Texte commission 2 - Hybridation des formations et injonctions pédagogiques dans l’enseignement supérieur, voté au congrès d'orientation 2021 à Rennes

Publié le : 25/06/2021

 

L’Enseignement supérieur doit accueillir 150 000 étudiant·es au cours des cinq prochaines années. Cela nécessite la construction de l’équivalent de 6 universités de 25 000 étudiant·es chacune et le recrutement de 15 000 agent·es dont 7 500 enseignant·es et enseignant·es-chercheur·es. Or ce gouvernement ne prévoit le recrutement que de seulement 800 enseignant·es-chercheur·es par l’intermédiaire des Chaires de Professeur Junior.

 

Profitant de l’expérience de la crise sanitaire et de l'enseignement en ligne imposé au nom de la “continuité pédagogique”, le ministère entend faire porter l’accroissement du nombre d’étudiant·es par l’enseignement privé, d’une part, et par l’augmentation de la “productivité” via la baisse du taux d'encadrement permise par l’hybridation des formations, d’autre part.

 

Alors que les universités font face à une vague de décrochages d’étudiant·es sans précédent, le SNESUP-FSU réaffirme le besoin de démocratisation de l’enseignement supérieur pour faire accéder et réussir le plus grand nombre d’étudiant·es au plus haut niveau de qualification.

 

Avant et pendant la crise sanitaire, le MESRI a lancé des appels à projet pour généraliser l’hybridation dans les universités. Son objectif est, d’une part, de forcer la transformation des pratiques pédagogiques des enseignant·es et, d’autre part, d’en profiter pour restructurer le processus d’apprentissage des étudiant·es qui sont appelé·es à gérer eux et elles mêmes leurs apprentissages via des parcours individualisés (programme à la carte, approche par compétences imposée, flexibilité des parcours, modules capitalisables, blocs de compétences).

 

L'hybridation des formations consiste à basculer une partie des heures d’enseignement effectuées en présence des étudiant·es dans la salle de cours en heures d’enseignement en ligne. Elle propose aux étudiant·es des ressources à utiliser ou des activités à réaliser à distance via une plateforme pédagogique1. La proportion des activités à distance et en présence peut varier, allant de 30 % à 79 % d’activités en ligne2. Un enseignement en co-modalité consiste à avoir des étudiant·es à la fois en présence dans la classe et en ligne. Ces dispositifs sont différents de la formation à distance (FAD). Cette dernière renvoie à une modalité d’enseignement en ligne qui « permet à une personne d’apprendre de façon relativement autonome, avec des contraintes minimales d’horaire et de déplacement, et avec le soutien à distance de personnes-ressources »3. Un cours, que ce soit dans une formation hybride ou une formation à distance, peut se donner « de manière synchrone (en même temps pour tous) par audio, vidéo ou conférence Web, ou de manière asynchrone (au moment qui convient à chacun) à travers des forums de discussion en ligne, des blogs [sic], des wikis, la messagerie et le courrier électronique »4.

 

L’université a pour mission de former des jeunes par l’accès aux savoirs, c’est-à-dire des citoyen.ne.s émancipé·es capables de faire évoluer la société, de participer à la progression de leurs connaissances, d’évoluer dans leur métier.

 

Les conséquences de l’hybridation des formations et du recours aux outils numériques sont multiples. Aussi, dans cette commission, avons nous relevé et catégorisé leurs apports, leurs limites et nos revendications, suivant qu’ils concernent, d’une part, la relation enseignant·e-étudiant·e, le processus d’apprentissage et/ou les conditions d’études et, d’autre part, les transformations du métier d’enseignant, de sa qualification, les conditions de travail et de vie.

 

Conséquences de l’hybridation des formations sur la relation étudiant·e / enseignant·e et processus d’apprentissage

 

Le SNESUP-FSU affirme que :

 

  1. L’accès à l’enseignement supérieur est un droit pour toutes et tous les bachelier·es dans des formations choisies ;

     

  2. La connaissance se construit dans l’échange et l’interaction sensible. Elle ne se réduit pas à la consultation d’informations codifiées ;

     

  3. Le recours aux technologies numériques accroît les inégalités économiques et discrimine socialement les étudiant·es ;

     

  4. L'hybridation des formations est une dégradation de la qualité de la pédagogie, des interactions entre enseignant·es et étudiant·es comme de la relation entre pairs et in fine de la réussite des apprentissages ;

     

  5. L’hybridation est un moyen d’éviter de mettre en place les transformations sociales nécessaires pour un droit d’accès à l’éducation en présence pour toutes et tous ;

     

  6. Les “campus connectés” dispensent un enseignement au rabais et diminuent le coût par étudiant-e.

 

et se donne les mandats suivants :

 

  • La démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur passe nécessairement par la création de formations encadrées en présence d’enseignant·es titulaires, par un plan de construction de véritables campus universitaires publics qui travaillent en synergie et par un plan de recrutement massif des agent·es sous statuts de fonctionnaire, nécessaires pour pouvoir accueillir chaque bachelier·e dans la filière de son choix ;

     

  • L’enseignement en présence est la règle générale et l’enseignement à distance doit rester l’exception ;

     

  • En septembre 2021, un retour à la normale à 100 % en présence est une nécessité pour ne pas sacrifier la jeunesse ;

     

  • Les modifications des maquettes de formations imposées par les adaptations à la crise sanitaire, ne sauraient perdurer au-delà de la rentrée 2021 ;

     

  • Les outils numériques ne peuvent ni être imposés ni être utilisés pour remettre en cause les libertés pédagogiques. Ils ne doivent pas gommer les spécificités disciplinaires (sorties sur le terrain, TP, …) ;

     

  • La crise sanitaire a révélé et accru les inégalités sociales entre étudiant·e.s et démontrer la nécessité et l’urgence d’une allocation universelle étudiante ;

     

  • L’enseignement en présence n’est pas un luxe et ne doit pas le devenir. Il ne doit ni être réservé aux formations sélectives, ni à celles et ceux qui pourraient se le payer.

 

Conséquences de l’hybridation des formations et du recours aux outils et plateformes numériques sur le métier d’enseignant et les conditions de travail :

 

Le SNESUP-FSU affirme que :

 

  1. L’hybridation a été imposée et subie par les enseignant·es dans une situation particulière. Nous refusons sa reconduction car les universités ont eu le temps d’équiper les locaux (capteurs de CO2, ventilation, …) pour assurer un accueil à 100 % en garantissant le respect de la sécurité sanitaire.

     

  2. L’hybridation des enseignements est une dégradation des conditions de travail des enseignant·es et des conditions d’études des étudiant·es (qualité pédagogique, effectifs pléthoriques, etc.) dans le but de réduire le coût de l’enseignement supérieur et permet de contrôler les enseignant·es et les enseignant·es-chercheur·es. Le SNESUP-FSU identifie l’hybridation comme un risque qui conduit à une déréglementation des obligations statutaires des services.

     

  3. Les universités et les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent contraindre un enseignant·e ou un enseignant·e-chercheur·e à céder ses droits d’auteurs dans le cadre de ses missions de formation ou de recherche.

     

  4. Les fermes de données (DataCenter) et les réseaux fixes sécurisés permettant de stocker et d’échanger sur notre territoire les données personnelles et sensibles des élèves, étudiant·es, agent·es et chercheur·es des établissements (EPSCP et EPST) publics doivent être gérées selon les lois de notre République en conformité avec le RGPD et donc avec le concours d’organisations soumises uniquement aux lois et règlements de notre État. Le MESRI et les établissements doivent investir dans RENATER plutôt qu’avoir recours à des services et applications privés. L’utilisation de logiciels libres doit être privilégiée.

     

et se donne les mandats suivants :

 

  • Un enseignant a la possibilité de refuser de dispenser un enseignement à distance ou hybride. Le syndicat défendra les collègues qui subiront des pressions sur l’obligation de faire de l’EAD, de l’hybride ou du co-modal ;

     

  • L’enseignement doit être réalisé en général par des titulaires. La contractualisation doit rester une exception ;

     

  • Refuser l’introduction de l’hybridation dans les maquettes. Son introduction est une atteinte aux libertés pédagogiques quand elle est imposée, elle dégrade les conditions de travail et ne doit pas être un prétexte de réduction des heures en “présentiel”. Le critère de soutenabilité ne saurait être retenu pour justifier l’hybridation des formations ;

     

  • Les réunions pédagogiques, administratives, d’instances et les conseils doivent se tenir en présence sur site. Leur organisation en visioconférence doit être l’exception. Les réunions sur convocation avec des votes prévus doivent se tenir en présence sur site ;

     

  • Les établissements doivent respecter le code de la propriété intellectuelle ; ils doivent informer les agent·es et former les usager·es sur leurs droits et leurs devoirs vis-à-vis de l’usage pédagogique et scientifique des documents diffusés ;

     

  • L’université est un lieu libre de construction de la connaissance. Elle est aussi le champ de construction des idées, des choix politiques, des débats et des confrontations démocratiques. Les conditions d’utilisation ou les chartes d’usage des médias numériques ne peuvent contraindre la liberté d’expression. 

 

Texte voté à l’unanimité

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1- Peraya D., Charlier B. & Deschryver N., « Une première approche de l’hybridation », Education et formation. Les dispositifs hybrides dans l’enseignement supérieur : questions théoriques, méthodologiques et pratiques, vol. e-301, 2014, p. 15-34. Disponible en ligne à l’adresse : http://ute3.umh.ac.be/revues/include/download.php?idRevue=19&idRes=183 (consulté le 19 novembre 2014)

2- Allen, I. E., Seaman, J., & Garrett, R. (2007). Blended In: The Extent and Promise of Blended Education in the United States. Needham, MA: Sloan Consortium (Sloan-C). http://www.onlinelearningsurvey.com/reports/blending-in.pdf (consulté le 16 novembre 2016)

3- CLIFAD. (2010). Définition de la formation à distance. Comité de liaison interordres en formation à distance (CLIFAD). Repéré à http://clifad.qc.ca/definition-de-la-formation-a-distance.html

4- Haughey, M. (2013). Enseignement à distance. Dans L’encyclopédie canadienne. Repéré à https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/enseignement-a-distance