Démocratie universitaire
Publié le 21 janvier 2013
Démocratie universitaire
par Philippe Rousseau, Professeur de langue et littérature grecques à Lille 3
La défense de la collégialité et celle de la démocratie, même si elles peuvent se rejoindre, ne se superposent pas. La nouvelle loi doit instituer des universités démocratiques.
Le 6 mai et le 17 juin derniers, les Français ont mis fin à dix ans de gouvernement du pays par la droite et aux cinq ans de règne du président des riches. Le bilan désastreux de ces années de régression a pesé lourd dans le résultat des élections du printemps. Il justifie l’espérance qui a fait voter pour le changement, mais aussi l’inquiétude, voire le désarroi, devant les réponses données par le nouveau gouvernement aux attentes qui l’ont porté au pouvoir.
C’est le cas de l’enseignement supérieur et de
la recherche. Les ministres de Sarkozy se
sont efforcés de présenter un tableau enchanteur
de leur action dans ce domaine et des
réformes qu’ils y ont conduites, de la loi
LRU à la liquidation de la formation des
enseignants. Lorsque le rideau est tombé sur
leur performance, les universités au bord de
la faillite ont pu juger la valeur des mots
dont on les avait payées.
Il faut aujourd’hui défaire et reconstruire,
autrement. Les Assises devaient avoir cet
objectif. La manière dont elles ont été organisées
n’a pas répondu aux espoirs que leur
annonce avait fait naître, mais elles ont ouvert
la voie à l’élaboration de dispositions législatives
nouvelles dont on espère qu’elles poseront
sur des bases plus saines des problèmes
décisifs pour l’enseignement supérieur, à commencer
par celui de la démocratie. C’est, on
le sait, un des points qui ont cristallisé l’opposition
de la communauté universitaire à la
loi LRU, sous des formes qui n’étaient pas toujours
dépourvues d’ambiguïté.
Un modèle managérial
Un mot d’abord pour souligner que les
aspects les plus antidémocratiques de la loi
ne s’y sont pas trouvés par accident. Ils
sont constitutifs du modèle d’université que la droite veut imposer. La pathologie
affective du conservatisme français a moins
pesé que l’efficacité attendue d’un mode de
gestion managérial dans la variante libérale
de l’autonomie universitaire. Pour amener
une institution à accepter, voire à transformer
en « opportunités » les restrictions de
financement public qu’elle subit, il est préférable
que son président soit mis en situation
de se comporter comme un patron
plutôt que comme l’élu de la communauté
qu’il dirige.
Nous ne sommes pas
assez attentifs au fait
que la tendance à
mettre en cause les
formes d’organisation
démocratiques dans
tous les domaines de la
vie sociale, de l’entreprise
au gouvernement
des Etats, fait partie de
la stratégie de refoulement
des acquis
sociaux des travailleurs,
engagée depuis le
milieu des années 70.
L’enseignement supérieur
et la recherche
sont de ce point de vue des terrains d’affrontement
aussi importants que les entreprises,
vers lesquelles du reste les plus conséquents
des libéraux voudraient les pousser.
La classe dominante y trouve des relais parmi
les universitaires.
Pour une autonomie inscrite dans le cadre du service public
On connaît le préjugé selon lequel le développement
de la science ne serait pas compatible
avec des modes d’organisation démocratique,
alors que l’expérience montre ce
que l’absence de démocratie peut avoir d’effet
sclérosant sur une équipe. On connaît
aussi la rengaine selon laquelle le « trop » de
démocratie, dont on ne précise jamais où
commence l’excès ni quelle est la limite,
serait inefficace et priverait l’institution de sa
capacité à prendre rapidement les décisions
nécessaires ou à s’adapter aux changements
qui se produisent dans son environnement –
ce qui est une absurdité ; seule la discussion
approfondie de l’ensemble de la communauté,
sanctionnée par
les conseils, permet à la
fois d’ajuster les décisions
et de les mettre
en oeuvre avec le minimum
de délai.
La définition des missions,
l’organisation et
le financement des universités
et des organismes
de recherche
doivent relever de la
puissance publique et
de la volonté démocratiquement
exprimée de
la nation. Les établissements
n’ont pas à
prendre pour modèles des entreprises agissant
de manière concurrentielle sur un marché
ouvert aux consommateurs disposant
des ressources pour y accéder, comme le
veut la conception « libérale » de l’autonomie
universitaire. Mais une autre conception de
l’autonomie des universités est possible, une
autonomie inscrite dans le cadre du service
public, et impliquant une organisation démocratique
des établissements.
La loi LRU s’inspirait, avec une certaine prudence
malgré tout, compte tenu du rapport
des forces, du modèle « libéral ». D’où l’effort
pour y restreindre la part de la démocratie,
avec le renforcement, qui a choqué, du pouvoir
et des prérogatives du président. L’opposition
à cette loi a été large. Mais elle s’est
souvent rangée plutôt, parmi les enseignants,
sous la bannière de la défense de la collégialité,
compromise par la loi LRU, que sous
celle de la démocratie. Les deux, pourtant, ne
se superposent pas, même si elles peuvent se
rejoindre. Tout dépend en effet de la définition
du collège, que les traditions universitaires
font varier.
Agissons pour que la nouvelle loi institue des universités démocratiques.