Enseigner, un métier qui s'apprend... dans le supérieur aussi !

Publié le : 15/03/2011
  • Par Claudine Kahane

Article du dossier "Pédagogie et didactique à l'université : des questions vives" de la revue Former des Maîtres n°593 de mars 2011

Enseigner... c'est aussi notre métier !

Avant même de parler de formation pédagogique des enseignants du supérieur, il n'est pas inutile de rappeler que le volet "enseignement" n'est généralement pas considéré comme l'activité la plus noble du double métier des enseignants-chercheurs (E-C). Supposée difficile voire impossible à évaluer, l'activité d'enseignement est souvent largement absente des critères de promotion, parfois même de recrutement des E-C.

Dans la suite, l'accent est mis sur la formation pédagogique des E-C mais une bonne partie des questions soulevées concerne plus largement tous les enseignants du supérieur. 

Enseigner, un métier qui devrait s'apprendre... avant !

A l'heure actuelle, une fraction importante des E-C n'a jamais reçu quelque formation pédagogique que ce soit : le Monitorat d'Initiation à l'Enseignement Supérieur, destiné à préparer des doctorants au métier d'E-C, n'a été créé qu'en 1989 (voir encadré) ! 20 ans après, c'est probablement moins d'un E-C en fonction sur trois qui a été moniteur et a donc bénéficié d'une certaine formation pédagogique (je serai plus précise si j'obtiens des chiffres !). En outre, la formation dispensée au sein des CIES n'étant à peu près pas cadrée et laissée à l'appréciation des collègues volontaires pour s'en charger, sa qualité et même sa nature sont extrêmement variables d'un centre à l'autre.

Pourtant, cette situation déjà insuffisante risque encore de s'aggraver : le nouveau contrat doctoral ayant abrogé le décret qui définissait le statut de moniteur et l'existence des CIES, ceux-ci ne perdurent que là où les universités ont fait le choix (financier notamment) de les conserver ; à Grenoble, par exemple, une structure inter universitaire rattachée au PRES continue à assurer la formation pédagogique des doctorants effectuant de l'enseignement ; pour combien de temps encore ?

Enseigner, un métier qui devrait continuer à s'apprendre... pendant !

Un fois ceux-ci recrutés, la carence en formation pédagogique initiale de E-C n'est que bien faiblement comblée par la formation continue.

  • Tout d'abord, le droit à la Formation Continue des E-C continue à être très mal reconnu : longtemps complètement nié, sous prétexte que les E-C se forment en permanence en lisant des articles, en participant à des congrès,... il est maintenant mieux accepté, mais sans donner lieu pour autant aux décharges nécessaires. C'est ainsi que le temps passé à suivre une formation pédagogique ne peut généralement pas être intégré dans le service d'enseignement et doit donc être pris sur le temps de recherche ou sur le temps libre des E-C.

  • Ensuite, il n'existe que peu d'universités offrant un service de formation pédagogique, souvent appelé Service Universitaire de Pédagogie (SUP), contrairement à ce qui se passe en Belgique, en Suisse ou au Québec, pour ne citer que des exemples francophones. Créés en ordre dispersé à partir du début des années 2000, les SUP, plus encore que les CIES, fonctionnent en l'absence de tout cadrage national. S'il existe un réseau des SUP qui permet aux collègues qui s'investissent dans leur mise en oeuvre d'échanger sur leurs pratiques, en revanche, il n'est que de parcourir les sites de la petite dizaine de SUP existant pour constater à quel point les missions de ces services et les formations qu'ils proposent peuvent présenter des variations considérables d'une université à l'autre. Dans tous les cas, même si la Ministre a récemment évoqué leur existence (conférence de presse du 17 décembre 2010 sur la Nouvelle Licence), d'ailleurs sous l'angle totalement réducteur de la "diffusion et de la mise en oeuvre des innovations en matière d'enseignement" et du "soutien logistique correspondant", les SUP demeurent des structures entièrement dépendantes de l'engagement militant de quelques collègues et des priorités et choix budgétaires des établissements. 

Enseigner, un métier qui s'apprend... une revendication à construire et porter au sein du SNESUP

Même s'il est toujours possible de regretter que les pratiques pédagogiques universitaires évoluent trop lentement et sont encore loin d'être au coeur des préoccupations de la grande majorité des E-C, force est de constater que les collègues y sont de plus en plus sensibles et attentifs. Mêmes si les débats sont parfois confus, mal posés voire piégés par le contexte actuel de profonde remise en cause des missions de service public des universités, une large fraction des questions qui traversent la communauté universitaire depuis 2 ans est d'une façon ou d'une autre liée à celle de la formation pédagogique des E-C : la place de l'enseignement dans le statut des E-C, le rôle du CNU et l'évaluation, la licence... et la formation des enseignants du primaire et du secondaire !

Alors qu'en recherche comme en enseignement les E-C sont soumis non seulement à une intensification mais aussi à un morcellement et à une perte de cohérence, de convivialité et de sens de leur travail, revendiquer le droit pour tous à la formation pédagogique initiale et continue constitue une exigence forte que nous devons collectivement construire et porter, à la fois comme

  • élément de réponse au défit que représente une élévation significative du pourcentage de jeunes diplômés du supérieur ;
  • facteur d'épanouissement individuel et d'enrichissement collectif dans notre métier d'enseignant-chercheur 

Une réflexion a été amorcée en 2010 au congrès d'études du SNESUP à Dijon sur la formation initiale des E-C (liée à celle d'un éventuel pré recrutement) et se poursuit au sein du Secteur des Personnels sur le volet du droit à la formation (initiale et continue). Sur les contenus et les spécificités de la formation pédagogique des enseignants du supérieur, ainsi que sur les structures qui pourraient assurer cette formation, il est temps d'ouvrir un grand chantier, impliquant notamment les acteurs actuels des CIES, des SUP et des IUFM.


Moniteurs et CIES

Le décret du 30 octobre 1989 a établi que "Les étudiants qui souhaitent se préparer à des fonctions d'enseignant-chercheur bénéficient d'une formation par l'enseignement et la recherche à ces fonctions dans le cadre du monitorat d'initiation à l'enseignement supérieur." Il précise que les moniteurs effectuent 64 HETD / an d'enseignement en 1er cycle universitaire pendant les 3 ans de leur thèse, sont placés sous la direction d'un enseignant-chercheur titulaire (sans que le rôle de celui-ci ne soit précisé !) et suivent des stages annuels de formation dispensés dans des centres d'initiation à l'enseignement supérieur (CIES). Il faut cependant attendre l'arrêté du 23 novembre 1990 pour que quelques maigres précisions soient apportées sur les stages et ce n'est qu'en 1992, que les CIES sont effectivement définis et créés par arrêté.

Voire aussi le communiqué SNESUP "Formation pédagogique des enseignants du supérieur: le gouvernement placé devant ses contradictions" faisant suite à la publication du rapport de l'IGAENR de juin 2009 sur les CIES.