Publié le : 04/10/2003

Le ministre n'aime pas les femmes




Les dispositions de la loi du 21 août 2003, combattue par des milliers de fonctionnaires et de travailleurs du secteur privé, visant à l'allongement de la durée de travail et à l'abaissement des retraites, sont bien connues. Beaucoup ont été en revanche surpris de découvrir un autre aspect de cette loi: une attaque violente envers les femmes, et les acquis sociaux dont celles-ci disposaient jusqu'ici en matière de retraites. Cette fiche rassemble les différentes dispositions de la nouvelle rédaction du Code des Pensions concernant les femmes.

Ces dispositions doivent encore être précisées dans des décrets d'application dont la sortie est attendue fin 2003. Les paragraphes qui suivent seront réactualisés lors de la sortie de ces décrets.

Plan de cette fiche:

L'âge de départ


L'article L24 du code des pensions, modifié dans sa rédaction, ne change pas le droit de départ avec liquidation immédiate pour les femmes mères de trois enfants ou d'un enfant handicapé après quinze années de services:

La liquidation de la pension intervient :

[...]

3º Pour les femmes fonctionnaires lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou d'un enfant vivant âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 p. 100.

Sont assimilés aux enfants visés à l'alinéa précédent

  • Les enfants légitimes, les enfants naturels dont la filiation est établie et les enfants adoptifs du titulaire de la pension ;
  • Les enfants du conjoint issus d'un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants adoptifs ;
  • Les enfants ayant fait l'objet d'une délégation de l'autorité parentale en faveur du titulaire de la pension ou de son conjoint ;
  • Les enfants placés sous tutelle du titulaire de la pension ou de son conjoint, lorsque la tutelle s'accompagne de la garde effective et permanente de l'enfant ;
  • Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, en avoir assumé la charge effective et permanente.

A l'exception des enfants décédés par faits de guerre, les enfants devront avoir été élevés pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être à charge.

Si cette disposition n'a pas changé, trois circonstances en modifient considérablement la portée et fragilisent cette disposition du code des pensions:

  • L'extension de ce bénéfice aux pères de trois enfants, réclamée par certains intéressés, n'a pas été introduite dans la loi, malgré une position européenne favorable sous prétexte d'égalité des sexes. Ils restent donc contraints à recourir en tribunal administratif, où des recours ont déjà abouti.
  • L'allongement de la durée d'assurance, la mise en place du système de décote qui est applicables aux bénéficiaires de cet article, et la suppression des bonifications pour enfants annulent pratiquement pour les jeunes collègues la possibilité de bénéficier de cette disposition sans une très importante diminution de leur pension.
  • L'ouverture du droit à pension dès qu'elles ont 15 ans de services met les collègues mères de trois enfants plus âgées à l'abri des dispositions négatives de la loi Fillon. En effet la mise en place progressive de cette loi se base pour chaque collègue sur l'année d'ouverture de ses droits à pension. Ainsi, une collègue dont les droits sont ouverts avant le 31-12-2003 n'est concernée ni par l'allongement de la durée d'assurance, ni par la décote. On pourra juger dans les exemples proposés plus bas de la situation d'inégalité profonde engendrée par ce dispositif.

A la différence du cas des mères de trois enfants, le cas des collègues handicapés a été étendu des femmes à l'ensemble des collègues femmes ou hommes dans la nouvelle rédaction de l'article L24 du code des pensions:

La liquidation de la pension intervient :

[...]

4º Lorsque le fonctionnaire ou son conjoint est atteint d'une infirmité ou d'une maladie incurable le plaçant dans l'impossibilité d'exercer une quelconque profession, dans les conditions prévues à l'article L. 31 et sous réserve que le fonctionnaire ait accompli au moins quinze ans de services.

L'article L31 précise que la réalité et le taux d'invalidité sont appréciés par une commission de réforme, la décision appartenant au ministre dont relève l'agent et au ministre des finances.

Bonifications, congés et temps partiels


L'article L21 du code des pensions est consacré aux bonifications, c'est-à-dire aux majorations de la durée des services accordées aux collègues dans certaines situations. Cet article a été modifié par la loi uniquement en ce qui concerne la bonification d'un an par enfant. Celle-ci est tout bonnement supprimée pour les enfants nés après le 1-1-2004. Toutefois, dans le débat parlementaire, a été réintroduite pour ces enfants une disposition remplaçant la bonification par une majoration, non pas de la durée des services, mais de la durée d'assurance, qui se limite à 6 mois. Pour tous les enfants, leur prise en compte pour l'un ou l'autre dispositif est assortie de conditions concernant les circonstances de leur naissance. Il y a donc désormais quatre cas de figure:

Enfants non pris en compte

Ces enfants sont exclus par la nouvelle rédaction du code des pensions, introduite par la loi Fillon, du bénéfice des trois dispositions suivantes. Ils ne sont donc comptabilisés que pour l'ouverture du droit à pension, et pour la majoration de la pension. Il s'agit des cas suivants:

  • Les enfants nés ou adoptés avant le 31-12-2003, n'ayant pas occasionné une interruption des activités de l'intéressé. Sont ainsi exclus les enfants nés avant le recrutement des fonctionnaires. Toutefois, une exception est accordée aux femmes ayant accouché pendant leurs études, sous des conditions à lire ci-dessous.
  • Les enfants nés après le 1-1-2004, si ce ne sont pas des enfants légitimes ou naturels.
  • Les enfants nés après le 1-1-2004, dont la naissance a eu lieu avant le recrutement de la femme fonctionnaire, et n'ayant pas occasionné un congé parental, un congé de présence parental ou un temps partiel de droit.
  • Les enfants adoptés après le 1-1-2004 n'ayant pas occasionné un congé parental, un congé de présence parental ou un temps partiel de droit.
Enfants ouvrant droit à une bonification

Cette disposition (article L12b du code des pensions) concerne uniquement les enfants nés ou adoptés avant le 31-12-2003. Une bonification d'un an est accordée à la mère (ou au père), pourvu que l'intéressé(e) ait interrompu son activité dans des conditions fixées par décret.



Cette bonification vient s'ajouter à la durée de services (les "annuités liquidables"). Elle est donc aussi comptée dans la durée d'assurance, mais n'intervient pas dans l'établissement du droit à pension.

L'article L12b bis du code ouvre le droit à la bonification aux femmes ayant accouché au cours de leurs années d'études antérieurement à leur recrutement dans la fonction publique, sans que leur soit opposée la condition d'interruption d'activité. Mais il faut que le recrutement soit intervenu dans un délai de 2 ans après le diplôme nécessaire pour se présenter au concours.

La rédaction du décret d'application est cruciale concernant l'article L12b. Au moment où cette page est rédigée, le projet de décret présenté par le ministère est très mauvais, aggravant encore la loi: il stipule en effet que l'interruption d'activité, dont il fixe la durée à 2 mois minimum, doit intervenir dans le cadre d'un congé de maternité, congé d'adoption, congé parental ou congé de présence parentale de la fonction publique. Ainsi là où la loi impliquait seulement le fait d'avoir déjà une activité (fonctionnaire ou non) le décret veut imposer le statut de fonctionnaire, excluant de fait de nombreux collègues dont le début de carrière -en particulier dans le supérieur- a consisté en une série d'emplois précaires.

Le SNESUP demande que la bonification soit appliquée, que l'intéressé ait été titulaire, agent non titulaire ou salarié du privé.

Enfants ouvrant droit à une majoration de la durée d'assurance

Cette disposition (article L12 bis) concerne uniquement les enfants nés après le 1-1-2004. Elle est accordée à la mère fonctionnaire, pourvu que celle-ci ait accouché postérieurement à son recrutement. Par ailleurs, elle ne peut pas se cumuler avec la prise en compte pour une durée de congé ou de temps partiel décrite plus bas si celle-ci est supérieure ou égale à 6 mois.

Elle consiste en une majoration de deux trimestres de la durée d'assurance. En revanche, elle n'augmente pas la durée de services, et n'intervient pas dans le droit à pension.

Très en recul par rapport au dispositif prévalant jusqu'en 2003, laissant hors du calcul tous les enfants nés avant le recrutement, on peut aussi remarquer que cette disposition est loin de la majoration de deux ans accordée dans le régime général.

Enfants pris en compte pour une durée de congé ou de temps partiel

Cette disposition (article L9) concerne uniquement les enfants nés après le 1-1-2004. Elle ne s'applique pas aux enfants autres que légitimes, naturels ou adoptés. Elle concerne:

  • un temps partiel de droit pour élever un enfant ;
  • un congé parental ;
  • un congé de présence parentale ;
  • ou une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.

Le temps passé dans l'une de ces positions statutaires entre dans le calcul du droit à pension dans la limite de trois ans par enfant. Il entre aussi dans le calcul de la durée de services et de la durée d'assurance.

Ceci introduit une amélioration intéressante dans le cas des congés ou disponibilités. En revanche, le temps partiel étant déjà pris en compte comme un temps complet pour la durée d'assurance, les intéressées sont désavantagées par l'exclusion entre le bénéfice de cette mesure qui leur apporte très peu, et la majoration de la durée d'assurance. La perte par comparaison avec la situation d'avant 2003 est très lourde.

A noter que cette disposition, pour laquelle subsistent des ambiguïtés, doit être précisée par un décret d'application.

En dehors des temps partiels de plein droit mentionnés ci-dessus, les autres périodes à temps partiel sont comptabilisées en proportion de la quotité de service pour le calcul de la durée de services. En revanche, elles sont comptées comme des temps pleins pour le calcul du droit à pension, et celui de la durée d'assurance.

Majoration de la pension


Une majoration de pension est accordée aux titulaires, femmes ou hommes, ayant élevé au moins trois enfants (article L18 du code, inchangé par la loi Fillon). Elle est de 10% pour 3 enfants, plus 5% par enfant supplémentaire. Elle est plafonnée de sorte que la pension ne peut dépasser le traitement brut d'activité pris en compte pour le calcul de la pension.

Ouvrent droit à cette majoration:

  • Les enfants légitimes, les enfants naturels dont la filiation est établie et les enfants adoptifs du titulaire de la pension ;
  • Les enfants du conjoint issus d'un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants adoptifs ;
  • Les enfants ayant fait l'objet d'une délégation de l'autorité parentale en faveur du titulaire de la pension ou de son conjoint ;
  • Les enfants placés sous tutelle du titulaire de la pension ou de son conjoint, lorsque la tutelle s'accompagne de la garde effective et permanente de l'enfant ;
  • Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, en avoir assumé la charge effective et permanente.

A l'exception des enfants décédés par faits de guerre, les enfants devront avoir été élevés pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être à charge.

Si cette condition n'est pas remplie au moment du départ en retraite, le bénéfice de la majoration ne sera accordé qu'au moment où la condition sera effectivement remplie.

Exemple:

Un fonctionnaire adopte lors de son 55ème anniversaire un troisième enfant de 5 ans. Il part en retraite à 60 ans. Il touchera la majoration de 10% quand l'enfant aura 16 ans, c'est-à-dire 6 ans après sa retraite.

Quelques exemples


Les trois premiers exemples ci-dessous, montrent des carrières rigoureusement identiques, seulement décalées chronologiquement. Ils illustrent l'inégalité de traitement apportée par la loi Fillon. Un dernier exemple permet de comparer le cas des femmes ayant plus ou moins de 3 enfants.

A noter que les règles appliquées sont celles énoncées dans la loi telle que rédigée au 21 août 2003: il est prévu une réactualisation des règles en 2008, 20012 et 2016, pouvant aggraver les chiffres obtenus ci-dessous.

Exemple 1:



Pamina, recrutée en 1980, mère de trois enfants nés en 1985, 1988 et 1990, a pris un temps partiel à 50% pendant 5 ans après la naissance de son deuxième enfant; le reste de sa carrière, s'est déroulé à temps plein. Elle prend sa retraite à 55 ans en 2005.

Ses enfants, nés avant 2003, lui valent chacun une bonification d'un an, soit en tout 12 trimestres. De plus, avec 3 enfants, elle bénéficie de la majoration de pension de 10%.



Son droit à retraite a été acquis dès 1995 (15 ans de services),donc avant 2003: elle n'est assujettie à aucune décote,
et le taux plein correspond pour elle à 150 trimestres (37,5 ans).



A son départ Pamina totalise une durée de services de 102 trimestres
(20 ans à temps complet, 5 ans à mi-temps, 3 ans de bonification).



Sa pension sera égale à:

75%×102/150 = 51%   majoré de 10%, soit   56,1%    de son salaire de référence.

Exemple 2:



Carmen, recrutée en 1995, mère de trois enfants nés en 2000, 2003 et 2005, a pris un temps partiel à 50% pendant 5 ans après la naissance de son deuxième enfant; le reste de sa carrière, s'est déroulé à temps plein. Elle prend sa retraite à 55 ans en 2020.

Ses deux enfants, nés avant 2003, lui valent chacun une bonification d'un an, soit 8 trimestres. Son troisième enfant a occasionné un temps partiel de droit pendant trois ans, qui sera compté à temps plein. (Ceci n'est pas le cas pour son premier enfant, les deux ans de temps partiel correspondantes restant comptées à mi-temps). De plus, avec 3 enfants, elle bénéficie de la majoration de pension de 10%.



Son droit à retraite a été acquis en 2010 (15 ans de services): elle est assujettie à une décote de 0,625% par trimestre manquant, avec un maximum de 10 trimestres de décote,
et le taux plein correspond pour elle à 162 trimestres (40,5 ans).



A son départ Carmen totalise une durée de services de 104 trimestres
(20 ans à temps complet,3 ans à mi-temps compté temps complet, 2 ans à mi-temps, 2 ans de bonification).



Sa durée d'assurance est de 108 trimestres (20 ans à temps complet,5 ans à mi-temps compté temps complet, et 2 ans de bonification). Il lui manque donc 54 trimestres valant une décote de 0.625×10 = 6,25%



Sa pension sera égale à:

75%×104/162 = 48,15%   avec une décote de 6,25% puis une majoration de 10%, soit   49,65%    de son salaire de référence.

Exemple 3:



Aïda, recrutée en 2000, mère de trois enfants nés en 2005, 2008 et 2010, a pris un temps partiel à 50% pendant 5 ans après la naissance de son deuxième enfant; le reste de sa carrière, s'est déroulé à temps plein. Elle prend sa retraite à 55 ans en 2025.

Ses enfants, nés après 2004, ne lui valent aucune bonification. L'aîné, né après le recrutement d'Aïda, lui vaut une majoration de sa durée d'assurance de 6 mois. Les autres enfants ont occasionné un temps partiel de droit pendant cinq ans, qui sera compté à temps plein. De plus, avec 3 enfants, elle bénéficie de la majoration de pension de 10%.



Son droit à retraite a été acquis en 2015 (15 ans de services): elle est assujettie à une décote de 1.25% par trimestre manquant, avec un maximum de 15 trimestres de décote,
et le taux plein correspond pour elle à 164 trimestres (41 ans).



A son départ Aïda totalise une durée de services de 100 trimestres
(20 ans à temps complet,5 ans à mi-temps compté temps complet).



Sa durée d'assurance est de 102 trimestres (20 ans à temps complet,5 ans à mi-temps compté temps complet, et 2 trimestres de majoration). Il lui manque donc 62 trimestres valant une décote de 1,25×15 = 18,75%



Sa pension sera égale à:

75%×100/164 = 45,73%   avec une décote de 18,75% puis une majoration de 10%, soit   40,87%    de son salaire de référence.

Exemple 4:



Iseult, recrutée en 2000 comme Aïda, mère de deux enfants nés en 2005 et 2008, après une carrière entière à temps plein, peut prendre sa retraite au plus tôt à 60 ans en 2030.

Ses enfants, nés après 2004, ne lui valent aucune bonification, mais une majoration de la durée d'assurance de 6 mois par enfant.



Son droit à retraite est acquis après 2020: elle est assujettie à une décote de 1.25% par trimestre manquant, avec un maximum de 20 trimestres de décote,
et le taux plein correspond pour elle à 164 trimestres (41 ans).



A son départ Iseult totalise une durée de services de 120 trimestres
(30 ans à temps complet).



Sa durée d'assurance est de 124 trimestres (30 ans à temps complet, et 4 trimestres de majoration). Il lui manque donc 40 trimestres valant une décote de 1,25×20 = 25%



Sa pension sera égale à:

75%×140/164 = 54,88%   avec une décote de 25%, soit   41,16%    de son salaire de référence.




Si sa collègue Aïda avait elle-aussi continué jusqu'à 60 ans, sa pension aurait atteint:

75%×120/164 = 54,88%   avec une décote de 18,75% puis une majoration de 10%, soit   49,05%    de son salaire de référence.