Une réforme de la procédure disciplinaire qui restreint les droits des étudiant-es - Lettre flash n° 3 du 21 janvier 2020

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Publié le : 21/01/2020

 

 

À l’occasion du CNESER du 14 janvier 2020, le ministère de l’enseignement supérieur a rendu public un projet de décret « relatif à la procédure disciplinaire applicable aux usagers des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ». Pour dire les choses autrement, le MESR souhaite changer les règles applicables aux étudiant-es faisant l’objet de poursuites disciplinaires en modifiant tant la procédure initiale que la phase d’appel. Ce projet se traduit par un affaiblissement considérable des garanties offertes aux étudiant-es et a fait l’objet, pour cette raison, d’un rejet très net du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’est prononcé par 20 voix contre, 6 abstentions et aucun vote favorable.

Ce décret est, en pratique, l’un des premiers textes d’application de la loi du 6 août 2019 de « transformation » (ou de destruction) de la fonction publique. Introduit par voie d’amendement et examiné en pleine nuit presque clandestinement, l’article 33 a eu pour double objet de retirer la présidence du CNESER disciplinaire aux universitaires pour le confier à un Conseiller d’État, et de priver les étudiant-es mis-es en cause du droit de voir les accusations formulées contre eux/elles examinées par d’authentiques juridictions libres et indépendantes des présidences d’universités.

Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large de renforcement permanent des pouvoirs des président-es d’université et dans une volonté de caporalisation progressive de l’enseignement supérieur.

Ce projet expose les étudiant-es à des risques de dérive, notamment celles et ceux qui sont engagé-es dans la vie démocratique de leur établissement et dans la lutte sociale puisqu’ils/elles pourraient se voir sanctionné-es par des nouvelles « sections disciplinaires » qui ne répondront plus aux garanties offertes par les juridictions. Le ministère reconnaît la portée du changement sans regretter puisqu’il indique lui-même « que la section disciplinaire compétente à l’égard des usagers n’a désormais plus la nature d’une juridiction » (exposé des motifs).

Ce choix du ministère prive les étudiant-es de toutes les garanties édictées par la Convention européenne des Droits de l’Homme. Il a d’ores et déjà été utilisé par le ministère puisque celui-ci s’est opposé, le 14 janvier, à une revendication du SNESUP-FSU qui demandait que les audiences se tiennent en public. Le ministère a repoussé cette demande en s’appuyant sur le caractère non-juridictionnel des nouvelles sections disciplinaires qui empêche selon lui… de leur appliquer la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Les inquiétudes de la communauté universitaire sont d’autant plus grandes que le nouveau décret ouvre la possibilité de poursuivre les étudiant-es pour « tout fait » de nature à porter atteinte « à la réputation de l’université ». Cette formulation vague et subjective ouvre la porte à des poursuites abusives et expose à l’arbitraire le plus total. Elle pourrait être utilisée, par exemple et dans le contexte actuel, contre les étudiantes qui se mobilisent pacifiquement contre la réforme des retraites ou le projet de loi de programmation de la recherche.

L’autre point très grave est la suppression des recours (ou voies de contestation) autrefois offertes aux étudiant-es. Alors qu’ils disposaient du droit de faire réexaminer leurs sanctions par le CNESER qui statuait en toute indépendance loin des pressions locales et qui n’hésitait pas à annuler les condamnations abusives, les étudiant-es devront désormais s’adresser au tribunal administratif local qui juge dans des délais très longs et sans avoir autant de pouvoir que le CNESER. Le ministère reconnait dans l’exposé des motifs avoir supprimé la procédure d’appel et n’y voit aucun problème de principe.

On peut également regretter les changements opérés par le décret sur un autre point sensible. L’étudiant-e perd la possibilité de demander au CNESER de confier le jugement de l’affaire à une autre section disciplinaire en cas de doute sur l’impartialité de celle-ci. L’intéressé-e devra désormais s’adresser au Recteur/à la Rectrice d’académie qui appartient à l’administration et qui n’offre pas la moindre garantie d’indépendance.

Le décret crée aussi la possibilité pour le/la président-e de l’université de proposer lui/elle-même les sanctions qu’il/elle juge souhaitable dans le cadre d’une sorte de procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Une telle immixtion d’un président-e d’université dans une procédure disciplinaire est absolument inédite et inacceptable. Elle peut mettre l’étudiant-e en danger en l’incitant à accepter une sanction imméritée sous la pression liée à l’intervention du président-e de l’université. Cette procédure de « plaider coupable », particulièrement dangereuse en cas de « flagrant délit », a fait l’unanimité contre elle lors de la séance du CNESER du 14 janvier puisqu’elle menace les droits de la défense des étudiant-es sans simplifier véritablement la procédure.

Les aménagements généraux visant à simplifier la procédure d’instruction peuvent également avoir des effets pervers dans les affaires où la vérité est difficile à établir. Les sections locales sauront-elles faire la différence entre les affaires simples et complexes ? La question est cruciale quand il n’existe pas de procédure d’appel.

On notera enfin que le projet de décret ajoute aux sanctions existantes des « mesures de responsabilisation à visée éducative » qui ressemblent plus à des sanctions pénales qu’à des sanctions administratives. Cette création est très inquiétante dans un contexte marqué par des garanties procédurales aussi faibles.

Le SNESUP-FSU s’oppose à cette réforme de la procédure disciplinaire. Il dénonce toutes les tentatives de transformer en délit la participation à des mouvement sociaux et aux débats qui concernent les universités.