Discours d’introduction au congrès d’orientation du SNESUP – Paris 13

Publié le : 26/03/2013

Discours d’introduction au congrès d’orientation du SNESUP – Paris 13

  • par Stéphane Tassel, secrétaire général sortant du SNESUP-FSU

Cher-e-s camarades,

En juin 2007, lors de notre congrès à Paris, la loi LRU était en gestation. Votée en août elle aggravait la loi pacte « pour la recherche » de 2006. Toutes deux ont été fortement contestées par la communauté universitaire et scientifique. Pendant les 5 années suivantes. Sa mise en œuvre a secoué les personnels, noyé les enseignants du supérieur sous des tombereaux de bureaucratie, modifié leurs statuts, leurs modalités de recrutement. Le désengagement de l’État, conjugué à la généralisation d'une politique d'appels à projets , aux processus dits d'Excellence, à la mise en concurrence systématique, étrangle les établissements, les équipes, leurs capacités d'assurer leurs missions pour les étudiants, la recherche. Le rapport de la société à la science, des citoyens aux acteurs du service public a été profondément bouleversé. En mai dernier, l'échec de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle, souhaité, notamment par le SNESUP, la fin espérée des politiques de droite, paraissaient devoir ouvrir une nouvelle page. Près d'un an plus tard, l'horizon de progrès social semble perdu de vue et l'impatience et l'incompréhension se transforment en la colère.
Ce congrès est singulier. Situé au cœur d'une université implantée en Seine-Saint Denis, il est symbolique de la part importante du facteur proximité dans la démocratisation de l'enseignement supérieur, mais aussi des inégalités territoriales qui n'ont cessé de se creuser et, dès lors, de l'urgence de la rupture par la régulation nationale...

Il y a une semaine le projet de loi pour l'ESR a été présenté au Conseil des ministres. Le débat au Parlement va commencer, alors même que nous sommes en congrès. Pas de trêve... La loi de refondation de l’École, conditionnant une vision peu ambitieuse de l'Ecole et de la formation des enseignants, a été adoptée à l'Assemblée nationale, et nous sommes toujours dans l'ignorance de la date de son passage au Sénat. Vendredi dernier, le gouvernement a annoncé que la loi pour l'ESR suivrait une procédure accélérée. La ministre a fait savoir qu'elle envisageait une adoption du texte législatif avant l'été. Il y a une semaine, au CNESER, juste avant la présentation de l'Acte 3 de décentralisation, Simone Bonnafous a dit « qu'il fallait laisser du temps au changement ». On en est loin... Il faut accorder la parole aux actes.
L'acte 3 de la décentralisation, sans jamais avoir fait l'objet de négociations, fait irruption au CNESER par le biais de l'examen de trois articles isolés. Une telle précipitation exclut tout débat sur une question aussi importante que la régionalisation du service public d'enseignement supérieur et de recherche, réduisant l'avis des conseillers du CNESER à la seule dimension formelle. Le boycott quasi unanime du CNESER, suivi du rejet par le CSE convoqué dans la foulée, est une marque cinglante de désaveu.

Comment comprendre autant de précipitation sur des textes législatifs aussi fondamentaux pour le service public d’Éducation et de Recherche ? Comment admettre un tel déficit de dialogue social, quand le président de la République parle de l'introduire dans la Constitution ?
Au-delà de la question de la représentativité, c'est bien celle de la hiérarchie des normes qui est posée, du poids de la loi et de son application, de l'importance de la réglementation au fondement de l'égalité face aux logiques d'accords dérégulés. Ce tournant est majeur : il donne au SNESUP, souvent en première ligne sur un terrain à plus d'un titre expérimental, une responsabilité singulière et impose un important travail structurant à mener, avec la FSU et au-delà, pour faire primer notre exigence de transformation sociale qui ne peut se réduire à une somme de gains locaux disjoints, renvoyés aux capacités locales : territoriale ou d'établissement. De quelle autonomie parle-t-on ?

La Loi sur l'ESR

Le projet de loi pour l'ESR présenté par le gouvernement, n'est pas en rupture avec les politiques qui président aux choix qui s'imposent à nous depuis plus d'une dizaine d'années.
L'absence de programmation budgétaire n'est pas la seule tare de ce texte qui ne fait pas la place aux revendications portées majoritairement par la communauté universitaire, notamment de pouvoir mener leurs activités d'enseignement et de recherche sereinement dans de bonnes conditions. Il ne traduit pas la demande d'abrogation de la loi Pacte pour la recherche, de la loi LRU. Plus lourd de sens, ce texte ne prévoit pas d'applications , pas plus que d'engagement gouvernemental. Statuts, comités de sélection, CNU, instance de remplacement de l'AERES, ... Plus d'une vingtaine de décrets d'application devraient être réécrits ( si la loi était adoptée. Pour chacun d'eux, ce sont des éléments aux fondements de nos missions qui seraient modifiés. Ces modifications exigent notre intervention, notre action, la construction des rapports de force, pour imposer notre conception du service public. Quatre mois après des « Assises de l'ESR » très contestées, en marge des attentes réelles de la communauté, le bilan est plus que décevant :

  • des auditions minimalistes sur trois sujets certes importants (démocratisation, mille-feuilles de l'organisation de la recherche, « gouvernance ») mais écartant les personnels, leurs carrières, la précarité, la formation des enseignants...
  • des Assises territoriales, régionales, corsetées et boudées par les collègues, finalisées par un temps national à la mécanique bousculée par des revendications qui n'ont pu être totalement éludées,
  • enfin, l'ouverture d'une concertation en décembre dernier ménageant des effets de suspense insupportables utilisant la mise sous embargo le documents.

Conjuguer l'urgence de mesures engageant de « réels changements » et le temps long de la réflexion éloignant tout statu quo nécessite concertation puis négociation avec les organisations représentatives : le SNESUP, bien évidemment, n'entend pas être contourné. Le processus choisi par le gouvernement est très éloigné de ces exigences minimales.

Faute de réelles négociations, le projet de loi n'a en effet reçu aucun avis favorable des instances consultatives saisies (CNESER, CSE, CNESERAAV). Les comités techniques n'ont pas été convoqués. Affirmer, comme le fait la ministre que le projet de loi ESR a reçu « un soutien inédit dans l'histoire du CNESER » et que la politique proposée par celui-ci serait « confortée », relève du mensonge. Bien que menées dans des conditions extrêmement difficiles (en moyenne 5 à 10 minutes par amendement, opération de vote incluse, refus systématique du cabinet d'exprimer sa position sur les amendements votés), sans que les étudiants puissent siéger, les séances du CNESER des 18 et 19 février ont permis, le plus souvent sous l'impulsion du SNESUP, de soumettre des amendements de fond pour changer la logique du texte (rejet des RCE, modalités d'élection du président, prise en compte des besoins de formation et de recherche dans l'attribution des moyens...). Certains ont recueilli la majorité des suffrages mais ont été systématiquement ignorés par le ministère. Nous avons porté nos propositions jusqu'au bout pour le service public et les personnels. C'est donc en toute connaissance de cause et délibérément que le MESR a fait le choix de tourner le dos au travail du CNESER et aux propositions des représentants des personnels. Le texte proposé au conseil d’État n'apporte que peu de modifications. Et s'il y en a, elles ne vont pas dans le bon sens.
La nature même du métier d'enseignant du supérieur demeure considérablement modifiée, ses missions fondatrices d'enseignement et de recherche sont laissées pour compte. Les enseignants du supérieur voient leur force créatrice, entravée par une agitation permanente.
La liberté, la créativité, la richesse, le droit à la recherche, la collégialité, la démocratisation de l'enseignement supérieur, l'implication de la communauté universitaire engagent chacun d'entre nous dans la défense de ce qui nous a fait choisir le service public.

Précarité

Nous essuyons cinq années pendant lesquelles la majorité précédente a manipulé les chiffres, les données budgétaires pour tenter de faire croire que l'enseignement supérieur et la recherche étaient des priorités. Le résultat de la loi LRU, ne s'est pas fait attendre : multiplication d'établissements en déficit, des formations en difficulté en particulier en SHS, des gels d'emploi et de non reconduction de contractuels, reprise en main par les recteurs (plus technocrates qu'universitaires) ... et d'explosion de la précarité.
Le dernier budget de l'enseignement supérieur, ne présage pas d'évolution notable en la matière. La réaffirmation de l'austérité pour les prochaines années, sans qu' elle fasse explicitement l'objet de mesures particulières à l'instar de l’Éducation, de la justice et de l'intérieur, fait peser le risque de nouvelles restrictions. La création de 1000 postes (en masse salariale équivalente) par an et pendant 5 ans n'est qu'une microbulle d'air face aux besoins d'enseignement et de recherche , Dans nombre d'établissements, ils ne seront pas tous publiés, voire pas publiés du tout . C'est un mirage qui ne trompe pas les collègues.
C'est dans ce cadre, celui de d'une autonomie, outil de gestion de la pénurie, que le SNESUP avait rejeté à raison - et demandé à la FSU de le faire - le protocole ANT, prémices d'une loi Sauvadet qui sous-estime la précarité dans ce secteur à la fois fortement touché et, surtout, terrain d'expérimentation généralisable à d'autres secteurs.

La formation des enseignants

Bien former les enseignants, c'est bien là le moteur de notre action, alors qu'au cours de ces cinq dernières années, ce qui fait historiquement corps avec l'Université, a été dévasté.
Écarté des thèmes abordés pendant les Assises de l'ESR, ce sujet est d'une complexité rare. Ses enjeux pour la société sont majeurs. La diversité disciplinaire et les niveaux d'enseignement sont sources d'approches parfois orthogonales. Les champs de syndicalisation des personnels formés sont très différents dans la FSU. Le principal syndicat des formateurs a été exclu de la plupart des discussions. La situation a certes évolué, mais la position des universitaires sur ce dossier est trop souvent minorée, voire totalement niée par le ministère de l'Education Nationale devenu donneur d'ordre.
Il est rare de voir une réforme attendue d'une façon aussi unanime. Elle ne peut être bâclée, suspendue au fil de l'urgence d'un calendrier intenable. Comment comprendre que des ESPE sortent de terre sur injonction des recteurs, sans que les acteurs des formations des enseignants ne soient associés d'aucune manière... Il ne faut pas suivre l'exemple de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires.
A ce jour, 5 mois avant l'ouverture des ESPE, aucun personnel n'y est affecté , et aucune perspective de recherche ne se dessine en leur sein. Le CNESER, immédiatement suivi du CTMESR, s'est sèchement prononcé contre la loi dite de Refondation, le SNESUP a été moteur dans cette contestation. Concevoir des dispositions en prise avec la recherche, intégrant les dimensions disciplinaires et professionnelles, nécessite des structures de formation et de recherche pérennes. Les personnels des IUFM doivent pouvoir y être reversés. On ne peut réduire une formation de Master à un seul tableau Excel, déconnecté des capacités d'expertise dont nous disposons dans le SNESUP, dans la fédération. Concevoir une formation prend du temps.
Les antennes d'IUFM devraient être maintenues ... Pourtant des questions importantes, comme celles des pré-recrutements, demeurent. Le Conseil Supérieur des Programmes ne comporte toujours pas d'universitaires, alors qu'il est chargé de la formation des enseignants, des concours, de l'évaluation ... et des programmes
Un Comité de suivi de la formation des enseignants (émanation du CNESER et du CSE) tarde à voir le jour. Et l'instrumentalisation du comité de suivi master communicant des pseudo-directives bâclées, pouvant être interprétées dans les établissements comme des textes réglementaires, sur la conception de la formation des enseignants, creuse le fossé entre le MESR et les organisations représentatives ancrées dans la profession, et en particulier le SNESUP présent dans chacune des disciplines.

Des élections en nombre, le SNESUP partout...

Cette mandature, comme la précédente, a été marquée par les nombreuses élections. Commencée avec l'installation du CNESER, ce mandat a vu les membres élus des sections du CNU et du CoNRS renouvelés. Les CTP d'établissement, à peine créés par la loi LRU, ont été remplacés par les CT modifiés par la loi dite de modernisation du dialogue social, posant de nouvelles bases à la mesure de la représentativité. Tous les conseils centraux des universités (CA, CS, CEVU) ont été réélus alors que leurs attributions pourraient être profondément remises en question par la loi ESR (je pense en particulier au transfert du recrutement des EC du CA au conseil académique) et ce, sans que de nouvelles élections soient convoquées. Les personnels ont souvent été aux urnes aussi bien pour des élections mesurant la représentativité du SNESUP, incontestable aussi bien dans les disciplines, dans les établissements... que nationalement.

Il y a maintenant presque un an que François Hollande a été élu président de la République. La situation économique sociale est dramatique en France comme à nos frontières. La hausse continue du chômage, le nombre croissant de démunis rend urgente la revitalisation de toutes les solidarités et des protections collectives. Les diplômes nationaux, leur reconnaissance collective font partie de ces garde-fous aux logiques individuelles et concurrentielles de contrat de travail de gré à gré.
L'accréditation en lieu et place de l'habilitation est à interroger à l'aune d'enjeux sociétaux dans lesquelles la valeur des diplômes universitaires, leurs contenus irrigués par une recherche la plus précoce possible, en articulation avec le lycée, les cycles préparatoires aux grandes écoles, est centrale pour des raisons humanistes comme pour répondre aux besoins de la société, d'une innovation que l'on ne saurait confondre avec un utilitarisme à court terme. La réflexion que nous entendons porter ne se résume pas à l'activité travaillée, mais inclut tous les temps de la vie de la formation initiale et continue à la retraite, dont on connaît le risque de voir remis en cause le modèle par répartition. C'est tout un mode de financement à repenser qui ne s'inscrit pas dans des marges budgétaire étriquées voire inexistantes, mais au travers un autre mode de redistribution des richesses et des mécanismes rénovés de solidarité collective...

Cette actualité brûlante se tient alors que la nouvelle équipe de direction issue de notre congrès est sur le point de prendre ses fonctions. A la tête d'une organisation incontournable, leur tâche en prise avec les orientations majoritairement définies pour le SNESUP sera lourde de responsabilités.
Avant de vous souhaiter un bon congrès je voudrais rendre un hommage aux camarades, aux salariés, trop nombreux qui nous ont quittés ces deux dernières années. Je pense en particulier :

  • à Marcel Brissaud, ancien secrétaire général adjoint du SNESUP pilier du secteur retraite, à la voix si chaleureuse et amicale ;
  • à Maurice Zattara, trésorier infatigable aussi discret qu'efficace et généreux. Je vois toujours sa tignasse blanche et son sourire rassurant
  • à Pierre Duharcourt, figure tutélaire du SNESUP. Son doigt levé discrètement pour demander son tour de parole, contrastait avec une voix rauque faisant autorité, porteuse d'argumentaires puissants et sans concession sur l'essentiel.
  • à Alain Blondel, imprimeur salarié du SNESUP pendant 30 années : que ce soit le bulletin, les ?ches syndicales de promotion, les publications, tout passait par lui !

Ces disparitions brutales ont affecté le SNESUP, ses militants, les salariés du siège, plus encore leurs proches et amis. Je vous demande d'observer une minute de silence en leur mémoire.