Discours Raffarin du 8/7
le 08/07/2004,
Intervention de monsieur J.P. Raffarin, Premier ministre
au déjeuner de l'ANRT
Intervention de monsieur J.P. Raffarin, Premier ministre lors du déjeuner de l'ANRT
- Association nationale de la recherche technique -
Jeudi 8 juillet 2004
"Monsieur le ministre,
Monsieur le président,
Quelle belle leçon de politique, vous venez de donner à un débutant comme moi !
D'abord, quand vous avez des vérités à dire, quelquefois, de manière tranchée,
vous expliquez que vous dites cela "au nom d'un collectif et que vous êtes fidèle
à une pensée globale". Je trouve cela utile, moi je parlerai au nom de tout
le Gouvernement, et autour de la majorité parlementaire, tous ceux qui, malheureusement,
légitiment les positions qui sont les nôtres. Et j'ai noté que, comme tout bon
politique d'ailleurs, à la fin d'un bon discours, vous appeliez à l'action,
ce qui, en général, est une réalité partagée.
Je voudrais vous remercier pour cette invitation et vous dire
combien j'ai été intéressé par vos propos, par le travail qui a été fait,
et par la période où tout cela est aujourd'hui exprimé. Mais je suis heureux
de pouvoir le faire en présence de F. Fillon, F. d'Aubert, et P. Devedjian,
qui mènent avec moi cette action en faveur de la recherche et de l'industrie
au niveau du Gouvernement, et j'ai bien compris que ce n'était pas le seul niveau
important.
Je voudrais vous dire qu?il est important que nous débattions de ces sujets-là
à un moment où nous préparons les grandes orientations, budgétaires, et sur
l'organisation de cette loi sur la recherche. Vous avez dit qu'elle n'était
pas naturelle. Mais le politique trouve sa grandeur en dépassant le naturel,
évidemment. Car le naturel, c'est toujours la loi du plus fort. Le naturel,
c'est le déterminisme et je suis un humaniste. Je crois à la capacité d'avenir
sur le naturel. J'espère beaucoup que l'on va être capables de dégager
par l'intelligence humaine, par les volontés, quelque chose qui va surmonter
un certain nombre de difficultés qui sont, en effet, dans le paysage. Mais la
dignité de l'homme est de s'imposer par ses volontés, ses visions, et d'être
capable de dégager une ambition politique. Je crois beaucoup que cette loi -
loi d'orientation et de programmation - nous permettra, d'abord, d'avoir les
débats nécessaires, car s'il n'y avait pas la loi, il n'y aurait pas forcément
les débats. Et ensuite, de pouvoir organiser l'action, et vous l'avez dit, Monsieur
le Président Dehecq, à juste titre, "de manière pluriannuelle", parce que nous
sommes là sur un sujet pour lequel l'annuité budgétaire est une idée relativement
absurde. Il nous faut donc avoir cette capacité de vision et d'action.
Dans le temps de l'action gouvernementale, cette rencontre est très importante,
car nous avons structuré notre action gouvernementale, dans la législature,
le quinquennat en trois grandes étapes, il fallait le faire.
La première étape était celle de la sécurité, je ne développe
pas. Mais il était très important de bâtir une nouvelle logique pour ce qui
concerne la police, la justice, la défense, parce que ce sont des sujets très
importants pour la sécurité des Français et la France. Nous nous sommes donné,
là, des moyens nécessaires à faire de la sécurité un des éléments essentiels
de notre liberté. Cela a été l'élément de base de la première action, parce
que nous avions pensé que, par le passé, cette idée était quelque peu mésestimée.
Ensuite, il nous a fallu reconstruire le pacte social, ou plus exactement, donner
un avenir à notre pacte social. Nous étions dans l'impasse des retraites - de
moins en moins de cotisants, de plus en plus de retraités -, il fallait surmonter
les retraites ; il faut surmonter les difficultés de la maladie, de la santé,
améliorer les soins, nous serons de plus en plus consommateurs de soins, nous
avons besoin de repenser notre système de soins. Nous serons consommateurs de
soins, il faut le faire avec responsabilité, avec esprit de justice. Nous sommes
en train de faire cette réforme. Il faut aussi lutter contre les effets de la
démographie, avec la lutte contre la dépendance, sous toutes ses formes, les
personnes âgées, bien sûr, mais aussi les personnes handicapées. Il faut veiller
à la cohésion sociale, car une société qui se déchire est une société qui se
paralyse et qui se ralentit. On ne peut pas avoir aujourd'hui le goût de l'avenir,
j'y reviendrai, si on est fracturé et si notre société est trop malade de ses
souffrances internes.
Il fallait donc redonner un avenir à notre pacte
social, pacte républicain, c'est ce que nous avons fait.
Et maintenant, la troisième étape, qui s'ouvre avec, notamment, le texte sur la recherche. C'est préparer la France pour l'avenir, préparer la France à ses grandes réformes qui la projettent dans le XXIème siècle, moderniser la France, et notamment adapter notre société aux exigences de son temps, et faire en sorte que nous puissions organiser pour la société française, ce goût du futur, ce choix de l'avenir qui nous permettra de surmonter, les peurs, les craintes, les replis, les déclins, toutes ces valeurs qui sont agitées, parce qu'il y a un moment où on n'ose pas regarder l'avenir de face, et que, quand on est dans une crise, tout le monde va dans le sens de la crise et que personne ne dit : halte-là ! dans la crise, il y a un certain nombre d'idées fausses qui sont exprimées et il faut pourtant les combattre tout en écoutant les idées justes et tout en écoutant ce qu'il y a d'important dans la manifestation d'une colère de professionnels ou de la société.
Nous avons entendu ce qui s'est dit sur les questions de
la recherche. Je tiens à vous dire que, si le dossier de la recherche est aujourd'hui
prioritaire, c'est notamment parce que nous sommes entrés dans cette phase de
l'action où nous avons restructuré nos infrastructures sociales, et que nous
pouvons penser à ce qui, aujourd'hui, est la préparation de l'avenir. Nous voulons
mobiliser l'ensemble du Gouvernement pour développer résolument une recherche
puissante et féconde, apte à contribuer à apporter à notre pays le développement
économique et social dont il a besoin et aussi la place qui doit être celle
de la France dans le monde.
Je suis très frappé quand j'entends aujourd'hui parler de "délocalisation".
Je regarde de près ce qui se passe en Chine, en Inde ; je vois qu'aujourd'hui,
on nous parle de "compétition par le coût du travail". De fait, la vraie compétition
est celle de l'intelligence. Aujourd'hui, ce qui est préoccupant dans le développement
de la Chine, c'est le développement des centres de recherche qui s?y développent.
Je connais même des grandes entreprises françaises qui créent des centres de
recherche en Chine pour pouvoir avoir des salariés chinois. Je vois bien aujourd'hui
que, ce que l'on nous a présenté comme les règles du développement n'avait pas
de sens dans l'Inde, où on est capable de faire "cohabiter", si je puis dire,
à la fois, Bombay et Bangalore. On voit bien que la course à la valeur
ajoutée est engagée, et que cette course-là sera encore plus terrible que la
course sur le coût du travail. Il faut avoir cette conscience-là, parce ne prenons
pas les pays en émergence ou en développement pour des pays qui n'ont pas compris
les lois de l'avenir. Les lois de l'avenir sont, celles, de la valeur ajoutée.
Ils ont compris que c'est sur ce terrain-là qu'il nous fallait devenir, les
uns et les autres, compétitifs.
Je tiens à vous dire que dans cette logique-là, nous voulons
tenir les objectifs de Lisbonne. Donc, vous avez dit que c'était impossible,
je crois que c'est possible. Je crois que nous devons nous donner les moyens
d'atteindre les objectifs de Lisbonne, faire que l'Europe puisse être, sur le
plan de l'économie et de la connaissance, une des économies les plus compétitives
et des plus dynamiques dans le monde. Et pour la France, que nous soyons capables,
de mobiliser les moyens financiers budgétaires mais aussi extra budgétaires
qui pourront nous mettre à ce niveau. Je crois que c'est possible ; les 3 %
en 2010, il faut que ce soit possible. C'est un point essentiel, parce que l'on
peut toujours regarder, en effet la situation de notre pays, les difficultés
que nous aurons à surmonter, mais il y va de l'avenir de nos entreprises et
au fond, de la pérennité de l'économie française comme force identifiée sur
la scène économique internationale. Donc, il nous faut atteindre ces moyens
et donc, faire les efforts budgétaires maximaux mais aussi aller chercher des
ressources extra budgétaires pour doter notre recherche de ces capacités. Les
objectifs du Président de la République seront des objectifs tenus, je suis
très attaché à cela. Et nous mettrons en place toute l'ingénierie financière
capable de mobiliser les moyens pour que l'on puisse obtenir ce niveau de la
France dans la course à l'obtention de l'objectif de Lisbonne.
Pour cela, nous avons pris un certain nombre d'initiatives, d'ores et déjà. Mais je tiens à dire que les moyens ne sont pas tout. Vous l'avez dit justement, cher président. Il faut faire des choix de projets scientifiques crédibles, il faut aussi considérer la dimension des moyens adaptés à ces choix et il faut donc bâtir, comme vous l'avez souhaité, une véritable évaluation pour que nous puissions mobiliser l'ensemble de notre dispositif, autour des valeurs que je retiens, notamment celle du pilotage que vous avez développé. Je voudrais dire que nous sommes prêts à faire des efforts financiers majeurs. Je l'ai dit : budgétaire et extra budgétaire. C'est-à-dire qu'il y a des moyens et des recettes de l'Etat que nous sommes prêts à mobiliser pour la recherche. Il va de soi que ceci ne pourra pas se faire sans réforme, que ceci ne pourra pas se faire sans une forte mobilisation. Et qu'il ne s'agit pas de partager une mobilisation nationale comme vous avez dit, justement, qui est un patrimoine des Français, il ne s'agit pas de partager, il s'agit de construire, et donc, d'être capable d'engager une réforme de la recherche. C'est une nécessité. Vous avez montré combien il était utile - et je ne veux pas développer cela - de remobiliser notre pays sur son ambition scientifique et industrielle, de remobiliser nos universités, l'ensemble de notre recherche. Mais le tout, dans un dispositif cohérent, efficace et que les euros supplémentaires que nous allons demander aux Français soient capables de servir la cause du développement de la recherche et pas seulement de nourrir les tuyaux nombreux et multiples, variés et concurrents qui sont ceux, aujourd'hui, de notre organisation de la recherche.
Dans ce contexte-là, les débats qui ont été engagés à la demande du ministère sont très importants. Je note que "FUTURIS", c'est une contribution essentielle ; je vois que l'Académie des technologies a apporté également sa propre contribution, que la Conférence des présidents de l'université apporte la sienne. D'éminentes personnalités sont aujourd'hui mobilisées sur ce sujet. Et nous avons un comité d'initiatives et de propositions qui a été créé avec le concours de l'Académie des sciences - je salue le professeur Beaulieu, président, ici présent - et avec un grand nombre de chercheurs pour préparer une contribution à l'élaboration du texte législatif. Il y a eu un certain d'autres initiatives, je pense notamment au rapport qui a été construit par C. Blanc sur les écosystèmes de croissance. C'est une réflexion fructueuse et utile dans l'ensemble de cette démarche. Donc, je crois qu'il est important de considérer que le débat est lancé. Nous avons encore quelques semaines de discussion mais je pense vraiment qu'il faut mobiliser pour l'automne l'ensemble de ces contributions pour pouvoir définir les grandes orientations de la loi de programmation qui devra être celle de la recherche.
Je suis très heureux de voir que finalement, malgré toutes les difficultés que nous avons eues au printemps sur ce sujet, il y a en effet un partage national de cette cause, chacun se sent concerné et chacun se sent impliqué. Je crois que si on arrive à bien équilibrer effort national pour les moyens, effort national pour la réforme de l'organisation, nous trouverons les solutions nécessaires pour donner à notre pays une place importante, au moins au niveau de l'UE, mais aussi sur la planète, pour ce qui concerne son propre avenir et cette compétition des valeurs ajoutées.
Quelles sont les premières orientations auxquelles nous pensons, par rapport aux discussions que nous avons, et notamment par rapport aux propositions de "FUTURIS" - c'est celles que vous avez exprimées, cher président Dehecq. D'abord, vous avez raison : il faut améliorer le pilotage stratégique et l'évaluation. Pilotage stratégie et évaluation sont deux conditions d'une bonne organisation. Sans stratégie d'une part, sans évaluation d'autre part, nous naviguons à l'aveuglette et en fait, nous sommes dans une société qui risque d'être notabilisée, chacun pensant à sa structure et oubliant la cause nationale qui le dépasse. Donc, je crois qu'il nous faut un pilotage stratégique qui organise la lisibilité de la cause nationale et européenne, et ensuite une évaluation qui peut juger de la conformité de ces dispositifs. Donc, je pense qu'il est important de bien définir notre dispositif de pilotage. Nous avons parlé d'une agence nationale de la recherche, une agence de moyen, de structures très légères, simplement pour pouvoir nous mobiliser aussi des moyens extra-budgétaires. Parce que vous aviez raison dans vos perspectives, quand vous analysiez que les ratios budgétaires, mais si vous regardez les possibilités de notre pays en extra-budgétaire, vous vous apercevez que l'on a besoin d'une structure capable d'accueillir ces moyens-là pour pouvoir, avec un dispositif léger, mettre à la disposition des différents organismes et des universités, les moyens nécessaires. Je suis tout à fait ouvert à l'idée d'un comité stratégique national. Je crois qu'il est très important, en effet, d'avoir ce conseil. Je pense que le placer auprès de Matignon est un sujet ouvert. Il peut aussi être près du ministre chargé de la Recherche. Je crois que ce qui est très important, c'est que ce groupe de pilotage puisse bien affirmer ses orientations. Et je partage toutes les fonctions que vous avez définies. J'en ajoute juste une seule, c'est la démocratie. C'est-à-dire, qu'il y un moment où il faut dire que l'on fait l'EPR. Et cela, c'est un chef de Gouvernement qui le dit. Il le dit à l'Assemblée nationale. On fait l'EPR et on décide que la France s'engage sur ce sujet. Et donc, il y a un moment quand même où il faut assumer politiquement la responsabilité. Et cela, c 'est le rôle du Gouvernement de pouvoir le faire, à partir, en effet, des choix d'un Conseil stratégique qui a défini des orientations. Mais il est clair que le Gouvernement a une responsabilité politique. Vous noterez d'ailleurs que quand il les assume, cela se passe beaucoup mieux qu'on ne dit en général. Donc, nous comptons bien, là, avec le Conseil stratégique, être capables de bâtir ce dispositif. Je souhaite un ministère de la Recherche - mais nous en reparlerons - qui soit véritablement stratège plus que gestionnaire. Et en effet, avec le Conseil stratégique, qui puisse à la fois organiser cette stratégie, participer au dispositif des grandes orientations et des choix qu'il nous faut pour la nation et en intégrant les choix européens. Et puis aussi, évidemment, la capacité d'évaluation. Nous discuterons de la localisation dans l'organisation de l'Etat. En tout cas, je suis d'accord sur un niveau stratégique avec un petit nombre de personnes qui est capable de proposer un certain nombres de programmes. Une décision politique qui arrête ces programmes et une organisation gouvernementale, qui, elle, est chargée de veiller à l'exécution de ce programme, notamment, de veiller à son évaluation. Je crois qu'il est très important, donc, d'avoir ce dispositif de pilotage et je pense que nous devons évaluer beaucoup plus rigoureusement les dispositifs de recherche que nous le faisons actuellement. Nous sommes d'accord et je prends FUTURIS intégralement sur ce point, car je crois qu'il y là des positions très utiles pour que nous puissions avancer et pouvoir reconnaître la performance des équipes et valoriser l'ensemble de ceux qui participent.
Donc, voilà pour ce qui est de l'orientation : je dis simplement stratégie- Gouvernement-évaluation ; l'ensemble du dispositif nous convient. Il faut simplement qu'il y ait un lieu dans l'Etat, qui soit aussi un lieu de stratégie. Je pense que le ministère de la Recherche a cette mission d'être un ministère stratège.
Deuxièmement, il faut améliorer notre capacité à faire des choix à effets scientifiques et technologiques, parce que nous aurons besoin naturellement de la capacité du Conseil stratégique, mais il faut aussi que l'on puisse mobiliser l'ensemble des forces vives de notre pays sur ces sujets, avec les organismes de recherche, avec les universités, avec l'ensemble des partenaires. Ce qui est très important, c'est de voir l'ensemble de la mobilisation nationale qui est capable de s'exprimer sur ces sujets.
Là, il y a une dynamique de concertation, une dynamique d'animation qui doit nous permettre de faire remonter un certain nombre de sujets et surtout de dépasser ce clivage absurde entre la recherche fondamentale, la recherche industrielle finalisée. Il nous faut vraiment pouvoir rassembler l'ensemble des dispositifs de recherche et donc être capables d'avoir un dispositif qui, avec et autour du ministère stratège, a la capacité de mobiliser les moyens capables de permettre la réussite des grandes lignes qui ont été celles définies par cette stratégie.
C'est la raison pour laquelle, à mon avis, le ministère de la Recherche doit être doté d'un certain nombre d'outils, d'un certain nombre de possibilités en ce qui concerne la prospective, mais aussi la conjoncture et la capacité à avoir tous le éléments de dialogue scientifique, je dirais avec l'ensemble des partenaires, pour être un acteur efficace de ce réseau de stratégie et d'évaluation qu'il nous faut bâtir.
Nous sommes également d'accord sur le fait qu'il ne sert à rien d'opposer les différents types de recherche, notamment la recherche publique et la recherche privée, et que nous devons rechercher à tirer le bénéfice des investissements, que ce soit ceux de l'Etat ou ceux de entreprises. Je pense que sur ce terrain‑là, il faut veiller à ce que les entreprises sachent aussi se faire aimer par la société. C'est un point, quand même, qui mérite attention. Sans doute, que la recherche est un des moyens pour les entreprises de se faire aimer par la société. Je suis frappé, je le dis comme je le pense, j'ai le sentiment, et quand je vous entends, et que je sais que c'est vrai, quand vous dites "700 grandes entreprises sont une grande partie de la recherche", je dis, il faut que les citoyens aiment ces entreprises. Et nous avons eu un certain nombre de débats qui laissent penser que nous ne sommes pas en voie d'amélioration sur ce sujet. Et à partir du moment où une fonction aussi vitale que la fonction recherche est assumée par des entreprises, il faut que les entreprises se fassent aimer et soient capables de trouver d'autres sujets que le salaire des patrons pour pouvoir parler au peuple. Je le dis comme je le pense, nous avons besoin que la société aime les entreprises et donc les entreprises doivent aussi considérer qu'elles ont cette mission, parce que je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les entreprises, portant une grande part de la fonction recherche, elles portent une grande part de l'avenir de notre société. Et donc, il faut que le citoyen puisse, évidemment, avoir pour l'entreprise considération et reconnaissance sociale. L'entreprise est un lieu d'intérêt général. Il y a une part d'intérêt privé, mais l'entreprise est un lieu d'intérêt général et plus l'entreprise fait de la recherche, plus son rôle d'intérêt général doit pouvoir être reconnu. C'est un élément très important pour organiser l'ensemble des dispositifs modernes, dont nous avons besoin, je pense, notamment, au partenariat public‑privé. Je vois le retard de notre pays sur un certain nombre de programmes en ce qui concerne le partenariat public‑privé. Quand je regarde ce que fait T. Blair, quand je regarde ce que fait G. Schröder, eh bien, sur ce sujet, nous avons encore, par rapport aux gouvernements sociaux‑démocrates, à progresser dans les idées libérales.
Sur ces questions‑là, je pense qu'il nous faut pouvoir avancer, mais cela ne peut se faire que si nous sortons de vieux clivages, de vieux blocages qui nous empêchent de bâtir cette organisation nouvelle, innovante, qui nous permet de développer des initiatives qui, aujourd'hui, font que la société dans son ensemble considère normal que la recherche publique et la recherche privée puissent travailler ensemble, que les chercheurs puissent échanger, et que les uns et les autres ont droit au même respect social, aux mêmes considérations, parce qu'ils participent à la même cause.
C'est ce que nous avons voulu faire déjà en soutenant un certain nombre d'initiatives, je dois dire avec certaine satisfaction, parce qu'on a vu que des idées, comme la "Jeune entreprise innovante", comme le crédit d'impôt‑recherche ou le développement des fondations ‑ le développement des fondations, de ce point‑là, est un bon signe pour la société française. C'est une idée qui est aujourd'hui partagée et qui, donc, montre bien qu'on peut organiser ce type de partenariat, et qu'il y a là, un certain nombre de dispositifs ‑ et je compte sur P. Devedjian, ici présent, pour créer cette véritable symbiose entre chercheurs publics et privés, et développer ce type d'initiatives, dans l'intérêt national, avec les forces privées mais aussi les forces publiques, l'une et l'autre ayant leur place dans notre dispositif.
Troisième dimension de nos différentes orientations : il est clair qu'il nous faut une réforme de l'université. Vous avez effleuré le sujet, vous en avez un peu fait le tour, monsieur le président, il faut qu'on regarde ces sujets‑là, parce que la complexité du dossier de recherche est assez extraordinaire. Et d'ailleurs, les chercheurs eux‑mêmes se présentant, suivant les circonstances, comme les laboratoires, étant dans l'université, étant l'une des fiertés de l'université, d'autre part étant l'un des éléments de l'organisme de recherche, chacun vivant sa logique multiculturelle à sa façon, ce qui fait qu'il n'y a à peu près que les chercheurs qui comprennent exactement comment le système peut fonctionner, ce qui n'est pas bon pour les citoyens, et là, je pense que nous aurons besoin d'un peu de clarté pour mettre en place un dispositif pour clarifier la responsabilité des différentes institutions publiques de recherche.
Sachons le lien vital qui existe entre recherche et formation supérieure. Il est décisif que les universités, dans le cadre d'un maillage plus étroit entre elles, et les organismes nationaux de recherche, aient ensemble une identité scientifique et technique plus forte que celle qui est actuellement reconnue, afin de permettre l'émergence aussi de lisibilité. Des pôles régionaux, vous en avez parlé, mais aussi des pôles de cohérence en matière de recherche et en matière de développement. C'est un élément très important, je crois, qui sera renforcé par les responsabilités que nous voulons donner aux universités. Nous mènerons à bien la réforme des universités, notamment, en laissant une place importante à l'autonomie accrue des universités, en leur donnant la possibilité de réforme leur gouvernance, de renforcer l'évaluation de leurs formations, de leur recherche, et de pouvoir mener des politiques qui leur soient propres, avec leurs partenaires territoriaux. Je crois que c'est un élément très important de notre nouvelle organisation, mais ça, c'est, je pense à la logique stratégique nationale, à l'organisation ministérielle de faire en sorte que la cohérence qui aura été pensée au niveau national puisse se développer avec des libertés au niveau territorial.
Il y a un logiciel central qui se fera par le partenariat entre le Conseil stratégique et le Gouvernement, et ensuite, une organisation territoriale, avec un certain nombre de pôles de compétences. Je suis d'accord avec vous pour ne pas retenir le canton comme lieu forcément de l'excellence, en matière de recherche, même si certains chercheurs allaient chercher eux‑mêmes, à faire des élections cantonales, un enjeu politique. Mais, disons que ce n'est pas le sujet. Je ne crois pas que le canton soit l'espace le mieux adapté pour construire des pôles de recherche à lisibilité mondiale. Il nous faut ces pôles, et je pense que nous devons avoir une réflexion sur ces sujets, notamment au niveau européen. Mais la réforme des universités est indispensable et elle doit passer par une grande lisibilité, et là, je demande aux organismes de recherche de veiller à ce que l'on puisse avoir une lisibilité plus affirmée dans tout ce qui concerne le rapprochement entre ces organismes et les pôles universitaires.
Je crois qu'il est très important, notamment dans la labellisation des laboratoires, dans l'évaluation des laboratoires, de pouvoir éviter d'avoir ces doubles hiérarchies qui font que, finalement, en multipliant les dépendances, certains sont finalement en dehors de toute dépendance. Et donc, il faut pouvoir rationaliser ces systèmes de stratégies et d'évaluation qui vont de pair.
Un mot sur l'Europe, monsieur le président, parce que vous avez évoqué ce sujet, notamment pour dire que nous partageons les orientations du 7ème programme cadre de recherche et de développement technologique, et tout ceci nous semble aller dans la bonne direction. Je voudrais dire sur ce sujet que je souhaite vraiment que la recherche devienne une des premières, si ce n'est pas la première politique européenne. Je crois que nous pouvons gagner cette bataille. Nous en avons parlé avec plusieurs d'entre vous d'ores et déjà. Tout le monde, aujourd'hui, en Europe, considère que c'est la priorité première de l'avenir de l'Union européenne. La recherche doit être cette priorité. Au plan européen, nous devons donner une valeur fédérale ‑ j'appuie sur le mot ‑ à nos dépenses de recherche, en leur donnant un statut spécifique, qui, à la fois, nous permettra d'une part de couvrir avec le total des moyens européens, le total des choix scientifiques reconnus. Vous me dites, et je suis d'accord avec vous, que nous ne pouvons pas rechercher l'excellence sur tous les sujets. Nos choix ‑ il y a des choix qui sont très nationaux, nous l'avons montré dans un certain nombre de domaines, nous avons montré que la France était très motivée sur un certain nombre de sujets. Je vois que vous pensez comme moi aux mêmes sujets : le nucléaire, par exemple. Eh bien, nous avons montré un certain nombre de volontés. Mais il est clair que, montrant quelques volontés, on ne peut pas avoir l'ambition de Pic de la Mirandole. Donc, il nous faut bien faire un certain nombre de choix. En revanche, ces choix doivent être faits au niveau de la cohérence, au niveau européen. Et donc, un certain nombre de choix qui ne sont pas faits par la France, doivent être faits parce que l'Europe souhaite être présente sur ses sujets, par d'autres pays européens. Pour cela, il faut fédérer un certain nombre de nos initiatives. Je pense que la France doit affirmer ses volontés, ses choix, mais être ouverte à une coopération européenne pour que l'on puisse avoir une vision plus large et mieux organisée au niveau européen.
Donc, nous pourrons ainsi couvrir un champ scientifique plus
large. Et ceci nous permettra de situer la dépense de recherche au-delà des
critères annuels du pacte, des pactes financiers de l'Union européenne. Il nous
faut mettre la recherche en-dehors des règles des pactes financiers de l'Union
européenne. Parce que, ces pactes financiers ne sont pas des pactes de long
terme. Parce que, nous sommes, là, dans des logiques d'annuités budgétaires,
nous sommes dans un certain nombre de logiques qui sont des logiques de pays
à pays, qui n'envisagent pas l'ensemble de la dimension globale de l'économie
européenne. Je crois que les idées avancent bien. J'ai fait le tour d'un certain
nombre de Premiers ministres, aujourd'hui, de l'Union européenne, et cette idée
est en train de devenir majoritaire en Europe. Il y a une perspective, un temps
de la recherche qui n'est pas le temps aujourd'hui de la gestion européenne
telle qu'elle est bâtie. Il faut lui donner évidemment les outils du contrôle,
les outils, là aussi, d'évaluation. Mais il faut lui donner un autre temps que
le temps du Pacte de stabilité. Cette idée est en train d'avancer. Nous pourrons,
je crois sur ces sujets, faire des progrès. C'est un élément très important
pour l'ensemble des ratios. La croissance des dépenses, la croissance de la
dette, un certain nombre de ratios doivent pouvoir être évalués sans que, systématiquement,
on mette la recherche dans le même type de dépenses que les autres dépenses
parce que, par définition, la dépense que nous pouvons envisager pour une infrastructure
routière, pour une dépense sociale et pour une recherche spécifique, ce n'est
pas le même euro, il n'a pas la même valeur économique, sociale et stratégique
qu'un autre euro dépensé dans un autre contexte.
Je pense que c'est une vision qualitative de la dépense. Il faut que nous ayons
cette vision qualitative de la dépense européenne à l'intérieur de laquelle
nous devons avoir une dépense qualitative française en matière de développement
européen, et au niveau national également.
Je n'insiste pas sur ce que vous avez dit pour ce qui concerne au niveau européen,
ce qui est en cours de réflexion sur la définition des campus. Mais je suis
complètement d'accord avec vous, avec la capacité naturellement d'être quelque
peu sélectif et stratégique dans la logique de campus. Car si naturellement
nous ne sommes ni stratégiques, ni sélectifs, le campus deviendra la salle des
fêtes générale et donc, nous risquerions de passer à côté de l'objectif ce qui
n'est pas notre vision, ni aux uns, ni aux autres.
En résumé, je voudrais vous dire qu'il nous apparaît clairement que la France a besoin de réformes fondamentales, nous y sommes engagés. Nous avons été un Gouvenement réformateur. Il y a un certain nombre de réformes qui étaient annoncées depuis de longues années et qui n'avaient pas été engagées : la réforme des retraites, la réforme de l'assurance maladie, dont des réformes qui, dès cet été, seront en place pour les 20 ans qui viennent. Il est clair que, maintenant, c'est notre politique de recherche et la capacité que nous avons à dégager des lignes à venir qui est la priorité de la France. Non seulement pour nos emplois, non seulement pour nos entreprises, mais pour notre pays, parce que c'est au nom de nos découvertes, au nom de nos capacités que la voix de la France sera évaluée dans l'avenir. C'est sur ces sujets-là qu'il nous faut nous mobiliser. Et nous y sommes déterminés, avec l'ensemble des atouts qui sont ceux de notre Nation, l'ensemble des forces qui existent et que vous représentez aujourd'hui, pour peu qu'elles sachent être stratégiques et cohérentes, et donc aussi évaluées. C'est très important pour nousde regarder l'avenir avec cette confiance dans nos capacités de recherche.
Je suis parfois inquiet, quand je vois le pays douter de la recherche, ou douter des capacités qu'a la société à résoudre les problèmes qui lui sont actuellement posés. Mais c'est cela au fond ce qui peut différencier tous ceux qui animés par le déterminisme et ceux qui croient un petit peu aux valeurs humanistes. C'est que nous sommes capables de trouver des solutions à un certain nombre de problèmes qui nous sont posés?. C'est pour cela que nous avons besoin de la science. C'est pour cela que nous avons besoin de confiance au progrès. Et un pays qui aurait peur du progrès, un pays qui se feremerait à toute découverte, qui verrait dans toute découverte les risques avant de voir les chances, c'est un pays qui tourne le dos à sa propre perspective. Ce n'est pas l'histoire de la France, cela ne peut pas être son devenir.
C'est pour cela que je vous demande, aux uns et autres, en prenant là deux expressions de M. Guillebaud dans son beau livre sur "Le goût de l'avenir" : refuser, avec l'énergie, comme vous l'avez fait, Monsieur le président, la pensée-grognon, et développez, faites partager ce goût de l'avenir dont la France a besoin."