EE: NON

Publié le 24 février 2005

TRIBUNE LIBRE de Jean-Luc Godet (courant de pensée École Emancipée du SNESUP) sur le projet de Traité de l'Union Européenne (parue au Bulletin du SNESUP n°523 du 24 février 2005)

Jean-Luc Godet du courant de pensée École Emancipée du SNESUP


Traité constitutionnel
le NON doit venir du mouvement social et du syndicalisme !

Ne pas rester à l'écart d'un débat qui engage notre avenir

Comme tout référendum, celui sur le traité constitutionnel européen promis par J. Chirac va charrier bien des ambiguïtés et les camps du oui comme du non regrouperont des votes aux motivations contradictoires. La fracture au sein du PS et des Verts montre aussi que le risque est grand de division aggravée au sein de ce qu'il est convenu d'appeler la Gauche. Ce n'est pas une raison pour que le mouvement social et particulièrement le syndicalisme se tiennent à l'écart d'un débat qui les concerne au premier chef. L'initiative référendaire a cela de bon qu'elle permet de s'interroger en profondeur sur les mécanismes et la dynamique actuels de la construction européenne et de dégager ainsi des propositions alternatives à la doxologie libérale. Par exemple, le travail de la Fondation Copernic et l'Appel des 200 personnalités politiques, associatives, syndicales et du spectacle pour un " non de gauche " pour une autre Europe a l'immense mérite de poser le débat au niveau du contenu : quelle Europe pour faire quoi ? C'est d'abord en fonction de la réponse à cette question que le syndicalisme, et surtout celui qui reste attaché aux services publics et à une vision solidaire des rapports sociaux, doit prendre position.

Un contenu ultra-libéral sans ambiguïté

Non loin du fameux alinéa de l'Art. I-3 qui réduit l'Union à un " un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ", l'Art. I-13 qui définit les " compétences exclusives " de l'Union (douane, règles de concurrence, politiques monétaire et commerciale) montre où se situe le véritable centre de gravité du traité : dans l'économie (libérale) et la manière dont les Etats entendent se servir de l'Union pour faire passer la pilule hautement toxique de la marchandisation à outrance. D'une part en effet, ce sont les accords entre Etats (via le Conseil Européen des chefs d'Etat ou de gouvernement et la Commission Européenne) qui continuent de prévaloir. Si un certain droit de veto est accordé au Parlement Européen, l'élaboration de cette politique échappe à tout contrôle démocratique direct (la loi est proposée par le Conseil). De même le soi-disant droit de pétition accordé aux citoyens de l'Union n'a aucune valeur contraignante. D'autre part, le traité verrouille toute possibilité pour un Etat ou groupe d'Etats (et a fortiori pour le mouvement syndical !) d'infléchir la politique économique dans une direction moins monétariste et plus sociale. Ainsi l'objectif " principal " de la banque centrale " indépendante " reste la seule " stabilité des prix " (1-30) et la Commission doit veiller au non dépassement des déficits budgétaires (III-184). Ainsi la seule direction possible dans le domaine des " services " est celle de la " libéralisation " (III-147) et de la mise en " concurrence " (III-166). Une telle orthodoxie dans les dogmes économistes ne peut qu'interpeller le syndicalisme de lutte, celui qui ne se soumet pas à la contre-réforme libérale.

Engager une résistance efficace à l'ordre marchand

La majorité de la Confédération Européenne des Syndicats (dont la CFDT), toute à sa collaboration avec les institutions européennes et patronales, a finalement appelé à voter oui au traité. Alors même que le traité constitutionnel constitue parfois une régression par rapport aux traités antérieurs. Alors même qu'il figerait pour des décennies un cadre institutionnel anti-démocratique et une politique économique profondément régressive (car l'unanimité des membres de l'Union est requise à l'Art. IV-443 pour toute modification du texte). Alors même que sa ratification populaire donnerait une nouvelle légitimité "démocratique" à tous les projets libéraux contre les salariés et les services publics. Cette attitude suicidaire pour le syndicalisme européen ne peut être celle de la FSU et encore moins du SNESup, syndicat majoritaire du secteur le plus menacé par la marchandisation dans l'Education nationale. Un autre danger existe cependant : le refus de se prononcer, sous prétexte qu'une position tranchée risque de diviser les syndiqués. Il y a certes un travail considérable d'explications à mener. Mais ne pas appeler à voter non serait cacher délibérément l'ampleur des attaques légitimées par une éventuelle adoption du traité. Ce serait aussi manquer une occasion formidable de faire reculer l'agresseur. Notre attitude de résistance à la globalisation libérale et de lutte pour une autre université, une autre recherche, une autre Europe et un autre monde exige la cohérence. Sauf à reproduire l'attitude tacticienne des bureaucrates syndicaux et politiques qui au nom du "moindre mal" nous conduisent à la fois au moindre et au mal, il faut faire connaître la seule position possible pour un syndicat comme le SNESup : dire NON à leur traité constitutionnel européen, pour construire notre Europe.