Avis du HCEE sur l’évaluation des acquis des étudiants dans l’enseignement supérieur: commentaire de F.Bouillon

Publié le 16 mai 2003

Commentaires de François Bouillon sur le
RAPPORT du Haut Conseil de l’Éducation de l’École :
L’évaluation des acquis des étudiants dans l’enseignement supérieur

Sources documentaires : Rapport de Marc ROMAINVILLE et l'avis rendu par le HCEE en avril 2003 suite à ce rapport

  • Par François Bouillon

Les constats majeurs qui fondent le diagnostic du rapport en matière d'évaluation des acquis des étudiants peuvent être partagés. Les sept constats sont :

1/ Que la réforme de 1997 des études supérieures a entraîné une inflation modulaire, laquelle a engendré une inflation de l'évaluation. D'où un alourdissement des tâches d'évaluation pour les enseignants et un déficit d'apprentissage pour les étudiants ;

2/ Qu'il existe un lien entre la taille des groupes et la diversité des modalités d'évaluation : plus les effectifs sont nombreux plus l'examen final écrit constitue le mode d'évaluation privilégié ; plus les étudiants sont nombreux, plus les enseignants réduisent la part du contrôle continu ;

3/ Que l'autonomie des établissements et la liberté académique des enseignants sont l'une des causes de la très grande hétérogénéité des pratiques d'évaluation ;

4/ Que l'hétérogénéité des pratiques d'évaluation est redoublée par les spécificités disciplinaires : plus d'oral en sciences ; palette de notes plus large en sciences qu'en SHS ;

5/ Que l'ancrage de cette hétérogénéité c'est la diversité des contenus des formations, des cursus, selon les établissements menant aux diplômes nationaux à Bac + 2, Bac + 3, Bac + 4… ;

6/ Que les modes de constitution des contenus des formations supérieures est tributaire des opportunités et des intérêts internes à l'institution. Dit autrement, que la logique individuelle des Esneignants-chercheurs les incite à multiplier les offres de formations en regard de leur champ de recherche et en fonction des stratégies personnelles, ce qui aboutit à des formations-patchwork ;

7/ Que les examens universitaires appellent beaucoup de critiques en termes de validité, de fidélité, de fiabilité et de crédibilité.

Au regard de ce diagnostic, les solutions préconisées dans le rapport vont dans le bon sens mais sont trop timides. Ainsi, l'idée d'étendre au niveau national l'expérience « MESSAGE », sur l'initiative de l'Association nationale des directeurs de Maîtrise en Sciences de gestion, est une bonne piste. Mais c'est insuffisant. Car et c'est là que le rapport manque de dimension prospective, la recomposition des formations supérieures …, L, M, D ou 3, 5, 8 telle qu'elle est initiée par les décrets de novembre 2001 et surtout par les arrêtés d'avril 2002 va exacerber les sept difficultés soulignées par le rapport et obérer le caractère positif de l'allongement des cycles universitaires à Bac + 3 et Bac + 5. Les dérives que soulignent le rapport pour aujourd'hui seront encore plus vraies pour demain.

En effet, le contenu des textes directeurs et les conditions de mise en place dans les établissements vont donner encore plus de poids aux logiques internes et vont augmenter l'éclatement du cadre national des diplômes. Ainsi « les contenus de formations ne seraient plus définis nationalement » (Discours du 7 octobre du Ministre). Partant l'évaluation des acquis des étudiants sera encore plus « locale », encore plus « maison ». (Ce qui est écrit dans l'annexe 1 concernant la différence entre les deux DEUG d'histoire sera aggravé en direction d'une hétérogénéité encore plus grande ; puisque les maigres contenus de 1997 disparaîtront !)

C'est pourquoi, dans un tel contexte, il faut, comme y invite d'ailleurs le rapport, mettre en relation la problématique de l'évaluation avec celles des objectifs et de contenus de formation. L'une ne va pas sans l'autre : l'évaluation s'enracine dans la cohérence ou l'incohérence des formations universitaires.

C'est pourquoi, il nous semble que cette question de l'évaluation doit être appréhendée à l'intérieur du cadre de référentiels nationaux des formations et des diplômes (à l'instar de MESSAGE) par grandes filières articulées autour de quelques points stratégiques : objectifs, et contenu des formations, volumes horaires, passerelles, conditions de l'évaluation car, comme le dit excellemment le rapport, « Le rôle des autorités publiques, compte tenu de l'autonomie des établissements, est de vérifier que l'évaluation des acquis réponde aux standards et aux critères de qualité attendus et qu'elle se déroule dans chaque établissement de manière valide, fidèle, crédible et fiable ».

Cette problématique, dont le cœur est le rôle de l'Etat, est décisive pour l'égalité des étudiants et pour leur permettre d'avoir une réelle mobilité d'un établissement à un autre. De manière prospective toujours, il faudrait probablement aller au-delà. En effet, cette question de l'égalité et de la transférabilité des acquis se posera de plus en plus au niveau européen. Et cela vaut pour des questions posées par le rapport. Par exemple, l'évaluation en termes de crédits-ECTS n'est pas qu'une question franco-française ; elle vaut pour des cursus comparables au niveau européen. Plus généralement : quel est le noyau commun des savoirs et de qualifications entre une licence de maths française, allemande, espagnole, entre une licence de sociologie, d'histoire, etc… ? Quels types d'évaluation en découlent ? Quels savoirs et quelles compétences attend-on à Bac + 3, à Bac + 5 dans des cursus européens communs ?

Si l'on considère qu'il existe une universalité des savoirs scientifiques, il est donc urgent que la communauté universitaire européenne soit saisie de cette question des « références communes » par grandes filières de formation. Tel est en tout cas notre souhait tant en ce qui concerne l'organisation des cursus que la progressivité et la cohérence des contenus, les objectifs explicites de formations, l'évaluation (y compris la question de la capitalisation et de la compensation que le rapport ne traite pas). Bref, la construction des formations et l'évaluation des étudiants, au niveau européen, ont besoin de véritables critères de convergence.