Enseigner est un métier qui s’apprend et se choisit
Enseigner est un métier qui s’apprend et se choisit
- Par Claire Pontais (du SNEP-FSU) et Gisèle Jean (du SNESup-FSU), professeures en institut universitaire de formation des maîtres (IUFM).
Les dessous de la réforme de la formation des enseignants.
Assurer la relance de la démocratisation de l’école devrait aujourd’hui être une priorité politique. Le système de formation des enseignants est un des leviers importants pour changer le système éducatif. C’est justement ce à quoi s’attaque le président lorsque, sous couvert de « mastérisation », il annonce la suppression des IUFM et l’année de formation rémunérée. Pour devenir des professionnels compétents, les médecins sont formés pendant sept ans. Les ingénieurs pendant cinq ans. Les uns vont dans une « école de médecine », les autres dans des « écoles d’ingénieurs ». Dans la fonction publique, les magistrats vont à l’école de la magistrature, les hauts fonctionnaires à l’ENA où ils sont sélectionnés par concours puis formés en alternance (stage-école) tout en étant rémunérés. Les enseignants, dans leur grande majorité, ont une formation pendant cinq ans.
Ils ont d’abord une formation universitaire de niveau licence puis ensuite une formation professionnelle dans un institut universitaire des maîtres (IUFM). Ils sont recrutés par concours en milieu de leur formation professionnelle, puis en « alternance » pendant un an (stage-IUFM), à mi temps et rémunérés comme fonctionnaires stagiaires.
Parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend et se choisit en connaissance de cause, la FSU, première fédération de la fonction publique, demande une amélioration de la formation initiale et continue des enseignants, en intégrant mieux la formation professionnelle à la formation universitaire tout au long du cursus. Dès les années de licence, il faut proposer aux étudiants de faire des stages, de construire des connaissances didactiques sur leur(s) disciplines(s), de s’interroger sur le système éducatif, sur la façon dont les élèves s’approprient les savoirs, etc. Il faut ensuite une entrée progressive dans le métier avec un accompagnement par des formateurs formés à cette fonction. Cela passe par un développement de la recherche en éducation qui devrait être intégrée dans les enseignements. Aujourd’hui elle est le parent pauvre de l’université, insuffisamment articulée à la formation professionnelle initiale et continue.
Toute réforme de la formation devrait prendre le temps de rassembler tous les acteurs participant à la formation sur des objectifs communs : les enseignants-chercheurs des différentes composantes universitaires, les formateurs IUFM, les formateurs de terrain comme les conseillers pédagogiques du second degré, les maîtres formateurs du premier degré, les inspecteurs de l’éducation nationale, les partenaires de l’école. Ce n’est pas cette réforme que les ministères tentent de mettre en oeuvre. Bien que le master devienne le diplôme nécessaire pour enseigner, leur objectif n’est pas une meilleure professionnalisation des enseignants pour une relance de la démocratisation, ni même une revalorisation du métier comme ils l’annoncent. Au contraire, c’est un moyen de modifier en profondeur le recrutement et la formation des enseignants, d’aller vers un désengagement de l’État et une réduction des coûts et du service public. C’est ainsi que le gouvernement propose de supprimer la cinquième année de stage à mi-temps (il récupère ainsi 12 000 postes), retardant ainsi d’un an le premier salaire perçu par les étudiants et laissant à leur charge l’année de formation supplémentaire.
Sous couvert d’universitarisation, et en s’appuyant sur la LRU, il tente de supprimer les « écoles d’enseignants » que sont les IUFM au profit d’un « compagnonnage » très limité. Il met les universités en concurrence, persuadé que c’est ainsi qu’elles construiront les meilleurs masters pour les futurs enseignants. Cette réforme fait aujourd’hui l’unanimité contre elle. La conférence des présidents d’université elle-même a demandé le report d’un an de cette réforme, pour prendre le temps d’une réelle concertation. Mais le gouvernement ne veut rien céder. Que cache cet entêtement ? Xavier Darcos affirme qu’il n’est pas inquiet de la lutte des universitaires qui, pour protester, ont refusé de déposer les maquettes de master incluant la préparation aux concours. Il affirme qu’il trouvera toujours des gens pour le faire ! Il a raison puisque son système encouragera les préparations au concours privées et payantes et le recrutement direct par les chefs d’établissement d’enseignants formés au niveau master. Ce mode de recrutement, qui existe déjà à l’université et dans le second degré, se met aujourd’hui en place dans le premier degré.
Donc pour Darcos, pas besoin de l’État pour avoir des enseignants bien formés, la loi du marché le remplace ! Le problème, c’est que toute attaque du service public génère des inégalités ! Il risque par exemple ne pas y avoir suffisamment d’enseignants bien formés, faute d’une offre homogène sur l’ensemble du territoire, faute d’un cadrage national, faute d’un financement équitable des centres de formation. S’instaurera alors une concurrence entre établissements scolaires, entre académies. Voilà pourquoi la réforme de la formation telle qu’elle se présente doit être combattue. Les véritables objectifs doivent être dénoncés, en même temps que doit être portée une véritable ambition pour améliorer la formation universitaire professionnelle des enseignants dans une structure de type IUFM forte et une véritable revalorisation de ce métier à haute responsabilité sociale. C’est un enjeu déterminant pour une véritable démocratisation de l’école.