Intervention du SNESUP-FSU lors du colloque de la CNFU

Publié le : 28/09/2016

 

COMMISSION NATIONALE FRANÇAISE pour
l'UNESCO


Colloque du 8 septembre 2016


RÉVISION de la RECOMMANDATION de
1974


   
CONCERNANT la CONDITION des CHERCHEURS SCIENTIFIQUES


 

 

À l’occasion de
la révision de la recommandation de l’UNESCO de 1974 concernant la condition
des chercheurs scientifiques, la Commission nationale française pour l’UNESCO
(CNFU) a organisé, le 8 septembre à Paris, un colloque organisé autour de 4
tables rondes afin de mettre en débat ses propositions d’amendement. Le
discours d’ouvertures de Christian Byk, président de la CNFU a présenté les
enjeux de cette révision, s’adapter aux évolutions du contexte socio-technique
anisi que de la sociologie (8 millions de chercheurs dans le monde), des
responsabilités et des pratiques des chercheurs. La première table ronde avait
pour thème « La science globale, un défi pour les chercheurs ». Elle
a rassemblé Ewa Bartnik, membre du comité de bioéthique de l’UNESCO (CIB),
Philippe Busquin, ex-commissaire européen chargé de la recherche scientifique,
Emmanuelle Rial-Sebbag, DR INSERM en droit de la santé et bioéthique. La
deuxième table ronde sur « La responsabilité sociale des chercheurs
scientifiques », a permis à Hervé Christofol, secrétaire général du SNESUP-FSU
de défendre nos amendements au coté de Jean-Yces Le Déaut, député, président de
l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, de Claude
Huriet, sénateur honoraire et de Vincent Grégoire Delory, directeur de l’école
supérieur d’éthique des sciences et de la santé. L’après midi, la 3ème
table ronde « la condition du chercheur » accueillait le secrétaire
général du SNCS, Stéphanie Lacour, juriste DR au CNRS, Pierre Léna, Pr à
l’université Paris-Diderot et Jean-François Cervel, conseiller auprès du
président de la CNFU. Enfin la 4ème table ronde « égalité et
accès à la (re)connaissance a rassemblé les allocutions de Damien Aftassi,
doctorant en droit privé à Paris 8, Mohamed Salah ben Ammar, vice-président du
CIB de l’UNESCO, Hervé Chneiweiss, DR CNRS, membre du CIB, Najla Fourati,
Maîtresse de conférences CNAM, David MacDonald, DGA de la fondation l’Oréal et
Salvator Arico, de l’UNESCO.

 

 

Table ronde



Contribution
du Snesup-FSU, Hervé Christofol, secrétaire général

 

Je tiens à
souligner que si les contextes scientifiques et géopolitiques ont changé depuis
1974, la charte conserve tout son intérêt et qu’il ne saurait question d’en
amoindrir la portée. Les répressions d’universitaires et de chercheu.rs.ses en
Turquie en Égypte, en Iran, le déclassement financier et social de leur statut
en France, les mesures coercitives à leur encontre de d’administration du
premier ministre canadien Stephen Harper démontre que la volonté de mettre au
pas le communauté scientifique pour des raisons idéologiques sont d’actualité.
Les instrumentalisations pseudo-scientifiques des multinationales du tabac, des
hydrocarbures ou de l’industrie pharmaceutiques pour introduire le doute,
discréditer les travaux de scientifiques et leur attenter des procès [Cf. le
concept d’agnotology de Robert
Proctor] visent à décourager des chercheu.rs.ses à se lancer dans des domaines
de recherche polémique [Cf: « Accusé chercheur, lever-vous » par Flaure
Sonya, in Libération, le 07/09/2016].

 

De plus, il est
curieux qu’à l’heure où l’injonction à l’excellence durable, le pilotage directif
de la recherche, la baisse des crédits publics, l’individualisation de
l’évaluation des chercheurs et le recours systématique à la bibliométrie, conduisent
les chercheu.rs.ses à se mettre en concurrence les un.e.s avec les autres et à
toujours travailler plus vite (comme cela sera souligné dans la table ronde sur
la condition des chercheurs), la préoccupation de la responsabilité sociale du
chercheur émerge et se positionne au même niveau que ces évolutions de leur
environnement qui poussent certain.e.s à faillir [« Une fraude
scientifique ébranle une grande université américaine » par Pierre
Barthélémy, Le monde , le 07/09/2016 ; ouvrage : Malscience – de
la fraude dans les labos, par Nicolas Chevassus-au-Louis, Science ouverte, 01/09/2016].

 

Cette
responsabilité sociale est réelle, il ne s’agit pas de l’amoindrir mais plutôt
de la revendiquer pour résister aux dérives managériales et à l’assujettissement
des esprits aux intérêts particuliers. Depuis une trentaine d’années, les industriels
et les États aux travers en particulier les recherches militaires ont
instrumentalisé la science au profit du développement d’une technosciences et
d’un marché « l’économie de la connaissance » (compétition des
équipes de recherche, secrets, brevets, innovations, licences d’exploitation, retour
sur investissement, …).

 

Face aux défis
environnementaux, sociaux, économiques, culturels, sanitaires ou techniques
auxquels l’humanité est confrontée, la recherche et les chercheurs ont une
responsabilité. Ils doivent prendre une place active dans l’information scientifique
des citoyens afin d’initier les changement de comportement et d’assoir les
décisions politiques relatives aux changements paradigmatiques ou techniques
souhaités dans le respect des règles démocratiques des États de droit.

 

Rappelons qu’à
travers la construction de connaissances nouvelles ils contribuent aux biens
communs de l’humanité et qu’en cela l’UNESCO est pleinement dans son rôle quand
elle émet ses recommandations.

 

3 grandes problématiques nous semblent
relevées de la responsabilité sociale des chercheurs :

  • Tout d’abord celle du périmètre ou
    de l’échelle sociale considérée. 
  • Ensuite celle de l’échelle de
    l’équipe de recherche ou de la communauté responsabilisées.
  • Enfin, celle de l’éthique et des
    pratiques relevant de la responsabilité professionnelle des chercheurs.

 
  

1.    
L’échelle sociale considérée (depuis l’intérêt général et la construction de biens
communs jusqu’aux l’intérêts particuliers et l’appropriation de la
connaissance)

 

Alors que l’Université a vocation à se référer à l’universalisme et à
faire progresser les connaissances, comme des biens communs de l’humanité, les
États, à travers leur mode de financement, la défense de leurs intérêts
stratégiques ou économiques peuvent avoir tendance à restreindre la portée des
apports de la recherche à leur seul bénéfice durant une période d’embargo plus
ou moins longue. De plus à l’heure où l’économie prend le pas sur le politique,
les États ont même tendance à restreindre les bénéfices sociaux aux innovations
transférées et valorisées par les entreprises ou des intérêts privés de la
communauté nationale. Aussi tout en relevant la nécessité de reconnaître les
travaux originaux des chercheurs, il nous apparaît important de rappeler la
primauté de l’intérêt social général sur les intérêts particuliers des États ou
des financeurs privés de la société civile.

 

2.    
L’échelle du groupe de
chercheurs responsabilisé

 

La recherche est une activité collective à plusieurs titres. Tout
d’abord elle se situe dans les travaux de communautés scientifiques en
bénéficiant des connaissances disciplinaires antérieures et en s’y situant. De
plus elle se développe au sein d’équipes dans des laboratoires qui assurent son
financement, fournissent des moyens matériels, des compétences diversifiées et
labellisent sa qualité. Aussi cette responsabilité doit-elle être déclinée prioritairement
au niveau des équipes de recherche, des laboratoires, des établissements, des
communautés disciplinaires et enfin au niveau de la communauté scientifique.

 

Ajoutons que dans le cadre de grands projets de recherche, les
activités sont segmentés et les responsabilités peuvent être diluées.

 

3.    
Les pratiques éthiques impactées

 

Celles-ci
peuvent se catégoriser suivant 4 niveaux :

 
a.    
les problématiques de recherche (finalités conforment au droit et aux besoins de
l’humanité ; indépendances des chercheurs)

 
b.    
les méthodes de recherche (/ respect de la santé humaine, / respect de la nature,
conformité aux démarches scientifiques)

 
c.     
la diffusion des résultats (en respectant les auteurs, sans omission ni manipulations, avec le
rayonnement adapté, en participant à la valorisation sociale des résultats dans
le monde politique et socio-économique ainsi qu’à l’étude des impacts socio,
environnementaux et économiques ce ces résultats comme nous y invite le principe
de précaution introduit dans la Constitution française)

 
d.    
les parties prenantes (nécessité d’une qualification –le niveau master ou le doctorat–, et
dénonciation des conflits d’intérêt)

 

Les propositions de la CNFU pour cette
table ronde :

  • proposer un serment universel du chercheur ;

  o   CONTRE : car un serment individualise la responsabilité sociale
dans un contexte ou la compétition tend à casser les coopérations. De plus, un
serment est partiel et ne peut englober les spécificités déontologiques de toutes
les disciplines.

 
o   PROPOSITION : que ce serment se décline en chartes adaptées aux
spécificités disciplinaires et que celles-ci soient adoptées par les
laboratoires labellisés, les sociétés savantes, les établissements ou leurs
tutelles et les communautés scientifiques.

 
 

  • insérer dans le cursus des études scientifiques une
    formation à l’éthique ;

  o   POUR : avec en complément ;

 
o   PROPOSITION : une formation à l’épistémologie des sciences, pour
comprendre les fondements des démarches scientifiques afin de ne pas les
appliquer comme des recettes que l’on peut adapter en fonction des
circonstances.

 
 

  •  veiller à la conformité des réseaux numérisés aux
    finalités scientifiques et à la protection des données ;

  o   POUR, afin de protéger les idividus et lutter contre la marchandisation
des données et connaissances

 
 

  • encourager  les
    initiatives de la société civile dans le domaine de la coopération entre
    scientifiques et non scientifiques afin d'assurer la continuité d'un débat
    public sur les enjeux de la science 
    et  de promouvoir la culture
    scientifique ;

 
 
o   POUR pour que nous parvenions à discuter des enjeux et des impactes des
activités scientifiques

 
 

  • instaurer un mécanisme reconnaissant aux chercheurs et
    aux citoyens la possibilité d'alerter, sans être pour cela, les autorités
    responsables sur de nouveaux risques de dommages.

 
 
o   POUR pour que nous puissions dénoncer les intérêts particuliers qui
s’opposeraient à l’intérêt général des citoyens

 

Pour terminer,
j’ajouterai que comme dans toute organisation complexe, toute action implique
et induit une réaction et que face à l’exigence de qualification et de
responsabilité sociale des chercheurs il faut également mettre en place une
relation de confiance, de bienveillance, de fourniture de moyens de la part des
tutelles et de remise en cause des politiques productivistes comme le
management par appel à projets concurrentiels. Mais c’est l’objet de la
prochaine table ronde. Merci de votre attention.

 

Contribution du SNESUP-FSU.pdf (Adobe Acrobat 168.57 kb)