Garantir les retraites par d’autres financements

Publié le : 21/05/2010

 

Garantir les retraites par d'autres financements

D'ici 2050, il
faudrait consentir à un effort de 5 points du PIB, lequel aura doublé
en quarante ans. C'est parfaitement possible grâce à un partage plus
juste des richesses.

par Pierre Duharcourt, membre du conseil
économique, social et environnemental national

 

 

Face à l'offensive du gouvernement et du patronat pour poursuivre et aggraver la remise en cause des retraites, nous devons avancer pour les catégories que nous représentons des revendications cohérentes avec celles de toutes les catégories de salariés: maintien du droit à partir à 60 ans, pension égale à 75 % du salaire en revenant à une durée de cotisation de 37,5 ans pour un taux plein, maintien - pour les fonctionnaires - du calcul sur les six derniers mois (1) , indexation des pensions sur les traitements eux-mêmes indexés sur les prix, suppression de la décote, prise en compte du travail effectué pendant les années de doctorat et de recherche post-doctorales (2).


L'harmonisation nécessaire des droits à la retraite, ?xant un cadre collectif commun respectant la pluralité des régimes tout en comptabilisant de manière uni?ée les droits acquis à travers la diversité des périodes d'activité ou d'inactivité forcée, et permettant une variété de choix individuels (notamment dans la progressivité du passage de la pleine activité à la retraite), ne passe pas par des systèmes à la carte ou aléatoires - du type «comptes notionnels» ou «comptes par points». Elle doit reposer sur la garantie d'un taux de remplacement de base de 75% (avec des majorations pour les pensions les plus faibles, s'ajoutant aux «avantages» familiaux ou à des boni?cations liées par exemple à la pénibilité).

Les travaux mystificateurs du COR

La création du COR (Conseil d'orientation des retraites) a pu sembler positive en ce sens qu'elle établissait sur la question sensible des retraites un lieu de concertation avec les partenaires sociaux. Mais très rapidement, cette instance a subi de graves dérives.
D'une part, au lieu de chercher à établir un diagnostic partagé et un véritable dialogue sur les solutions envisageables, elle s'est transformée en enceinte de test des projets gouvernementaux. D'autre part, elle s'est embarquée dans une approche technocratique visant - sous prétexte d'explorer de nouvelles modalités techniques de calcul -à bouleverser la nature même des régimes de retraite; par ailleurs, elle s'est enfoncée dans une conception totalement biaisée de la ré?exion prospective.

S'agissant de problèmes de long terme comme l'organisation du système de retraite et la solidarité intergénérationnelle, il est évident qu'une prospective est nécessaire.
Mais un tel travail ne saurait se limiter à faire des extrapolations linéaires qui prétendent «prédire l'avenir» à un horizon de quarante ou cinquante ans en faisant totalement l'impasse sur les évolutions systémiques qui bouleversent l'ensemble de la société.
Comme la plupart des «expertises», les travaux antérieurs du COR n'avaient rien vu venir de la crise. On aurait pu attendre donc plus de modestie dans l'élaboration de scénarios pour le futur. Ce que retient le rapport remis le 14 avril 2010 (consultable sur le site de ce conseil), ce sont des chiffres catastrophes dramatisant les effets de la crise, balancés dans le désordre en mélangeant l'avenir proche et l'horizon plus lointain, et dont la présentation trompe l'opinion par le rapprochement de chiffres qui n'ont aucun rapport entre eux : ainsi on avance un chiffre cumulant la totalité des dé?cits
d'ici 2050 (2600milliards), que l'on compare à des recettes d'impôt ou au PIB de la seule année 2010.

Quel financement?

Si on veut comparer ce qui est comparable, il faut retenir que la crise a diminué les res- sources et pèse dans l'immédiat sur la croissance potentielle, créant ainsi un «besoin de ?nancement» à l'horizon 2015 de 40milliards d'euros, soit 1,8% du PIB actuel. Ce chiffre, qui est lié à cette période d'éclatement de la crise, n'est en rien dramatique: il est à comparer par exemple à l'augmentation de 3% du PIB du dé?cit public en 2009 et en 2010 pour faire face à la crise, dû à une politique qui a donné la priorité aux mesures favorables aux banques et aux entreprises. De toute manière, la sortie de crise et le dégon?ement de la dette publique supposent un relèvement des prélèvements obligatoires, à commencer par la suppression notamment du «bouclier ?scal» et autres cadeaux mis en place par N.Sarkozy au début de son septennat et par la remise en cause des «niches» fiscales et sociales (3) .

Différente de cette «gestion de crise» est la question de l'équilibre à plus long terme des retraites. À cet horizon plus lointain, les travaux du COR font l'impasse sur les changements structurels envisageables et se cantonnent à des extrapolations purement comptables qui reposent sur des hypothèses particulièrement pessimistes aboutissant à gon?er au maximum les besoins de ?nancement. Ce n'est pas tant l'hypothèse de croissance modérée de la productivité (de 1,5% à 1,8% par an) qu'il faut contester: la crise a mis en évidence l‘exigence d'un autre mode de développement plus juste et plus durable qui peut conduire à une évolution de cet ordre (4) . Ce qui est le plus contestable est la résignation à un taux de chômage élevé (de 4,5 à 7%) et l'impasse faite sur l'apport de l'immigration, qui se conjuguent pour minorer la proportion entre actifs au travail et retraités («ratio de cotisants»). Ces travaux par ailleurs se gardent bien de souligner que le relèvement du taux de natalité allège le «poids» des retraites en France par rapport à d'autres pays.

Les projections du COR majorent donc les besoins nouveaux de financement des retraites - toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire en appliquant les «réformes» déjà mises en œuvre : 2 points de PIB en 2020 et 3 points de PIB pour 2050. Si l'on veut toutefois revenir aux taux de remplacement d'avant ces réformes, et également satisfaire les dépenses de santé résultant du vieillissement de la population, c'est en gros d'ici 2050 à un effort de 5 points de PIB (lequel dans l'intervalle aura doublé) qu'il faudrait consentir, inférieur à celui qui a déjà réalisé antérieurement pour faire face aux changements démographiques. Cet effort n'est que la conséquence logique du progrès social que représente l'amélioration des conditions sanitaires et de l'espérance de vie.
Cela est parfaitement possible en pesant sur le partage des richesses de façon à redresser la part des revenus salariaux (comprenant les retraites) dans la valeur ajoutée et en augmentant les moyens obtenus par les prélèvements sociaux : augmentation du taux avec modulation de la cotisation patronale
pour favoriser l'emploi et les salaires, mise en cause des exonérations de cotisations sociales, contribution des revenus du travail et du capital qui échappent à la solidarité.
Ces mesures sont parfaitement compatibles avec un développement économique garantissant en même temps l'emploi, les revenus nets, les prestations rendues par les services publics et les investissements productifs.

  

(1) Ce mode de calcul spéci?que (qui est associé à la revendication du retour aux dix meilleures années pour le privé) s'explique par les particularités de l'évolution des rémunérations dans la fonction publique, qui augmentent avec l'ancienneté, alors que le pic est atteint aux alentours de la cinquantaine dans le secteur privé.

(2) Voir l'article de M. Brissaud pour l'ensemble des questions relatives aux activités avant titu- larisation, y compris les années de formation.

(3) Cf. l'avis de conjoncture présenté par l'auteur de ces lignes au Conseil économique, social et environnemental en 2009, et son compte rendu dans Le SNESUP n°576 de juin 2009.

(4) Concernant la «productivité apparente» du travail, dans les standards actuels de mesure du produit, qui se basent sur la référence contestable du PIB comme indicateur du bien-être.