Le processus de Bologne a-t-il renforçé les inégalités ?

Publié le : 15/10/2012

LES INÉGALITÉS D’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 

Le processus de Bologne a-t-il renforcé les inégalités ?

par Gilles Pinte, MCF en sciences de l'éducation, université de Bretagne Sud
 

La massification, qu’il ne faut pas confondre avec la démocratisation, a renforcé la hiérarchisation des filières. Il faut rendre plus lisible l’offre de formation et renforcer les liens entre lycée et université.

Le tout récent rapport de l’OCDE « Regards sur l’éducation » rappelle l’importance des enjeux de l’enseignement supérieur sur le PIB d’un pays et sur les conditions de vie des diplômés en termes d’emploi, de carrière et d’avantages sociaux. Les diplômés du supérieur en France gagnent en moyenne 47 % de plus que les autres salariés. Leurs trajectoires de carrières, si elles ne sont plus linéaires, sont moins heurtées que les autres. La massification de l’enseignement supérieur a longtemps été confondue avec sa démocratisation. Pourtant l’inflation scolaire, telle que l’a définie Marie Duru-Bellat peutêtre source de désillusion, de sentiment de déclassement. 
 

Massification et hiérarchisation des filières 

 
On peut même avancer que la massification a renforcé la hiérarchisation des filières de l’enseignement secondaire et supérieur. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la part des enfants d’ouvriers ou d’employés diminuer dans les Grandes Écoles ou les classes prépa. Les filières sélectives de l’université, tels que les IUT, ont été détournées de leurs objectifs qui étaient de former des élèves des bacs technologiques et professionnels. Malgré les injonctions des derniers ministres de l’Enseignement supérieur, ces filières restent investies par des étudiants de filières générales qui les utilisent principalement comme des passerelles vers les écoles d’ingénieurs ou de commerce. La hiérarchisation des filières est d’autant plus forte en France que la place du diplôme va déterminer très jeune la hiérarchie professionnelle. Si les facteurs d’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur sont bien sûr très nombreux et pour certains bien connus, un nouveau facteur a été introduit par la réforme du LMD qui a accentué la différenciation poussée à l’extrême du système éducatif. Le processus de Bologne qui a amené la réformedes cycles universitaires, le fameux LMD, devait rendre la lecture du système éducatif plus simple et plus lisible, notamment à des fins de comparaison européenne. Quelques années après, cela semble bien être le contraire qui s’est produit avec un doublement, selon les experts, du nombre des diplômes… 
Le nombre de spécialités de formations, évidemment différentes d’une université à une autre, a explosé. Rajoutons la multiplicité des « parcours » pour les licences et des « mentions » pour les masters, puis des « domaines » pour les universités et la complexité de lecture sera insurmontable pour nombre de jeunes et leurs parents, voire de conseillers d’orientation. Ainsi, cette différenciation du système éducatif profite essentiellement aux familles les plus informées et donc les mieux dotées, dirait Bourdieu, en capital culturel, social et financier. De plus en plus d’officines privées d’orientation proposent pour 500 euros des prestations d’orientation (qui vont jusqu’à l’aide à l’inscription sur Admission Post Bac) pour des étudiants et des parents désemparés dans le maquis des des formations supérieures.
 

Simplifier l’offre de formation et renforcer les liens entre lycée et université 

 
Aussi, pour ne pas en rester qu’aux constats, paraît-il important de jouer sur deux leviers : le premier est celui de la lisibilité des formations à travers une simplification de l’offre de formation qui rendrait les formations de L1 plus compréhensibles pour des lycéens. Mais cela ne suffirait pas si une offre de formation plus lisible n’était pas couplée à une meilleure interpénétration des relations entre le lycée et l’université dès la seconde ou tout au moins la première à travers des échanges entre enseignants du secondaire et du supérieur, mais aussi à la possibilité pour des lycéens de filières technologiques ou professionnelles, de suivre quelques cours à l’université. Il existe déjà des expériences qu’il faudrait généraliser : les classes passerelles qui permettent à des étudiants de suivre quelques cours d’une filière universitaire, voire de valider par anticipation certaines matières, mais aussi des possibilités de suivre des cours à l’université. 
Les remèdes existent pour faire en sorte que la première année ne soit pas l’année de tous les dangers pour les étudiants et pour lutter contre le darwinisme social de la première année où les plus faibles et les moins informés sont exclus. C’est sur le dialogue entre le lycée et l’université que les acteurs de l’éducation doivent porter leur effort pour généraliser ces expérimentations.