THÈME 3 : Former, certifier, quelle approche de la professionnalisation ?
Depuis sa fondation en 1896, l'Université moderne a toujours formé des professionnel·les1.
Depuis 2003, les injonctions successives des gouvernements imposent une conception étriquée de la professionnalisation focalisée sur l’insertion professionnelle à court terme, apparue lors de la création du contrat de professionnalisation introduit en lieu et place du contrat de qualification. L’évincement des enseignant·es et de leurs représentant·es au sein de France compétences réduit la concertation au seul paritarisme2 illustrant ainsi la mainmise des entreprises sur l’identification des besoins de formation professionnelle. La dernière loi en date “pour la liberté de choisir son avenir professionnel” de 2018 (loi Pénicaud) supprime les distinctions entre les centres de formation d’apprenti·es (CFA) et les organismes de formation3. Ainsi certains CFA s’accaparent des maquettes de formations universitaires et mettent en œuvre les formations sans lien avec l’équipe pédagogique universitaire qui les a construites. Cette loi, qui favorise le développement des organismes privés délivrant des certifications professionnelles, instaure la mise en concurrence entre ces certifications et les diplômes nationaux. Leur structuration en blocs de compétences renforce l’individualisation et la flexibilité des parcours. Ceci peut conduire à la découpe des programmes en micro-certifications et à la destruction de la cohérence du diplôme. Cela remet en cause le principe du recrutement par concours dans la fonction publique, comme cela est déjà perceptible dans l’éducation nationale. Par ailleurs, le détournement des cursus universitaires construits sur des bouts de certifications est une façon pour les entreprises d'interférer dans la définition des contenus des formations.
Un·e étudiant·e est incité·e à devenir “entrepreneur·e” de son parcours d’étude et de sa carrière professionnelle. Le lien diplôme/salaire, garde-fou des conventions collectives, est fragilisé et entraîne une augmentation de la précarité ainsi qu’une disparité des rémunérations. Paradoxalement, la “professionnalisation” se fait souvent au détriment de l’enseignement des savoirs et savoir-faire, notamment technologique (exemple des IUT4). Dans les INSPE et les IUT, l’imposition par le MESRI de la construction des diplômes selon l’approche par compétence, sans respect de la liberté pédagogique, est source d’incompréhension, de déstructuration de notre métier et de souffrance au travail. Sa mise en place à marche forcée, qui plus est pendant la crise sanitaire, a été un facteur aggravant.
L’approche par compétence compromet l'acquisition des savoirs fondamentaux alors que leur maîtrise permet de s’adapter à des évolutions et des contextes différents. Pour les étudiant·es, elle conduit à supprimer la compensation entre UE au sein des semestres. Elle repose sur une vision étriquée de la notion de compétence qui néglige sa dimension collective pourtant indispensable pour former des professionnel·les.
La conception adéquationniste des programmes d’enseignement ajustés aux besoins des entreprises a comme finalité le transfert des coûts de l'adaptation des personnels aux postes à la collectivité. D’une part, il faut rappeler que la moitié des diplômé·es occupent des emplois sans lien direct avec leur formation notamment parce que leur qualification leur confère des compétences générales mobilisables dans différents contextes professionnels. D’autre part, l’adaptation des salarié·es à leur emploi est une mission des employeur·ses.
Quelles formations professionnelles voulons-nous ?
Toutes les formations, qu’elles soient professionnelles ou non, doivent être à double finalité : insertion professionnelle et poursuite d’étude. Le SNESUP-FSU rappelle que le grade de licence doit permettre une poursuite d’études de droit en master. L'État doit financer le nombre de places nécessaires en master pour accueillir ceux et celles qui le souhaitent.
La construction des maquettes des diplômes nationaux, y compris professionnels, doit rester la mission des enseignant·es titulaires du supérieur qui en assurent par ailleurs la majorité des heures d’enseignements. Les organismes privés ne doivent pas avoir la possibilité de délivrer des formations sous le sceau “université”, soit en utilisant indûment l'appellation université soit en passant un contrat de complaisance avec une université. La liberté pédagogique doit être respectée et les jurys doivent rester souverains. En ce sens, les collègues doivent être maîtres/maîtresses du développement des formations. Le syndicat se doit d’outiller les collègues pour qu’ils et elles développent une lecture critique de l’approche par compétence à la lumière des valeurs des formations universitaires. La bataille est aussi une bataille linguistique. L’approche par compétence ne doit pas être un outil d’organisation de la formation (UE-compétence au lieu de UE-disciplinaire) qui relègue les savoirs au second plan. Les contenus des UE doivent permettre aux étudiant·es de s’approprier les savoirs disciplinaires, de les comprendre pour éviter l’application de recettes ou d’acquérir des pratiques professionnelles qui se réduisent à l’adaptation au poste de travail. Ils doivent permettre aux étudiant·es de comprendre l’importance des collectifs de travail.
L’inscription au RNCP des diplômes nationaux doit rester de droit. L’évaluation des diplômes lors de l'accréditation doit être basée sur des contenus et non réduite à de simples jeux d’ECTS. Les diplômes dispensés en apprentissage à l’université ne doivent pas se substituer, ni être en concurrence avec les autres formations initiales universitaires. Toutes les conditions financières doivent être réunies pour permettre aux étudiant·es de suivre leurs études sans avoir recours à des “jobs” pour survivre ni à privilégier la voie par apprentissage. Le SNESUP-FSU rappelle la nécessaire attribution d’une allocation d’autonomie pour tou·tes les jeunes, notamment afin d’assurer des conditions de subsistance et d’études plus égalitaires. L'apprentissage ne doit pas devenir le modèle économique nécessaire pour faire fonctionner les formations. L’État doit financer les formations à la hauteur de leurs besoins. L’apprentissage doit rester une modalité pédagogique parmi d’autres.
Dans les formations en alternance ou comportant des stages, le temps passé en entreprise ou organisation ne doit pas amputer le nombre d’heures de cours et de travail personnel des étudiant·es.
Le stage ne doit pas être imposé à toutes les formations. Le suivi des stages en entreprise ou organisation par les enseignant·es doit être reconnu. Conformément à la loi, les stages ne doivent pas être un moyen d’exploitation des étudiant·es ni un moyen de détournement des conventions collectives. Le stage ou l’apprentissage sont des actes de formation qui doivent développer l’émancipation des étudiant·es et non être un temps professionnel de substitution.
2 Avant la création de France Compétence, les représentant·es des enseignant·es étaient partie prenante aux côtés des représentant·es du patronat et des salarié·es.
3 Analyse FSU de la loi Péricaud : https://fsu.fr/documentation-de-la-fsu-reforme-de-lapprentissage
4 Les Situations d’Apprentissage et d’Évaluation sont en tout ou partie réalisées en autonomie par les étudiant·es.
98 % POUR
2 % ABSTENTION