La formation tout au long de la vie à tous les niveaux de l'action publique : pour quoi faire ?

Publié le : 19/11/2012


La formation tout au long de la vie à tous les
niveaux de l’action publique : pour quoi faire ?

par Eric Verdier, directeur de recherche Cnrs, Laboratoire d’économie et de sociologie du travail, Aix-Marseille Université

Dans notre pays où se cumulent inégalités scolaires et inégalités d’accès
à la formation continue, le bénéfice d’une formation qualifiante pour les salariés comme pour les chômeurs reste rare. Le changement passe notamment par l'instauration d'un droit différé à l'éducation. 

Depuis plus d’une décennie, l’éducation et
la formation tout au long de la vie, traduction
officielle à Bruxelles de « Lifelong Learning
», est devenue une référence incontournable
: en vue de constituer une « société de
la connaissance », à la fois innovante et inclusive
pour tous, elle est censée être l’un des
instruments privilégiés de la « stratégie de
Lisbonne » (devenue « Europe 2020) ». Cette
orientation européenne intervient dans un
domaine de compétence qui continue à
relever, en principe, des Etats membres : elle
doit donc trouver son effectivité en premier
lieu dans les politiques nationales mais aussi régionales et sectorielles.
Formellement la France n’a pas
été avare de textes puisque
ses partenaires sociaux ont
adopté deux accords interprofessionnels,
en 2003 et 2009,
prolongés par deux lois en
2004 et 2009, la seconde étant
relative « à l’orientation et à la
formation professionnelle tout au long de la
vie » (OFTLV). Plus de 60 accords de branches
adaptent les stipulations interprofessionnelles
aux spécificités des branches tandis qu’au
niveau régional, les contrats de plan pour le
développement de la formation professionnelle
(CPRDF) font de l’OFTLV un axe central
des stratégies de développement : elles-aussi
visent l’accès de tous à une qualification professionnelle,
à soutenir les reconversions et mobilités
afin de sécuriser les parcours des actifs,
ainsi qu’à favoriser la promotion sociale. 

Un dispositif français dualiste

 Dans les faits, où en est-on, sachant que, de
longue date, le dispositif français de formation
continue s’est organisée autour d’une profonde
dualité en matière de financement
entre d’un côté, « l’entreprise formatrice »,
instituée depuis 1971 par l’obligation annuelle
pour tout établissement d’affecter une fraction
de la masse salariale au financement de la formation
des salariés et, de l’autre, la formation
des chômeurs qui incombe aux pouvoirs
publics ? Dans le cadre de « l’éducation permanente
» des années 70, l’accent mis sur la
formation des salariés pendant le temps de travail distinguait la France, d’une part des
pays scandinaves qui promouvaient une
« seconde chance » pour les moins dotés de
la formation initiale et, d’autre part, des pays
germanophones qui visaient à développer la
qualification de salariés déjà massivement
détenteurs de brevets professionnels acquis
en apprentissage en facilitant l’accès à des certifications
professionnelles articulées à emplois
à plus haute responsabilité technique. 
Malgré des avancées législatives et conventionnelles
non négligeables, la situation française
s’avère problématique face aux risques
croissants de ruptures des parcours professionnels.
Se cumulent toujours des
inégalités scolaires très marquées
par l’origine sociale et des inégalités
d’accès à la formation continue
engendrées par les pratiques de gestion
des entreprises : chaque année,
17 % d’une génération, soit environ
150 000 jeunes, quittent le système
éducatif sans diplômes alors qu’un
actif non diplômé a 3,1 fois moins de chances
d’accéder à une formation continue qu’un
diplômé post-bac (1,8 en Suède) ; en outre,
le taux d’accès annuel d’un ouvrier à la formation
continue est de 22 points inférieur à
celui d’un ingénieur (36 % et 58 %) ; de
plus, l’accès à une formation diplômante
reste très faible en France - en 2007, 2,6 %
des 30-39 ans contre 12,9 % en Suède, 8 %
au Danemark et 5,9 % en Grande-Bretagne
-, ce qui contribue à expliquer que la durée
moyenne des formations soit particulièrement
faible (trois fois moins qu’en Allemagne,
presque cinq fois moins qu’en Suède)
et à portée avant tout adaptative. 
L’instauration d’un droit individuel à la formation
(DIF) en 2003-2004 n’a guère changé
la donne en ouvrant un crédit de 20 heures
par an cumulable en principe sur 6 ans : le nombre de bénéficiaires reste limité (6,4 % des
salariés l’an) tandis que les durées de formation
sont trop courtes (22 heures) pour permettre
l’accès à une formation qualifiante. Si
le congé individuel de formation créé dans les
années 70 concerne généralement des formations
diplômantes, son accès se réduit à
moins de 40 000 salariés l’an, faute de financement
suffisant. Enfin, si la loi de 2009 dispose
qu’au cours de sa vie active, toute personne
doit pouvoir suivre une formation lui
permettant de progresser d’au moins un
niveau de qualification, cette ambition n’est
pas étayée par des instruments à même de le
concrétiser. Tant qu’un droit différé à l’éducation
n’aura pas été mis en place – par
exemple, garantir l’équivalent d’une année
de formation diplômante à toute personne
sortie sans un niveau de diplôme jugé suffisant
-, la situation n’a guère de raison de changer.
Il est symptomatique que l’État n’ait pas repris
dans la loi de 2004 l’appel des partenaires
sociaux à instaurer une telle disposition. À ce
stade, la validation des acquis de l’expérience
ne saurait tenir lieu d’alternative crédible pour
un accès d’ampleur à la certification compte
tenu de la complexité de ses procédures. Les
demandeurs d’emploi entrent deux fois moins
en stage que les salariés ; certes leur durée
moyenne de formation est quatre fois plus élevée
mais souvent elle reste trop courte pour
accéder à une certification reconnue ; là
encore, les moins diplômés sont sous-représentés
et l’instauration en 2010 d’un fonds
paritaire de sécurisation des parcours professionnels
n’est pas à la hauteur des enjeux. Les
réformes qui s’annoncent changeront-elles la donne ?
(1) 1,6 % pour les entreprises de 20 salariés et
plus, 1,05 % pour les 10 à 19, 0,55 % pour les moins de 10.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE : 
Larcher G., 2012, La formation professionnelle : clé pour l’emploi et la compétitivité, 
Document remis à Monsieur Le Président de la République, 
Verdier E., « L’éducation et la formation tout au long de la vie : une orientation européenne,
des régimes d’action publique et des modèles nationaux en évolution »,
Sociologie et Sociétés, vol. 40, no 1, 2008, pp. 195-225.