F. Tell : LMD

Publié le : 03/12/2003

LMD amendable
mais modernisation non ? (02/12/2003)



article paru sur notre forum



par Fabien Tell Maître de Conférences en Neurosciences
Secrétaire du snes-up-FSU de la faculté de Saint-Jérôme
Membre élu du comité national du CNRS)


Réformes de l'université: Une nécessité technique
apolitique?

NDLR : Le webmestre a pris la liberté de mettre en relief
certains mots du texte pour aider à la lecture à l'écran

Les projets actuels de réforme des cursus universitaires, qui
inquiètent, non sans raison, les étudiants
et une partie
des agents universitaires s'inscrivent dans un projet plus vaste de «
libéralisation » des services publics (voir C. Laval, Le nouvel
ordre éducatif mondial). Sur ce point, les déclarations du doyen
de la faculté d'économie d'Aix (La Marseillaise, 29/11) sont tout
à fait justifiées; la mise en place du LMD ne date pas du gouvernement
Rafarin. Pour autant cela n'est pas un argument pour les accepter et encore
moins pour refuser de voir leur contenu idéologique libéral.

Historiquement, ces réformes suivent les recommandations
d'un rapport demandé par ALLEGRE et coordonné par Jacques ATTALI
et intitulé : Pour un modèle européen d'enseignement supérieur
(1998)1.

Les auteurs de ce rapport gagnent véritablement à
être connus: Pascal Brandys (PDG de Genset), Serge Feneuille (Conseiller
de LAFARGE), Michel-Edouard Leclerc (PDG de GALEC), Colette Lewinner (PDG),
Francis MER (PDG USINOR et actuel Ministre de l'économie), Jérôme
MONOD (Président de Suez-Lyonnaise et actuel conseiller de J CHIRAC)
et de six personnalités scientifiques
. A l'évidence,
leur projet n'était pas socialiste...2

Dans ce rapport, on lisait que : « La mondialisation de l'économie
de marché, fort bénéfique dans de nombreux secteurs de
l'économie, n'a pas touché l'enseignement supérieur français
» Plus loin : « Dans toutes les disciplines, une
culture entrepreneuriale, valorisant le sens et le goût du risque devra
être développée et encouragée dès le lycée
».

On reste stupéfait devant ces déclarations qui
ordonnent au service public d'enseignement d'enseigner à nos
enfants la vision politique du MEDEF
. En d'autres temps et pour d'autres
pays cela aurait été dénoncé comme étant
de l'endoctrinement idéologique digne d'une société totalitaire.
Les enseignants comme nouveaux gardes rouges? Alors que nous
défendons la laïcité en dénonçant le port du
voile, nous acceptons comme naturel que l'idéologie libérale soit
enseignée à l'université.

Partant sur ces bases, le projet proposait ensuite la réforme
des cursus universitaires mis en place par Jack Lang (LMD) et la réforme
de la gestion de l'université mis en place par Luc Ferry . Ce
rappel permet de comprendre le faux débat actuel
entre ceux
qui seraient contre la politique Ferry mais qui soutiendraient les réformes
du LMD et ceux qui rejettent tout en bloc3.

On ne peut pas être à moitié contre les réformes
tant la logique libérale qui les habite leur est commune. Défendre
le projet Lang (LMD) contre le projet Ferry n'a pas de sens, les deux projets
sont tout à fait cohérents entre eux et issus du rapport ATTALI.


Accepter le LMD, c'est mettre en place un fonctionnement qui
inévitablement amènera à l'adoption du projet Ferry.
Il faut rappeler que, le plus souvent, la mise en place de réformes
ne fait que « légaliser » des pratiques déjà
existantes
, une fois que les esprits sont suffisamment assoupis4.

Sur le fond, la réforme du LMD vise à mettre
en concurrence les universités à travers leurs
diplômes et vise donc à mettre en concurrence les étudiants
sur le marché du travail
pour faire baisser les salaires. Ce
n'est pas nouveau mais avant la valeur d'un diplôme était peu discuté
et donnait à la personne qui le détenait une certaine garantie
au niveau du salaire. Avec le LMD, chaque université pourra définir
le contenu des diplômes en fonction de ses besoins (par exemple pour attirer
des capitaux privés) et de ce que les enseignants et chercheurs de cette
université pensent intéressant5. Ainsi le contenu
des diplômes pourra refléter, à terme, plus les besoins
immédiats des laboratoires de recherche ou des entreprises locales que
l'état actuel des savoirs.

A chaque réforme, les enseignants du supérieur
(y compris l'auteur) appliquent consciencieusement les directives
ministérielles sans vraiment en discuter le contenu et les conséquences
(d'ailleurs on ne leur demande pas). Cela peut expliquer leur actuelle
réticence
à dénoncer le LMD car cela signifierait
faire une croix sur tout le travail que certains ont fait en amont pour appliquer
cette réforme. Si il semble clair que certains enseignants appliquent
la réforme en toute connaissance de cause (et de conséquence!!)
agissant ainsi en fonction de l'intérêt bien compris 6,
nous devrions essayer de discerner si notre bonne volonté à essayer
d'en gommer (sincèrement) les aspects les plus négatifs sans toutefois
le (et se) remettre en cause n'est pas, malgré nous, une soumission à
l'idéologie libérale7.

Le vieil adage rappelle qu'on ne scie pas longtemps la branche sur laquelle
on est assis.

Même si le film « l'auberge espagnole » a eu un succès
auprès de la jeunesse, il faut rappeler que pour être mobile il
faut des moyens financiers.
L'enjeu de la mobilité c'est la
vente des diplômes aux pays européens ou non européens dont
le système universitaire n'est pas assez développé dans
certains domaines. On passe d'un logique de coopération à une
logique commerciale visant à former les élites mondiales pour
assurer la pérennité du système économique libéral.
Dans ce contexte dire que les droits d'inscriptions n'augmenteront pas
relève au mieux de l'aveuglement et au pire du mensonge.


Les étudiants français et européens n'ont rien à
attendre de bon des ses réformes. Ils doivent résister à
la propagande actuelle
et demander la mise en place d'une véritable
politique de l'enseignement supérieur avec des moyens financiers crédibles
(actuellement, dans certains enseignements nous n'avons même pas assez
chaises!) et du personnel qualifié (actuellement 20 % des enseignants
sont des personnes à statut précaire qui n'ont pas objectivement
le temps ni les moyens de réfléchir sur leur enseignement), des
vrais diplômes aux contenus communs et de de haut niveau reconnus par
le droit du travail et enfin de nouvelles pratiques pédagogiques (ex:
travail en petits groupes au lieu des archaïques cours magistraux, de véritables
travaux pratiques plutôt que des démonstrations devant 20 étudiants,
de véritables bibliothèques, l'enseignement de la pensée
critique, le soutien pédagogique aux plus défavorisés8).

En conclusion, au delà des querelles ou des postures (impostures
?) politiciennes, nous devons nous poser la question de savoir si l'enseignement
doit rester un service public au service de tous les citoyens ou une entreprise
publique délivrant des services au plus offrant.

1 Disponible à http://www.education.gouv.fr/forum/attali.htm
2 Citation d'un célèbre enseignant de la fin
du XXéme siècle qui disait aussi: Non à la société
de marché mais oui à l'économie de marché. ou aussi
: lui c'est lui et moi c'est moi.
3.Sans polémiquer stérilement, on retrouve néanmoins
une division similaire à celle observée sur le dossier des retraites
ou de la réforme de la sécurité sociale par Juppé
en 1995.
4.Cet argument peut-être contre productif. En effet,
cela fait quelques années que les enseignements délivrés
par les universités malgré les procédures d'habilitations
se sont différenciés d'une université à l'autre
voire d'un campus à l'autre. Ce glissement peut-être d'ailleurs
revendiqué comme positif par bon nombre d'enseignants. Enfin la logique
du : « c'est déjà comme ça » est très
puissante.
5.Comme nous le savons, ce qu'il ya de plus important en Science
c'est ce sur quoi nous travaillons...
6.espoir de postes, de promotions locales ou plus simplement
pour être bien vu par leur président ce qui, dans l'optique des
projets clientélistes en cours deviendra obligatoire, si l'on veut par
exemple défendre un laboratoire ou une discipline.
7. La aussi, il faut reconnaître que chaque discipline
pour survivre se doit d'attirer un maximum d'étudiants dans ses filières.
Elle est donc « obligée » de faire dès le DEUG une
politique de « marketing » afin de rendre sa filière attractive
(sexy) et pas trop exigeante. Au niveau du second cycle, la tendance actuelle
est donc non pas de sélectionner sur dossier les « meilleurs »
étudiants mais d'en prendre le plus possible venant d'horizons les plus
divers. Il en résulte que le contenu de cours se généralise
et s'appauvrit si on veut éviter un échec trop important se privant
ainsi d'étudiants pour les années d'après et surtout pour
les DEA. Bien sûr le LMD va entériner cela et l'amplifiera. Le
plus simple en effet d'avoir des mastères à 40 ou 60 étudiants
sera de littéralement « donner » (vendre?) la licence au
plus grand nombre. Je crois que les chercheurs avides d'étudiants en
thèse n'ont pas apprécié ce problème à sa
juste valeur.
8.Il ne s'agit pas de stigmatiser les enfants issus des milieux
défavorisés en créant des sites de relégation universitaire.
Cependant soit on reste sur le mythe de l'égalité des chances
en fonction des qualités et des désirs individuels (dont le projet
ATTALI est « farci ») soit on redécouvre que l'environnement
social, économique et culturel a une fâcheuse tendance à
déterminer la réussite scolaire.