Le financement de la recherche biomédicale par les industries et les fondations

Publié le 19 mars 2013

Le financement de la recherche biomédicale par les industries et les fondations

par Bruno Truchet, MCF Neurosciences, université d’Aix-Marseille

Les liens entre les chercheurs et les firmes pharmaceutiques posent de graves problèmes. Pour les surmonter, il faut créer une agence publique de contrôle des médicaments constituée de professionnels uniquement financés par l’État.

En matière de financement de la recherche biomédicale, il faut distinguer deux types de thématiques de recherche : d’une part, celles qui s’inscrivent véritablement dans une optique fondamentale, même en relation avec des pathologies, et que l’on retrouve tout autant dans le secteur sciences que dans le secteur santé et, d’autre part, celles à but clairement appliqué, qui ont lieu essentiellement dans les laboratoires de santé. 

Dans le premier cas, les financements privés ne posent en général pas de problèmes majeurs. Beaucoup de chercheurs n’étant pas médecins, les conflits d’intérêts sont plus limités et les sommes en jeu souvent moins importantes. Un collègue du secteur sciences témoigne : « J’ai reçu des subventions de « grands » laboratoires pharmaceutiques, et des subventions de petites structures de biotechnologies. En règle générale, il a été très facile de communiquer scientifiquement avec les grands laboratoires qui m’ont laissé une entière liberté sur mes choix de protocoles expérimentaux, et les interactions avec les chercheurs en charge du projet dans les industries pharmaceutiques sont plutôt fructueuses. Nous avons pu publier nos travaux assez facilement ». Pour le Téléthon, même son de cloche de la part d’un autre chercheur : « Aucun souci, ils demandaient un rapport à mi-parcours. Si on avait « bien » travaillé, ils donnaient la demi-tranche suivante. En fin de contrat, on envoyait le papier ou les papiers qui en avaient découlé ».

Puissance du lobby pharmaceutique 

 

Dans le deuxième cas, les recherches à but appliquées, c’est-à-dire essentiellement le test de molécules dans le but d’une commercialisation, les conflits d’intérêts sont beaucoup plus fréquents, nombre d’experts impliqués dans les décisions de mise sur le marché ayant des liens étroits avec les industries. Le scandale récent du Médiator est évidemment celui qui vient à l’esprit, mais le grand public, et même notre profession connaît moins les divers moyens dont use le lobby des industries pharmaceutiques pour asseoir son influence. 

Dans un article de 2007(1), Sergio Sismondo met en évidence l’importance du « ghost writing » et du « ghost management ». La première pratique consiste à faire écrire des publications, signées par des scientifiques, souvent de renom, par des écrivains professionnels employés par les firmes pharmaceutiques. La deuxième va plus loin, l’influence des firmes s’exerçant dés la mise au point des protocoles de test, mais sans que cela n’apparaisse dans les publications finales, donnant ainsi l’impression qu’il s’agit d’articles académiques classiques et objectifs. Afin de s’assurer d’une diffusion maximale de ces résultats, forcément flatteurs sur l’efficacité des molécules considérées, ces entreprises font souvent appel à des agences spécialisées, qui emploient des écrivains et des spécialistes du marketing et disposent d’un réseau d’influence chez les éditeurs scientifiques. In fine, le but est toujours le même : minimiser l’impact des études montrant l’absence d’effets (ou pire les effets néfastes de leurs produits), ces dernières se retrouvant noyées dans la masse d’études positives dans les moteurs de recherche tels que Pub Med. Ainsi, même sans lien direct avec ces entreprises, des médecins peuvent en toute bonne foi prescrire ces médicaments à leurs patients sur la base de publications d’apparence indépendantes. 

Au niveau des formations, si les étudiants en médecine sont mis en contact avec les grands groupes pharmaceutiques parfois dés la deuxième année, c’est au niveau de la formation médicale continue que leur influence est la plus grande, comme le dénonce notamment l’association Formindep(2), qui s’attache à lutter contre le financement ou la participation des entreprises à des formations à destination des professionnels de santé. Le lobby pharmaceutique est également puissant au niveau politique, comme on peut le lire dans un récent communiqué(3) de l’Ordre des médecins à propos d’un décret sur la publication des liens d’intérêt, qui dénonce le fait que « contrairement à la volonté du législateur et au texte même de la loi du 29 décembre 2011, les usagers du système de santé n’auront qu’une vision fausse, confuse et tronquée des liens d’intérêts entre professionnels de santé et industriels du médicament et du matériel médical. » 

La solution aux problèmes graves que posent les liens entre les chercheurs et les firmes pharmaceutiques réside, comme souvent, dans le service public. Il est nécessaire de créer une agence publique de contrôle des médicaments constituée de professionnels uniquement financés par l’Etat, sans aucun lien avec l’industrie, et de proscrire toute participation de ces entreprises à des formations agréées par les instances publiques nationales. Le désengagement de l’État dans la recherche (y compris à but appliqué) produit un vacuum qui ne laisse guère de choix aux chercheurs pour financer leurs travaux, et la course déraisonnable aux publications nous conduit à un système où la recherche de la vérité scientifique se réduit comme une peau de chagrin, au détriment de la santé des patients.  

 

(1) Ghost Management : How much of the medical Literature is shaped behind the scenes by the pharmaceutical industry ? S. Sismondo, Plos Medicine, 2007 : http://www.plosmedicine.org/ article/info:doi/10.1371/journal.pmed.0040286 

(2) http://www.formindep.org/ 

(3) http://www.conseil-national.medecin.fr/ article/publication-des-liens-d-interet-de-lalumiere- l-obscurite-1265