discrimination n’en ont rien
dit, ce qui atteste un
niveau d’autocensure
élevé
». Toujours en fonction
des saisines du
Défenseur des droits, on
apprend que les motifs
le plus fréquemment
invoqués par les agents
du secteur public « sont
l’état de santé et le handicap
(à hauteur de
33 %), l’origine
(17 %)
et la grossesse (8 %). Suivent les activités syndicales
(7 %), l’âge (6 %) et le sexe (4 %)
». Le rapport
mentionne également la prise en compte
plus nouvelle de certains faits discriminants, à
savoir les harcèlements moral et sexuel. Il est
intéressant de savoir que, depuis la loi n° 2008-
496 du 27 mai 2008, ceux-ci font en effet partie
des discriminations, ce qui donne au Défenseur
des droits compétence en la matière et
permet à la victime de présenter au juge des
éléments de nature à établir une « présomption
de discrimination
». Cependant, en dépit de
moyens et d’outils juridiques, le rapporteur ne
manque pas d’exprimer sa circonspection et
son étonnement devant l’absence de données
officielles et l’extrême rareté des plaintes : « Tout se passe dans la fonction publique, comme si
le harcèlement n’existait pas
! ». 
Si pour Alain Tourret, le Conseil commun de
la fonction publique, nouvelle instance issue
de la loi du 5 juillet 2010 sur la rénovation du
dialogue social, a vocation à devenir « un
lieu privilégié pour le traitement de la question
des discriminations
», il est urgent d’effectuer
la mesure la plus précise du phénomène à travers
des « enquêtes systématiques distinguant
entre les différents critères, conduites dans les
trois versants de la fonction publique
». Si le
véritable état des lieux reste donc à constituer,
le rapport du député Tourret lui aura donné
une impulsion déterminante et justifiée.