Autonomie-régulation versus service public
Autonomie-régulation versus service public
Avec les lois LRU, Recherche et le complément RCE, l'ancien gouvernement a mis en œuvre dans l'enseignement supérieur et la recherche (ESR) à partir de 2007 une logique d'autonomie « régulée » par le marché.
Le gouvernement issu des élections de 2012 projette une autonomie régulée par l'État. On retrouve cette idée dans certains textes du SNESup pour lesquels il y aurait une « mauvaise autonomie » des universités (l'autonomie libérale concurrentielle) et une « bonne autonomie » (une autonomie encadrée ou régulée). Cette dernière position qui peut paraître séduisante, est en réalité une grave remise en cause du service public.
L'autonomie : un dangereux chant des sirènes
La force du mot autonomie est dans ce qu'il véhicule : l'aspiration à la liberté. Qui peut être contre l'aspiration à la liberté ? Personne. Mais le problème ne se pose pas en ces termes. La question qui est posée est celle de la compatibilité entre l'autonomie et le service public. Or au lieu d'articuler les deux éléments du débat, les arguments portent sur les bienfaits de l'autonomie. L'autonomie c'est bien, pour les individus, pour le respect des différences, pour les UFR, les labos, les contrats, les relations internationales, etc. L'autonomie est séduisante mais est-elle compatible avec la notion de service public ?
La définition académique du terme "autonomie" est "le droit de se gouverner par ses propres lois" (dictionnaire Le Robert). Or structurellement le service public est un tout et on ne conçoit pas que les parties qui le constituent soient autonomes. Autonomie et service public sont antinomiques. Dans le débat actuel l'emploi du mot autonomie est un piège qui ne peut que renforcer idéologiquement le courant des autonomistes au sens étymologique du terme à savoir le « droit de se gouverner par ses propres lois ».
Le service public repose sur l'intérêt général
Il ne peut y avoir un service public, rappellent avec constance le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, que s'il existe un intérêt général. Si l'intérêt général est difficile à déterminer car variable dans le temps et dans l'espace, il est admis traditionnellement que la notion d'intérêt général ne peut être définie que par les autorités politiques légitimement élues et politiquement responsables, dans le respect de la constitution et sous le contrôle du juge. La définition de l'intérêt général est donc éminemment politique.
Si les universités et leurs personnels doivent contribuer (comme d'autres structures institutionnelles) à l'élaboration de l'intérêt général de l'ESR elles ne peuvent pas le définir en toute autonomie. Elles ne peuvent pas en revendiquant une autonomie au sens politique avoir la capacité d'édicter leurs « propres lois ». L'autonomie que les universités possèdent et que la loi leur reconnaît depuis la loi E. Faure (1968) est une autonomie fonctionnelle qui garantit les libertés indispensables à l'exercice de l'enseignement et de la recherche ainsi qu'une administration dirigée par des élus et non par des personnels de direction nommés. Donc l'autonomie dont nous bénéficions est bien une autonomie liée à nos fonctions (libertés académiques) et à notre statut (fonctionnaire de l'État). Cette autonomie fonctionnelle garantit l'indépendance vis-à-vis des groupes de pression politiques, économiques, financiers (notamment, la possibilité de faire une recherche déconnectée de ses applications économiques immédiates).
Aujourd'hui l'autonomie est partielle elle concerne principalement les dépenses et un peu les recettes. Avec la politique gouvernementale d'austérité les présidents demanderont et obtiendront l'autonomie de l'ensemble des recettes (donc y compris les droits d'inscription) et auront ainsi les moyens de "décider par eux-mêmes".
État acteur ou un simple « régulateur ».
C'est parce qu'on conçoit que l'État n'est plus l'acteur direct (via ses fonctionnaires) de la mise en œuvre du service public qu'on utilise le mot de régulation. Depuis 30 ans l'État a reculé. L'État est sommé de se « dégraisser » et d'adopter un « nouveau management ». Dans l'ESR, l'État peut externaliser en régionalisant (les régions le demandent) et /ou en rendant « autonomes » les établissements qui deviendront ainsi des « opérateurs publics autonomes » (c'est la formule utilisée par G. Fioraso dans sa réponse aux 14 présidents) pouvant recruter leurs propres personnels selon leur « propres lois ». Dans un premier temps le personnel contractuel de plus en plus nombreux cohabitera avec le personnel statutaire. Puis le « stock » de fonctionnaires sera mis en extinction comme à France Télécom.
Nous devons dire que si l'État ne se désengage pas il n'aura pas à réguler. La revendication de la régulation n'est qu'un pis aller, elle cache en fait la régression (voulue pour les uns, acceptée par résignation pour les autres) du rôle de l'État et l'abandon d'une revendication de démocratisation de ce même État. Concernant les services publics je préfère un syndicat qui lutte pour la démocratisation du fonctionnement de l'État (dont je n'ignore rien de ses défauts ni de son contenu de classe) qu'une lutte résignée pour la régulation d'entités autonomes vouées à terme aux règles de la concurrence pure et parfaite.
Défendre et rénover le service public d'ESR
La bataille qui est menée par l'idéologie libérale consiste, au nom de la liberté, de l'efficacité (lutter contre les lourdeurs administratives) et des économies budgétaires à faire sauter dans un premier temps le statut national des personnels. Le service public sera délégué au mieux à des opérateurs publics (avec un contrat et non plus un statut) et au pire, au privé. L'autonomie régulée ou non est une menace pour l'indépendance du service public.
Depuis les lois LRU et Recherche (avec les RCE), il est proposé à l'universitaire d'échanger son droit d'ainesse-indépendance contre un plat de lentilles-d'autonomie-liberté. La liberté dont il est question avec l'autonomie est la liberté dans la concurrence.
En conclusion, l'approfondissement du fonctionnement démocratique du service public (à l'opposé d'une étatisation) et le financement public des missions de l'ESR, couplés à l'amélioration de la formation (quasiment inexistante sur les plans pédagogique et administratif) des fonctionnaires universitaires et à l'autonomie fonctionnelle (l'indépendance) dont ils bénéficient de par la loi et la Constitution, doivent permettre à l'ESR dans le cadre du service public de relever les défis de formation (notamment le défi de la démocratisation de l'accès et de la réussite du plus grand nombre) et de recherche.
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Alain Portron (Université Le Havre)