Un plan d'urgence pour l'ESR s'impose ! - Lettre flash n°14, du 13 mai 2020

Publié le : 13/05/2020

 

 

Les crises confrontent les gouvernements à la pertinence de leurs orientations politiques. Celle liée au Covid19 revêt une dimension historique. Elle impacte en profondeur les politiques publiques sans nécessairement remettre en cause le rythme et la nature des réformes portées par le gouvernement. Dès les premiers temps de cette crise, l’état de dégradation des services publics et leur nécessité vitale sont apparus au grand jour. Les orientations néolibérales et autoritaires du gouvernement doivent être remises en question. Pour le SNESUP-FSU, mettre en avant les solidarités, défendre le bien commun et partager les richesses sont des objectifs prioritaires qui appellent une extension des services publics (dans le cadre de la fonction publique) et la création de pôles industriels publics ou à but non lucratif (médicaments, équipements médicaux, énergie, transport, numérique, etc.). Cela suppose une révision profonde de la fiscalité qui doit s’opposer aux logiques d’accumulation spéculative et patrimoniale, aux délocalisations et à l’épuisement des ressources naturelles de la planète. Cela passe également par des formations universitaires de qualité pour toutes et tous et une recherche au service du bien commun (voir pétition Plus jamais ça en cliquant ici). 

 

Un confinement puis un déconfinement organisés sans concertation

Depuis le 16 mars, les établissements universitaires sont fermés aux étudiant·es. La “continuité pédagogique” a été immédiatement martelée comme un leitmotiv culpabilisant pour les collègues pourtant totalement investi·es, engagé·es et éloigné·es pour certain·es de leurs moyens de recherche. Cette continuité n’en porte que le nom. De toute part, le système a montré ses limites et mis au grand jour les profondes inégalités entre les étudiant·es mais également entre les collègues face à l’enseignement distanciel dégradé. La crise sanitaire a rendu criants les besoins et montré à quel point le sous-financement structurel de l’ESR, la création de mastodontes universitaires par le biais des fusions et regroupements, le recrutement massif de contractuel·es ne peuvent permettre d’y faire face ni d’anticiper pareille crise et celles qui suivront. 

Dès la fermeture des établissements, le MESRI a fait preuve de légèreté, pour ne pas dire de mépris, dans la conduite du dialogue social. La ministre a régulièrement privilégié les annonces descendantes par voie de presse, alors que les instances ministérielles les plus à même de répondre aux besoins de gestion de la crise n’ont jamais été convoquées pour le CTMESRI, ou uniquement en début et en fin de confinement pour le CHSCT ministériel. Des rencontres multilatérales ou bilatérales entre les organisations syndicales et le cabinet ont eu lieu, mais sans réponse aux questions posées ni réels échanges. L’organisation de la soi-disant “continuité pédagogique” puis celle des examens s’est faite dans la plus grande confusion et dans l’improvisation, individuelle et collective. La ministre a été jusqu’à interdire toute neutralisation de semestre, alors que cette décision relève avant tout de la liberté pédagogique des enseignant·es et de la souveraineté des jurys. 

 

Une précarité étudiante qui ne peut être ignorée plus longtemps

Par ailleurs, le confinement des étudiant·es les a privé·es des ressources liées à leurs éventuels emplois ou aux stages rémunérés : la crise a révélé voire accru la grande misère étudiante, notamment chez les étudiant·es étranger·es et ceux/celles éloigné·es de leurs proches. Cette situation est inacceptable. Les appels à la solidarité et l’action des associations a permis de leur fournir de la nourriture et l’aide exceptionnelle de 200 €, tardivement débloquée par le gouvernement, peut les aider à passer ce cap difficile. Ces aides ponctuelles ne sauraient toutefois représenter une réponse suffisante à cette crise sociale de grande ampleur. Plus que jamais, il apparaît urgent de mettre en place l’allocation d’autonomie pour tou·tes les jeunes que le SNESUP-FSU défend depuis plusieurs années

 

Un prolongement des thèses qui doit être financé

La période de confinement a également été une période difficile pour les doctorant·es. Les conditions de vie ont rendu difficile l’avancement des travaux en particulier en phase de rédaction, d’expérimentation ou d’accès aux sources dans certains domaines. Sans accès au laboratoire pendant plusieurs mois et sans continuité possible dans leurs travaux, ils et elles ont donc pris du retard. Lors de son audition à l’Assemblée nationale le 29 avril dernier, la ministre a précisé que le prolongement des contrats doctoraux et post-doctoraux sur lequel elle s’était engagée nécessiterait des financements supplémentaires. « Tout ceci est chiffré et prévu » a-t-elle ainsi affirmé sans autre précision quant aux modalités de l’effort budgétaire consenti qu’une référence à une mystérieuse « enveloppe de 2,5 Md€ permettant aux crédits des différents ministères de s’équilibrer » comme par enchantement. Or, si les subventions des établissements ne sont pas augmentées avant l’été, le prolongement des contrats existants en contraindra certain·es à réduire d’autant le nombre de nouveaux contrats (CDU, ATER) pour ne pas voir augmenter leur masse salariale dans le cadre de l’exercice en cours. Dès lors, dans les établissements qui ne pourront permettre un prolongement, les doctorant·es et leurs directeur/trice·s de thèse seront sous pression pour que la thèse soit de toute façon soutenue dans le temps imparti, au prix d'un travail “bâclé” et de conséquences dommageables pour l'avenir professionnel des futur·es chercheurs/ euses.

 

Une rentrée 2020 à haut risque

La rentrée s’annonce difficile puisque les effectifs devraient continuer à augmenter et que la réforme des études de santé a été mal anticipée d’un point de vue budgétaire.  Comme il est aussi possible que les consignes sanitaires nous contraignent à multiplier les enseignements avec des effectifs réduits, et sauf à céder sans vigilance aux sirènes trompeuses et dangereuses de l’enseignement à distance, le taux d’encadrement devra être amélioré. À l’inverse, la ministre a choisi d’annoncer cette rentrée, sans concertation, sous le sceau d’une généralisation de l’enseignement à distance et de la mise en place d’enseignements hybrides. Nous le rappelons : le recours à l’enseignement à distance ne peut remplacer la relation pédagogique et les échanges et la relation sociale en présentiel, même si ceux-ci doivent se faire en effectifs réduits, en respectant des consignes strictes du point de vue sanitaire et avec des moyens importants. La liberté pédagogique doit être respectée. L’enseignement à distance, qui n’est pas la seule solution envisageable, ne s’improvise pas sans formation, réglementation, ni moyens spécifiques, il ne peut constituer qu’une aide ou un complément à l’enseignement en présentiel et non pas une modalité généralisée. Nous refusons que la relation et les contenus pédagogiques dérivent progressivement vers une relation marchande. L’ESR doit rester un service public et l’université un lieu d’émancipation, de lien social et de confiance réciproque. 

Rien ne sera possible sans recrutements supplémentaires et pour éviter la généralisation des recrutements à titre précaire, il convient sans attendre de créer des postes de titulaires et d’abonder la masse salariale des établissements avant de poursuivre cet effort en 2021 et les années suivantes. Plus que jamais, la revendication de la création de 6000 emplois par an (toutes catégories confondues, soit 360 M€ en année pleine et 120 M€ pour le dernier trimestre 2020) doit être réaffirmée et concrétisée. Rappelons qu’entre 2006 et 2019, alors que nous avons accueilli 430 000 étudiant·es supplémentaires (dont 400 000 de plus à l’université), les recrutements annuels d’enseignant·es-chercheur·es ont diminué de moitié passant de 2670 en 2006 à 1332 en 2019.

Si, comme il est probable, beaucoup d’étudiant·es en provenance de pays extérieurs à l’espace Schengen, seront empêché·es de venir étudier en France, ce que nous regrettons car ils et elles participent à l’effort de recherche et de production scientifique ainsi qu’à l’ouverture internationale des établissements, cela ne saurait représenter une solution à la baisse tendancielle du taux d’encadrement. En effet, ils et elles sont peu nombreux/ses dans les filières en tension où ce taux est le plus faible et constituent une part importante des promotions dans certaines spécialités. Il est donc probable que la “surchauffe” des filières en tension, aggravée par l’impossibilité temporaire de mettre en œuvre des enseignements adaptés aux grands effectifs (par exemple les cours magistraux en amphi) ou aux activités physiques et sportives, expérimentales et technologiques, se combine avec la fermeture ou la mise entre parenthèses de spécialités pourtant indispensables du point de vue de la cohérence de l’offre de formation des établissements.

 

Nécessité d’un plan d’urgence pour l’ESR

La crise sanitaire a considérablement perturbé l’exécution de la loi de finances de 2020, ce qui s’est traduit par une réorientation assez rapide de la politique budgétaire. Deux lois de finances rectificatives ont été adoptées, le 23 mars et le 23 avril. Au total cela représente l’équivalent d’un  « plan d’urgence » de 110 Milliards (Mds) principalement orienté vers le soutien à l’économie assorti d’un dispositif de garantie par l’État de prêts aux entreprises à hauteur de 300 Md€. Un troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3) est probable. Il devra impérativement comporter des mesures en faveur de l’ESR.

L’effort principal doit porter sur la MIRES qui doit être revue à la hausse mais, pour concrétiser l’effort budgétaire que nous appelons de nos vœux, il est aussi possible de revoir les sommes consacrées au Crédit Impôt Recherche (CIR). Dans sa récente note sur l’exécution du budget 2019, la Cour des Comptes a relevé la part de plus en plus importante prise par les dépenses fiscales qui représentent désormais 22 % des dépenses totales de la Mission Interministérielle Recherche et Enseignement Supérieur (MIRES). Elle estime que « l’efficacité du CIR au regard de son objectif principal : l’augmentation de la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIRDE) reste difficile à établir ». 

Ce serait en effet une grave erreur d’attendre la nouvelle “trajectoire budgétaire” issue des travaux préparatoires du projet de Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR) et d’espérer ainsi résoudre les problèmes les plus criants de l’ESR et ce pour deux raisons : premièrement, parce que l’effort annoncé par le Président de la République suffira à peine à maintenir la dépense publique de recherche au niveau actuel (voir ici pour plus de détails) ; deuxièmement, parce que l’échéance du projet de loi de finances pour 2021 est trop tardive. 

La rentrée de septembre nécessite un effort budgétaire à la hauteur des enjeux universitaires mais également économiques, sociaux et écologiques. Nous ne voulons pas “sacrifier” une génération entière d’étudiant·es ni épuiser les personnels de l’ESR. Parce que dans cette période les besoins de formation en prise avec la recherche au plus haut niveau de qualification sont un enjeu central, il implique l’accès et la réussite massive d’étudiant·es.

Le SNESUP-FSU appelle le gouvernement et la représentation nationale à prendre la mesure de ce défi et à donner dès maintenant les moyens nécessaires au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.