Entrevue Comparini

Publié le 25 décembre 2002

Décentralisation : imposture sur les moyens !

Vendredi 29 novembre, la FSU Rhône-Alpes était reçue par la Présidente de la région, Mme Anne-Marie Comparini. Au menu, une heure et demi assez instructive sur la décentralisation, suivi d'une prolongation consistante avec le directeur de cabinet de la région.
En italique, des citations de l'exécutif régional.


Décentralisation tranquille ?

Jacques Avellan introduisit le débat du point de vue de la FSU.

La question première n'est pas celle de la décentralisation, mais bien celle du désengagement de l'Etat.
En particulier, le débat entre local et national est-il pertinent alors qu'à ces deux niveaux, ce sont les mêmes orientations politiques qui sont mises en oeuvre ? Comment croire que des élus qui refusent les moyens au service public au niveau national les accorderaient au niveau local ?

La méthode pose problème tant par la précipitation du calendrier (les 100 jours ! ) que par son caractère peu démocratique : en témoigne par exemple la difficulté de faire vivre le débat au sein du Conseil Académique de l'Education Nationale. Elle entretient aussi un flou, qui cantonne les personnels dans le doute. La FSU, forte de sa représentativité, porte des exigences élevées pour les politiques nationales et régionales. Le bilan de la décentralisation reste à faire et la première étape réalisée amène de profondes réserves. L'expérience du primaire, par exemple, montre de très grandes inégalités dans l'investissement éducatif des différentes collectivités locales.

Jacques Avellan pose ensuite les premières questions : "Que voulez-vous faire en tant qu'élue régionale ? en tant que responsable politique ? Que revendiquez-vous ?".

Mme Comparini répond qu'elle ne revendique rien, et en tout cas aucun pouvoir (NDLR : la question se posait donc ?).
Elle présente ensuite la réforme de la décentralisation comme une question de bon sens, un projet tranquille : "La décentralisation : plus lisible, plus facile à gérer !", "Actuellement, tout le monde fait tout, mais moins bien", "Il faut redessiner les compétences de chacun", "C'est la collectivité qui fait mieux qui aura ! ". Quelques aspérités affleurent cependant dans ce discours lissé : "La décentralisation ne réussira que s'il y a réforme de l'État !", "Sans réforme de la fiscalité, on va tuer une belle idée.", "Il n'y a pas de rivalité entre collectivités".

La Présidente se fait alors plus précise sur le positionnement de la Région Rhône-Alpes. Depuis juillet, la Région a regardé ce qu'elle avait déjà fait (compétences actuelles + "compétences volontaires" (sic)) et elle s'aperçoit qu'elle a un cœur de métier : la formation et l'économie. Elle restera donc dans ce cadre.

Le discours d'une gestion "en bon père de famille" (sic) peut alors reprendre en déroulant les conséquences d'une décentralisation qui ne peut rester à mi-chemin.
Ainsi la décentralisation des locaux (acquise pour les lycées) a amené la région hier à dialoguer avec les équipes éducatives ("cela nous a montré que vous êtes capables d'évoluer" (sic)), et aujourd'hui à revendiquer la maintenance (locaux et informatique) et par extension tout le fonctionnement des lycées : "Quand on dépense tant en construction, on l'entretient bien !", "Nous demandons à l'État : y a t'il le personnel pour maintenir ce million de m2 supplémentaires ?". Elle évoque au passage 3 scénarii différents pour les personnels IATOS (voir encadré).

Imposture !

Il était difficile de ne pas mettre ce discours lénifiant au pied du mur. Si aux dires de Mme Comparini, "il ne saurait y avoir transfert de compétences sans transfert des moyens correspondants", comment justifier alors ce transfert de compétences par l'insuffisance actuelle des moyens ?

Notre question "Pourquoi un IATOS payé par la région coûterait-il moins cher qu'un IATOS payé par la Nation ?" ne trouva donc d'autres réponses que l'esquive. De même, notre interrogation sur les garanties en terme de moyens données par Luc Ferry lors de sa venue irrita fortement le directeur de cabinet : "Vous savez très bien que personne n'a obtenu de réponse sur ce point !".
Bref, l'imposture sur les moyens risque fort de se transformer en une impasse sur certaines missions ET en une hausse de la fiscalité locale.

Transferts demandés

La suite de l'entrevue a permis de dresser un tableau plus précis des demandes de transferts faites les différentes collectivités locales. Notons au passage maintes formulations ou soutiens explicites aux politiques de pôles d'excellence, de spécialisations des territoires, d'autonomie des universités et au 3-5-8.

Devenir des personnels IATOS ? Pour revenir en haut de cette page !

Anne-Marie Comparini évoque trois hypothèses sans doute bien loin d'être équiprobables :

  1. mise à disposition des régions (transfert dans la fonction publique territoriale)
  2. maintien dans un statut national (NDLR : mais agissant sur ordre des régions)
  3. rattachement à un établissement public à créer (NDLR : agence régionale de moyens ? ).

L'hypothèse 3 (et sans doute la 1) coupe le lien entre établissement et personnels. Selon Anne-Marie Comparini, les personnels concernés pourraient englober jusqu'aux intendants pour les lycées.

En fin d'entrevue, le directeur de cabinet se fera plus explicite : "La territoriale sera plus attractive en terme de rémunérations et de carrières", "Les personnels actuels seront libres de garder leur statut" ... en laissant entrevoir une phase transitoire pour le changement de statut.

Pour la région,

  • tout le fonctionnement de l'enseignement secondaire et professionnel ;
  • les enseignements artistiques (en discussion) ;
  • toute l'orientation regroupée en un seul service ;
  • la formation tout au long de la vie ;
  • la carte et le schéma prévisionnel des formations, dans lequel seraient intégrées toutes les formations professionnelles (dans et hors apprentissage) jusqu'aux licences professionnelles ("aujourd'hui, il y a déjà des icences professionnelles dans les lycées") ;
  • tout l'apprentissage y compris la taxe d'apprentissage (taux, assiette, gestion de la collecte) ;
  • le patrimoine universitaire (mise en place de structures pour gérer les constructions) ;
  • les bourses universitaires et la mobilité.

Pour les départements,

  • tout le social ;
  • la santé scolaire et universitaire (en discussion) (NDLR : et donc séparation de l'orientation et de la psychologie).

Pour les groupements de communes,

  • le logement étudiant (en discussion).


En conclusion, la FSU a alors clairement marqué son désaccord avec cette vision de l'avenir
.
Face à un constat actuel d'inégalités, elle revendique plus d'égalité et la volonté décentralisatrice va au rebours de cette aspiration. Cette démarche va générer de nouvelles concurrences à l'intérieur même du territoire régional. La laïcité, l'indépendance vis-à-vis des différents lobbys, le droit à l'éducation pour tous seraient menacés dans un tel scénario. Le passage d'une fiscalité à des fiscalités pose en lui-même un problème de principe. Pour les personnels, se profile un recours accru à l'externalisation et à la précarité des emplois (et aussi des missions). Face à de telles dérives, le débat sur la démocratie de proximité semble très second.

B.Roux